Visage rayonnant, tête couverte d’un voile jusqu’à l’épaule, le pas lourd, Amanatou Ba présente une poitrine généreuse sous sa robe beige tricoté… Un pur bluff : depuis janvier, cette partie de son corps est nue. Comme le torse d’un homme. Le cancer lui a volé son dernier sein (le droit) et pris ses rondeurs. Depuis 2004, elle vit sous l’angoisse et la peur de découvrir une boule dans son corps. Elle a perdu successivement le sein gauche en 2009, puis le droit en janvier 2013. Abandonnée par son mari dès 2006, elle ne compte que sur le soutien de son fils de 20 ans, marchand ambulant et de son frère, pour survivre et assurer la prise en charge de sa maladie coûteuse. Aujourd’hui, cette dame de 41 ans, sans emploi, arrive miraculeusement à payer le loyer (35 000 F CFA) de sa chambre nichée au cœur du quartier Fass Delorme. Elle nous relate la tragédie de sa vie qui a basculé en 2004. Jadis jeune commerçante et couturière pleine de vie, elle est aujourd’hui une femme sans grand rêve. Démunie et traquée par le Cancer qui lui a volé sa poitrine généreuse et ses grands projets pour son fils.
2004, son pire cauchemar
Je m’appelle Amanatou Ba, j’ai 41 ans et cela fait neuf ans que je vis avec le cancer. Mon cauchemar a démarré en 2004. Un jour, j’ai senti une petite boule sur mon sein gauche. Cela me démangeait et je le grattais. J’en ai parlé à mon frère, il m’a conseillé d’aller consulter un médecin. J’étais en Guinée. Après la visite médicale, on m’a dit que j’avais un kyste et un cancer. Le médecin guinéen m’a dit qu’il fallait quatre millions pour me soigner. Puisque je ne les avais pas, mon frère qui vit à Dakar m’a demandé de venir pour recueillir l’avis d’un autre médecin. A Dakar, on a diagnostiqué une tumeur au sein gauche. En 2005, on m’a opérée et enlevé la boule. Puis je suis retournée en Guinée. Mais en 2007 la plaie s’est réveillée, du sang sortait du lieu précis où j’avais été opérée. Plus je prenais des médicaments, plus j’avais mal. La plaie est devenue un abcès. En 2009, je suis revenue au Sénégal et j’ai démarré la chimiothérapie, avant d’être opérée. C’est ainsi qu’on m’a fait une ablation du sein gauche en 2013. J’ai vécu des moments affreux. C’est très difficile de se voir amputer d’un élément de son corps. Je suis gênée devant les gens qui connaissent mon état. Je me sens diminuée et handicapée, mais je crois en Dieu. C’est de la foi que je tire ma force.
Deux ans après, je suis rentrée en Guinée. Le sort s’est à nouveau acharné sur moi. J’ai détecté une autre boule dans le sein droit. Je reviens au Sénégal et je refais un autre bilan médical. Le médecin me dit qu’il faut une opération. J’étais physiquement fatiguée et j’éprouvais des difficultés pour suivre le traitement. Cela nécessite 3 cures par mois, à raison de 70 000 F CFA l’une. J’ai effectué six mois de cure avant la seconde opération. Comme je n’ai guère de moyens, j’ai dû espacer le traitement. Mais, ce qui a le plus fait évoluer la tumeur, c’est la lenteur au niveau des résultats de l’anatomopathologie (anapath). C’est six mois après avoir fait le bilan que les documents d’analyses m’ont été remis, cette attente a accentué l’évolution de la tumeur. Tout le sein était affecté, parce que le médecin ne pouvait me consulter sans les résultats de l’anapath. Durant toute l’année 2012, j’ai suivi la chimio. Malheureusement, en janvier 2013, on m’a enlevé le sein droit. Actuellement, je dois faire un autre bilan pour voir s’il n’y a pas une autre tumeur dans mon corps. Je suis tétanisée, je vis dans la peur.
