Idrissa Seck: Jeux d’ombres et de lumières…

Orateur hors pair, tribun oecuménique quand les circonstances l’exigent, ou persifleur acide quand ’’la météo’’ est mauvaise, il sait en tout cas se faire écouter. Comme un Oracle, il devine le sens du vent qui ne le porte toutefois pas toujours. Il ne deviendra pas ainsi le quatrième président de la République du Sénégal, ainsi qu’il l’avait annoncé. C’est Macky Sall qui est passé devant. Mais Idy, comme le surnomment ses proches, a du coffre…

Idrissa Seck doit sans doute vivre, aujourd’hui, l’impression du coureur cycliste qui se fait, non pas coiffer au poteau, mais happé par le peloton, alors qu’il avait mené la course en tête des centaines de kilomètres durant. A force de (féroces) coups de pédales, il n’a pas su garder l’énergie qui permet le sprint.

Momentanément ? Qui est cet homme qui cultive le paradoxe d’être à la fois au coeur du pouvoir – son parti étant de la coalition présidentielle avec deux ministres au Gouvernement – et, concomitamment, de truster le statut le chef de l’opposition ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit. L’homme cherche à proposer une alternative.

Assurément, l’enfant de Thiès, né un 9 août 1959 est un brillant sujet. Il faut remonter à la psychologie de l’enfance pour comprendre certaines postures. Issu d’une famille modeste, il voit ses parents trimer pour subvenir à leurs besoins. Dans ce quartier de Moussanté, la vie est rude et le jeune Idrissa Seck fait face à une terrible réalité. La famille est pauvre.

Qu’importe, il va se battre. C’est son oncle Alioune Badara Niang qui l’éduque. Qui le présentera plus tard à Wade. Idrissa Seck va surtout apprendre le Coran. Il en fera son bréviaire, si l’on ose dire et son discours sera désormais peuplé de références au texte sacré des musulmans. Son idéologie est un mélange entre un messianisme religieux, des références post-modernistes et une pensée fondée sur la conviction en soi. Sa foi en l’islam n’est pas factice, elle est profonde.

L’homme croit aussi en sa bonne étoile. Cette étoile qui a fait de lui un… génie, quoiqu’en puissent en dire ses (nombreux) adversaires, qui n’ont de ce cesse de décrire un homme qui transporte morgue et suffisance, ambition débridée et style ’’Caterpillar’’ pour écraser ’’les autres’’, ceux qui ne savent pas s’agenouiller devant lui. En vérité, Idrissa Seck sait couver. Mais seulement ses ’’amis’’. Comme quand, récemment, il a totalement reconfiguré son parti, ’’Rewmi’’, en montrant que l’allégeance est une doctrine chez lui. Si Abdourahmane Diouf, nommé par sa grâce directeur général de la Sones (les fameux quotas octroyés par le nouveau président Macky Sall à ses alliés) est défenestré, il a vite fait de le défendre, de l’adouber, de le bombarder patron de la communication de sa formation politique et de dire au ’’château’’ que lui aussi a pouvoir de nomination.

Deux versants : le béton et le coton. L’épée et la fleur. Ou encore l’acier et l’argile, métaphore qu’il aime souvent utiliser pour caractériser la nature humaine, en référence d’ailleurs au texte coranique.

Un homme qui croit en son étoile…

’’Le front d’Idrissa Seck, très large et bombé, dénote une extrême intelligence doublée d’un dégoût profond pour les règles et les restrictions. Ce genre d’individus, pratiquement des génies, aiment tout particulièrement user de leur imagination, au point où il faut souvent les ramener sur terre. Sans cela, ils sont de tels rêveurs qu’on arrive rarement à trouver un usage pratique et/ou concret à leurs idées’’, écrivait EnQuête à la veille de la dernière présidentielle.

Homme de défi, il n’a pas attendu un an pour planter des banderilles à Macky Sall, cherchant à le pousser à la faute. Ainsi va l’homme. Sa nature profonde semble être faite d’une quête de reconnaissance, d’une pugnace volonté de récupérer un bien, et, surtout, de la reconnaissance d’un legs. Quel héritage ? ’’Je suis l’actionnaire majoritaire du PDS’’, a-til dit un jour. Formaté à l’école de l’entreprise privée, l’ancien Premier ministre voit la politique en termes d’investissements, de capitaux et d’actions. Mais au cours de la bourse, sa cote fluctue comme il a ondoyé aux côtés de son mentor, Me Abdoulaye Wade.

L’adolescent qui voit sa famille trimer, est le même qui va épater la scène politique sénégalaise en 1988, quand il devient le petit prodige d’un certain Me Abdoulaye Wade. Au terrain de basket de l’UCAD, alors que le PDS fait face au président Abdou Diouf lors d’une mémorable élection présidentielle, Idrissa Seck se pointe avec un ordinateur alors que son mentor harangue la foule d’étudiants. Il est déjà directeur de campagne.

