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L’affaire de James Bond et de Mata Hari à la gomme qui viciait les relations entre la France et l’Iran depuis près de 20 ans a connu son épilogue en mai avec des échanges d’espions dont les missions ont mal tourné puisqu’ils se sont laissé prendre en territoire ennemi. L’ »ingénieur iranien » Majid Kakavand a ainsi regagné son pays natal le 7 mai, malgré le mandat d’arrêt international de la justice américaine ; Washington lui reprochait d’avoir transgressé l’embargo sur certains produits « hi-tech » sensibles en direction de Téhéran. De son côté, l’Iranien Vakili Rad est rentré chez lui le mardi 18 mai après 18 ans de détention. Il purgeait une peine de réclusion à perpétuité pour le meurtre en 1991 de l’ancien Premier ministre du Chah, Chapour Bakhtiar sauvagement égorgé. Ainsi étaient remplies les conditions édictées à Me Wade avec une médiation entreprise par le chef de l’État sénégalais depuis septembre 2009 et qui a connu des fortunes diverses quand, officiellement, Paris épouse la thèse de l’Occident de ne pas fléchir devant le chantage impliquant des terroristes présumés. En échange, l’Iran a libéré le 16 mai celle qui passe aujourd’hui comme une espionne en herbe arrêtée le 1er juillet 2009 à Téhéran pour motif d’espionnage, ayant filmé des sites classés sensibles et des scènes de manifestations suite aux contestations électorales du 12 juin 2009 et la victoire contestée de Mahmoud Ahmadinejad.
Nicolas Sarkozy a confirmé l’intervention du président sénégalais dans le dossier Reiss en le confondant dans les remerciements qu’il a adressés « tout particulièrement » au président du Brésil, Lula da Silva, au président du Sénégal Abdoulaye Wade, et au président de la Syrie Bachar al Assad, pour leur « rôle actif » dans la libération de Clotilde.
La sobriété et la solennité du ton différent cependant des termes dithyrambiques du communiqué de presse diffusé la veille sur le rôle prépondérant et quasi-exclusif joué depuis septembre 2009 par M. Wade, président en exercice de l’Organisation de la Conférence islamique.
Qui faut-il croire, de Bernard Kouchner et des services d’information de la présidence de la République sénégalaise ?
Tractation
La présence des ministres d’État Maître Madické Niang et Karim Wade le vendredi 14 à Téhéran « pour superviser les derniers réglages de la libération de Clotilde Reiss » laissait à penser que le Sénégal et ses amis de l’Orient au pouvoir castrateur avaient réussi une mise en scène internationale pour bien se tremper dans le bain du Sommet du G15 qui se tiendra à Téhéran à partir du lundi 17 en présence du président Wade. De l’autre côté, pour Paris dont une ressortissante devait être libérée, l’affaire n’a fait l’objet d’ »aucun marchandage », selon le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner. Il reste que l’intervention du président sénégalais coule de source et que des opérations ont eu lieu en amont (refus de la justice française d’extrader vers les États-Unis un ingénieur iranien, Majid Kakavand, qui a regagné l’Iran le 7 mai, malgré le mandat d’arrêt international de la justice américaine) et en aval (libération de l’assassin du dernier Premier ministre du Shah, Chapour Bakhtiar, par Paris le 18 mai). Elles tenteraient de démentir le socialiste Bernard Kouchner égaré dans le pouvoir de droite de Nicolas Sarkory. La colère de Paris à l’issue de la première prestation de Wade semblait réelle qui s’indignait des liens établis entre Reiss et l’assassin de Chapour Bakhtiar en 1989. Le 22 septembre, soit au lendemain de la visite de Wade à Téhéran qui semble désormais être son chemin de Damas, le président Ahmadinejad en personne avait lié explicitement, sur France 2, le sort de Clotilde Reiss et sa libération à celle de plusieurs Iraniens « en prison en France depuis plusieurs années », dont justement l’assassin de Chapour Bakhtiar ; il en est de même aujourd’hui avec des Américains en randonnée et détenus en Iran, avec un linkage on ne peut plus direct entre leur libération et celle de détenus iraniens aux Etats-Unis. La nouvelle formule des « folles de mai » (des mères américaines en visite d’une semaine à Téhéran depuis le mercredi 19) prêterait plus à rire s’il ne s’agissait de jeunes individus écervelés qui se sont égarés à une frontière pourtant bien visible.
La nébuleuse du monde de l’ombre
Le communiqué détaillé de Dakar du 15 mai ne laisse subsister aucun doute sur le rôle prépondérant joué par le président Wade et les ministres d’État Karim Wade et Madické Niang, au tout début des pourparlers. Il faudrait peut-être regretter l’excès d’information fourni par le ministère sénégalais des Affaires étrangères, comme pour faire de la diplomatie sur la place publique. D’autres affaires du même type ont déjà impliqué les services secrets français et la libération d’agents qui s’étaient fait prendre n’a pas connu la même publicité. Surtout celles impliquant des dames, comme celle du Rainbow Warrior de 1985 et l’opération « Satanic » à laquelle elle a donné lieu : deux agents du contre espionnage français, opérant sous une fausse identité (et sous de faux passeports suisses) des époux Turenge (le capitaine (f) Dominique Prieur alias Sophie Turenge et le chef de bataillon Alain Mafart alias Alain Turenge) se feront prendre en Nouvelle Zélande, pendant le règne de François Mitterrand. Là aussi, le ministre de la Défense de l’époque avait nié toute implication de la DGSE, donc de la France. Le principe est éculé et vieux comme le monde.
Plus récemment encore, des agents des services secrets israéliens, munis de faux papiers européens (français et britanniques, notamment) sont allés assassiner un haut dirigeant arabe à Beyrouth. Les barbouzes sont aussi plus âgées que Mathusalem. En définitive, elles aident à vérifier la puissance du verbe devant l’action irréfléchi d’individus en quête absolue de pouvoir.
- Par Pathé MBODJE,
- Journaliste, sociologue