Pendant au moins deux années, des flux illégaux ont circulé entre BNP Monaco et l’Afrique, au nez et à la barbe du fisc local. Et tout ça, d’après les documents, avec le feu vert de BNP Genève, centre névralgique de la gestion de fortune du groupe BNP Paribas. Petit retour en arrière.
Selon un rapport confidentiel BNP Paribas d’octobre 2011 dont le Canard Enchaîné etLibération ont publié des extraits (et que Le HuffPost a pu consulter), des milliers de chèques en euros ont été envoyés entre 2008 et 2011 depuis Madagascar, le Gabon, le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou le Burkina Faso vers la filiale de Monaco. Jusque là, rien d’illégal. Problème: ces chèques provenaient de la collaboration involontaire de touristes français.
Le système est astucieux : les touristes sont invités à régler leurs nuits d’hôtel avec leur chéquier en euros. Il leur est simplement demandé de ne pas inscrire le nom du bénéficiaire sur le chèque. Trop contents de ne pas avoir à changer leur argent, les vacanciers s’exécutent sans trop se poser de questions.
Une chaîne humaine se met alors en place : le chèque est échangé contre de l’argent en liquide par l’hôtelier, à quelqu’un désireux de blanchir ses revenus. Le fraudeur confie ensuite le chèque à une troisième personne titulaire d’un compte à la BNP Monaco. C’est lui qui appose son nom dessus, en versant au “blanchisseur” l’équivalent en monnaie locale. Avec certainement à la clé une petite commission en compensation de ses services.
Le mécanique est en apparence parfaite: pour les autorités bancaires, aucun problème à l’horizon. Vu de chez elles, il s’agit de simples flux internes à l’Europe, d’un compte d’un touriste français vers un compte monégasque. L’intérêt est donc double pour les trafiquants: sortir de l’argent d’un pays où les réserves de change sont contrôlées et dissimuler des revenus.
Or, que dit la loi ? Fraude au contrôle des changes, doublée “très certainement” d’une affaire de “fraude fiscale et de blanchiment”, comme l’affirme Sherpa, l’ONG qui a porté ce dossier à la connaissance du procureur général de Monaco.
- Combien d’argent en jeu ?
Difficile de quantifier à l’euro près ce système de la “lessiveuse”. “Le rapport n’a fait qu’un échantillonnage, pas un travail de fond », juge un ancien salarié de BNP Paribas ayant travaillé au cœur du système. « Quelques millions sont cités, mais il y en a beaucoup d’autres”, affirme-t-il. L’ONG Sherpa, elle, évoque un montant global autour de « centaines de millions d’euros”. Contactée par nos soins, BNP Paribas parle d’un « sujet purement local, concernant des petits montants unitaires ».
Le document interne, lui, se contente de fournir un seul exemple. Mais ô combien révélateur du système. “Un apporteur d’affaires” malgache qui a fait transiter la somme de 10,2 millions d’euros, entre 2008 et 2011, via 284 remise de chèques. Pour rappel, une seule remise peut contenir plusieurs dizaines de chèques.
Ce compte a ensuite enregistré des flux vers une vingtaine d’autres comptes monégasques, mais aussi vers la Suisse, Singapour, l’Egypte ou encore l’Île Maurice. Voilà pour le seul “exemple”, mais d’autres comptes similaires sont évoqués dans le rapport, sans plus de précisions.
L’inspection générale de BNP Paribas elle-même a qualifié dans son rapport les flux « d’anormaux ».
Le rapport mentionne également que ce fameux compte de l’apporteur d’affaires malgache a été “bloqué” le 17 juin 2011. Quid des autres cas détectés? Le rapport reste silencieux sur le sujet. Pourtant, entre 2010 et la mi-2011, au moins 3466 remises de chèques en provenance du Gabon, Sénégal, Burkina Faso et Madagascar ont été enregistrés.
Officiellement, BNP Paribas assure avoir mis fin au système “entre 2011 et 2012”. « En réalité, BNP a débranché pour de bon sa lessiveuse en 2013, lorsque l’ONG Sherpa s’est emparée de l’affaire », assène l’ancien salarié de BNP Paribas.
- La maison-mère de Genève était au courant depuis janvier 2009
Voilà pour ce que l’on savait déjà. Dans un autre document que Le HuffPost s’est procuré, la filiale monégasque ne serait pas seule impliquée. Genève était également au courant. Dans celui-ci, les conseillers clientèle monégasques adressent un avis au service “Déontologie, éthique et respect” de Genève.