JE VIS SOUS L’ANGOISSE D’UNE NOUVELLE TUMEUR
Je suis mère d’un garçon de 20 ans. Mon mari m’a abandonnée quand on a découvert mon cancer. C’était en 2006, il pensait que je n’allais pas vivre longtemps. Il se trouve en Guinée et je n’ai plus de ses nouvelles. Mais ce qui me fait le plus souffrir, c’est de voir les grands projets que je nourrissais pour mon fils, fondre devant la cruauté de cette maladie. Je lui payais des études dans une école privée ; mais avec les frais considérables que générait mon mal, ses études ont dû être arrêtées, faute de moyens. J’ai vendu toutes mes machines à coudre, ainsi que mon outil de commerce. La maladie m’a ruinée. Je n’ai plus rien. Je souffre de voir mon fils sans grand avenir. Depuis quatre ans, c’est mon accompagnant, il me soutient. Il essaie tant bien que mal de m’aider, mais ce qu’il gagne est bien maigre par rapport à nos charges. Si mes parents et ma famille sont en Guinée, moi je veux rester au Sénégal où je bénéficie de meilleurs soins. Ma mère vit mal cette situation, elle n’avait pas supporté l’ablation de mon sein gauche, c’est pourquoi j’ai demandé qu’on lui cache la dernière opération et la perte du sein droit.
Au début, quand je suis arrivé à Dakar, c’est une femme Sérère qui m’hébergeait ; mais, avec l’arrivée de mon fils, j’ai pris une chambre en location que j’honore difficilement. Le peu que j’ai pour me nourrir, je le réserve pour les frais de la location, je ne veux pas me retrouver dans la rue. Et je vis sous la hantise de la découverte d’un nouveau cancer. Cependant, si les résultats de mon bilan se révèlent négatifs, je vais chercher du travail afin de payer mon loyer. Le médecin me dira quoi faire, car avec mes maux de poitrine, je ne pense pas pouvoir refaire de la couture. Peut-être que je ferai du commerce. A 41 ans, je ne pense pas me remarier. Certes, il y a des hommes qui veulent me prendre comme épouse, mais je les fuis ou les repousse. Comment pourrais-je leur expliquer que je suis une femme qui n’a plus de seins ? Beaucoup ne se rendent pas compte que j’ai perdu mes seins, parce que cela m’arrange qu’on ne le remarque pas. Je m’efforce d’afficher une belle poitrine. Vous me demandez comment ? C’est mon secret, je ne le révélerai pas.
INFRASTRUCTURES ET SPECIALISATION EN CANCEROLOGIE Le Sénégal sans plan de développement sanitaire
Dépistage du cancer du col l’utérus, dépistage du cancer de sein, dépistage du cancer de la prostate, dépistage du cancer de … Chaque jour, des dépistages sont effectués sur le territoire national avec leur lot de détections de cas suspects. Dans certaines contrées, les journées de dépistage gratuit sont érigées en règle pour vaincre ce sinueux adversaire de l’homme. La sensibilisation se fait agressive, mais il reste que ces efforts sont loin de cacher la forêt des manquements de la politique sanitaire de l’Etat sénégalais. Le Sénégal est loin d’avoir les spécialistes nécessaires pour venir à bout de la tumeur. A l’hôpital Aristide le Dantec, l’un des plus grands centre de cancérologie, la demande est astronomique, mais l’offre de service est minime. Le malade souffrant de Cancer qui arrive au service de cancérologie en sort désespéré. Les infrastructures et le personnel sont loin d’apporter la quiétude. Face à sa population de malades galopante, le service de cancérologie de l’hôpital Aristide Le Dantec présente seulement deux chimiothérapeutes, deux radiothérapeutes, quatre chirurgiens et des dizaines d’étudiants internes. Le bloc opératoire où deux malades sont opérés par jour ne suffit plus. Un centre de cancérologie avec une capacité d’accueil de 20 lits. Pis, dans le lot des internes, on note peu de Sénégalais. Ce qui fait dire à un médecin que « le Sénégal n’a pas de plan de développement sanitaire ». Il ajoute sous un air dépité : « les gens veulent bien faire mais l’Etat n’octroie pas de bourses. Les étudiants qui font la spécialisation en cancérologie n’ont pas de bourses ou s’ils l’ont, ils ne sont pas payés régulièrement. ». Awa Marie Coll Seck ministre de la Santé et de l’Action sociale, de même que le président de la République, sont ainsi interpellés. Avec un tableau aussi sombre, les malades sans grands moyens n’ont d’autres options que d’être condamnés.
Boly Bah