Quand les gens voient un ambitieux, lui regarde déjà le pouvoir. Son obsession  ? L’ordinateur n’était pas à l’époque un objet banal. Idrissa Seck a toujours cherché à avoir une longueur d’avance sur les autres.

C’est son oncle, Alioune Badara Niang, vieil ami du fondateur du PDS, qui l’éduque en politique et en tout. Après l’école coranique, le brillant Idrissa Seck fait ses classes dans l’école primaire de son quartier, puis poursuit ses humanités au collège Saint-Gabriel où il se distingue par ses brillants résultats. Lauréat du Concours général, il intègre ensuite l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris qu’il quitte en 1986.

En haut de son CV, lit-on un passage à la Woodrow Wilson School de Princeton, aux États-Unis, même s’il y a été un étudiant ’’invité’’. Mais son bagout, son talent et son opiniâtreté vont lever toutes les barrières que le destin plaçait sur son chemin. C’est sûr, il croît en son étoile.

Discret dans sa vie privée, il a su mener une carrière d’auditeur sans en mener large. Des firmes réputées vont lui mettre le pied à l’étrier et son esprit de compétition va se trouver décuplé dans une ambiance de gros chiffres. Si l’opposition est rude, il trouve les moyens de s’acheter une maison au Point-E, non loin de celle de son mentor. Idrissa Seck tisse sa toile et profite de toutes les situations politiques. Il fait acte de fidélité à Me Wade quand les ’’historiques’’ quittent la barque libérale, mais il n’oublie pas ses arrières en se blindant au plan financier grâce à ses compétences. Naturellement, il est toujours du lot quand le Parti socialiste (PS) les invite au gouvernement, mais c’est après la prise du pouvoir qu’il révèle sa nature.

Pokerman

Certes, sa propension à invoquer les textes sacrés pourrait ne pas le faire penser, mais il a alors l’attitude d’un joueur de poker. Il est au coeur du divorce, en 2001, entre le président nouvellement élu et son allié décisif au second tour de la présidentielle de 2000, Moustapha Niasse. Il est élu maire de Thiès. Le bateau ’’Le Joola’’ ayant ’’naufragé’’, la première femme Premier ministre du Sénégal, Mme Mame Madior Boye, il s’installera à la tête du gouvernement.

Les Sénégalais devinent un homme calé sur un agenda qui est axé sur le palais de la République où il se voit déjà… Il a vite vu Karim Wade arriver, mais n’a pas eu assez de force pour empêcher son ascension, qui marque le début de ses problèmes.

La suite verra un combat tragique, entre un père spirituel et un fils ’’indésirable’’ qui sera conclu par un emprisonnement suite à de terribles accusations de malversations. Les Chantiers de Thiès. C’est le divorce avec le pape du Sopi, mais la suite des événements montreront la capacité de transcendance du personnage. Après avoir bénéficié d’un non-lieu, il n’hésitera pas à aller rencontrer le président Wade, au palais de la République, sous les caméras et flashes. Ce sera sans doute la plus grande erreur de sa carrière politique. Arrivé deuxième lors de la présidentielle de 2007, il sera relégué en cinquième position cinq ans plus tard. Cherchez l’erreur !

La mystique du chef a mis à nu les caractéristiques d’un projet personnel centré autour du ’’moi’’, quoique les autres peuvent-ils y participer, mais à condition de savoir se tenir à carreau. Cependant, Idy sait attendre son heure. Le maire de Thiès s’est certes trompé de calendrier – il n’est pas devenu quatrième président du Sénégal comme déclaré urbi et orbi-, mais il y travaille.

Dedans et dehors

Aujourd’hui, le maire de Thiès dispute la vedette à tous les acteurs de la scène politique en raison de ses prises de position qui rament à contre-courant des décisions du régime du président Macky Sall. Il est à la fois dedans et dehors. C’est du Me Wade tout craché. Faut-il s’en étonner ?

L’ambition est un sentiment extrêmement noble, ce qui la pervertit, c’est l’obsession. Il est obsédé par son image ; obsédé par son objectif ; obsédé par lui-même. Il est sans doute l’homme politique sénégalais qui évalue le plus sa propre intelligence.

Mais comme un chat, il a sept vies et sait toujours retomber sur ses pattes. Mieux, il sait évaluer les situations, en tirer profit et tenter de déplacer des montagnes. L’esprit de compétition est sa marque de fabrique. Il joue tout le temps ; a déjà remporté des victoires comme en 2000 ; a beaucoup perdu, mais il attend la vraie victoire : celle qui le verra, enfin, prendre les rênes du Sénégal. Il n’est pas comme ces politiques qui disent qu’ils y pensent ou pas en se rasant le matin devant le miroir car il y est déjà.

L’art de la ruse traverse le cours de la vie politique sénégalaise. Senghor a co-écrit ’’La Belle-Histoire de Leuk-lelièvre’’  ; Wade a été surnommé du mari de la hase, ’’Njomboor’’, en raison de sa faculté à retomber sur ses pattes et séduire son monde.

EnQuête