Inscrit dans le coin réservé (capture ci-dessous), on peut lire : “Attendre position Genève sur opérations de compensation menées par le client (20 comptes en interne + ouvertures en cours)”. Quoi de plus normal, compte tenu des mouvements anormaux observés.
Le hic, c’est que cette demande a été adressée le 19 janvier 2009, soit près de 3 ans avant la remise du rapport de l’inspection générale. Pire, le cas en question n’est autre que le fameux “apporteur d’affaires” malgache, cité plus haut. Oui, celui qui redistribuait l’argent une fois après avoir centralisé les chèques à Monaco (via des opérations de compensation, donc). Rappelons que son compte a été bloqué seulement en juin 2011.
Pourquoi BNP Paribas WM Suisse n’a-t-elle pas réagi dès 2009? Pour l’ancien salarié qui s’est confié au HuffPost, cela ne fait pas de doute: « BNP Genève a fermé les yeux sur ce système car il était trop rémunérateur pour la banque ». Chez BNP Paribas, on concède que « la réponse a effectivement pris un peu trop de temps ».
Problème de lenteur? C’est également ce que mettait en avant Jean-Laurent Bonnafé, directeur général du groupe BNP Paribas, pour atténuer l’erreur de sa filiale monégasque. Selon lui, “elle aurait dû être plus diligente dans la façon de réagir”. Pourtant, c’est bien elle qui avait sollicité Genève dès 2009.
Ecouter Jean-Laurent Bonnafé, à partir de 6,30’’
Jean-Laurent Bonnafé, administrateur directeur… par FranceInfo
- La lessiveuse BNP faisait aussi revenir l’argent en Afrique
Mais ce n’est pas tout. En épluchant le rapport auquel le Canard Enchaîné etLibération avaient eu accès, Le HuffPost s’est aperçu qu’une fois placés en lieu sûr à Monaco, les fonds pas très propres retournaient parfois en Afrique (via des filiales BNP), achevant ainsi le « cycle de lavage » de la lessiveuse. Explications.
Lorsque vous voulez obtenir un crédit, l’existence d’une caution peut “rassurer” votre banquier. Dans le cas d’un crédit immobilier, c’est la maison par exemple que l’on hypothèque. Si vous vous retrouvez dans l’incapacité de payer votre mensualité, la banque peut la saisir pour se rembourser. Dans le circuit africain, la garantie proposée au banquier n’est pas une maison mais une somme déposée sur un compte monégasque. Mais le principe reste le même: BNP Monaco a le droit, le cas échéant de piocher dans les comptes mis en garantie. Conséquence? L’agence BNP africaine ne prend donc aucun risque en accordant ce type de crédit. Cerise sur le gâteau, elle est certaine d’engranger au passage les intérêts.
La solution pour boucler la boucle était du coup simplissime: « Aucun des prêts n’était remboursé, détaille l’ancien conseiller. La garantie était alors automatiquement déclenchée ». L’argent partait alors de Monaco vers les filiales BNP en Afrique, à nouveau en toute légalité, afin de rembourser la perte subie. Voilà comment l’argent ayant transité par le Rocher revenait au final sur le continent africain.
Le rapport interne évoque ainsi plusieurs garanties émises en faveur de plusieurs filiales BNP en Afrique, qui sont chargées de débloquer l’argent sur place. Sur un échantillon de 23 comptes suspects étudiés par l’inspection générale de BNP Paribas, 5 avaient fait l’objet d’une garantie, soit 22% du panel. Aucune valeur statistique, bien sûr, mais si on rapporte cette proportion aux 1497 comptes pointés du doigt, cela donne tout de même 325 comptes concernés entre 2010 et 2011…
Des sources proches de l’enquête nous ont indiqué que la société d’audit KPMG effectuerait depuis 3 semaines une mission de contrôle à Monaco. Entre 5 à 10 personnes éplucheraient les dossiers de Dominique Roy, directeur général de BNP sur place. Ce dernier est en congés maladie depuis le 10 mai, soit le lendemain de la parution d’un article de Nice-Matin, évoquant les premiers signes de cette affaire…
La filiale monégasque de la première banque de France aurait mis au point un vaste système de blanchiment d’argent venu d’Afrique. L’affaire, révélée par l’ONG Sherpa, embarrasse le groupe.
L’évasion fiscale, cela ne concerne pas que les pays riches. En Afrique, les fraudeurs font sortir des milliards de devises du continent. Et, pour les aider, il y a les banques. Ainsi, BNP Paribas Wealth Management Monaco, filiale monégasque de la première banque française, est soupçonnée de blanchiment d’évasion fiscale et de fraude au contrôle des changes au détriment d’au moins quatre pays africains : Madagascar, Gabon, Sénégal, Burkina Faso. Selon Jean Merckaert, de l’association Sherpa, qui a révélé l’affaire et saisi la justice monégasque,«cela pourrait concerner des dizaines, voire plus d’une centaine de millions d’euros». Un ancien salarié, licencié pour avoir alerté sa hiérarchie sur ces pratiques, conteste aujourd’hui son éviction devant les prud’hommes de Monaco. L’affaire gêne la banque, qui se targue d’être irréprochable en matière éthique.
Grain de sable. «La lessiveuse africaine», c’est ainsi qu’est surnommé par certains salariés le système astucieux mis en place par BNP Paribas Monaco au début des années 2000. Pour fonctionner, il nécessite la collaboration involontaire de touristes français en voyage en Afrique. Au lieu d’avoir à régler en francs CFA leurs nuits d’hôtel, on leur propose de payer en euros avec leur carnet de chèques, en laissant le nom du bénéficiaire en blanc. Un trafic se met en place : les chèques sont revendus à des compatriotes disposant d’un compte en banque à BNP Paribas Monaco, endossés par ces derniers, et envoyés par courrier à leur banque, qui les encaisse. Pour les participants au trafic, l’intérêt est double : sortir illégalement de l’argent d’Afrique, alors que le contrôle des changes impose de passer par des bureaux de change agréés, et cacher au fisc ses véritables bénéfices commerciaux. Les autorités bancaires françaises, qui gèrent les compensations entre la France et Monaco, n’y voient que du feu : de l’extérieur, les chèques ont l’air de traduire des opérations effectuées en Europe, pas en Afrique.
Jusqu’en 2011, la «lessiveuse» tourne parfaitement. Au centre du dispositif, les commerciaux de la cellule Afrique de BNP Paribas Monaco, qui se partagent le continent. Pour démarcher de nouveaux clients, ils comptent sur les «apporteurs d’affaires», des hommes d’affaires locaux chargés de faire les rabatteurs. Certains se voient confier le soin de centraliser les chèques. Ainsi, selon un document interne de BNP Paribas, un apporteur d’affaires malgache dépose, entre 2008 et 2011, 284 chèques pour un montant de 10,2 millions d’euros. Et ce n’est pas le client le plus prolifique. A Monaco, on s’organise pour traiter l’afflux de chèques. «Tous les jours, on recevait des dizaines d’enveloppes Fedex, raconte un ancien salarié. Les assistantes du service Afrique se plaignaient de n’avoir à faire que cela.»
Pendant des années, la pratique prospère, avec la bénédiction de la direction locale. Ainsi, en 2009, le responsable de la cellule Afrique et le chargé de Madagascar sont débauchés par KBL Monaco (la filiale d’une banque privée belge) pour monter une structure équivalente. En réaction, Dominique Roy, directeur général de BNP Paribas Monaco, se déplace à Madagascar pour convaincre les clients de ne pas changer de banque. Pas de chance, en 2011, un grain de sable met à bas ce beau système. Un salarié en bisbille avec sa hiérarchie (qui lui reproche de ne pas être assez rentable et l’a mis au placard) alerte la direction sur la conformité du trafic de chèques. Une mission d’inspection est envoyée à Monaco. Son rapport, datant d’octobre 2011, ne peut que constater l’évidence : «La mission a relevé un nombre important de remises de chèques en provenance de pays africains. Il apparaît que la banque ne maîtrise pas totalement l’arrière-plan économique d’opérations susceptibles d’être en infraction avec la réglementation du pays de domicile des clients.» Et d’ajouter que cela «génère des risques élevés pour la banque en raison de l’inadaptation du dispositif de conformité».Décision est prise de tout arrêter, mais personne n’est sanctionné. A l’exception du lanceur d’alerte, qui se voit licencier pour «insuffisance de résultat» et «indiscipline».
Ménage. Interrogée, la banque reconnaît les faits, mais les minimise. Il s’agissait de «faciliter les achats sur place de touristes ou d’expatriés français sans compte dans les banques locales», explique-t-elle, tout en reconnaissant que, suite au rapport, il a été mis fin à cette pratique«en 2011 et 2012». Mais cette histoire inquiète. Fin avril, suite aux révélations de Sherpa, le responsable du Wealth Management de la banque, Vincent Lecomte, s’est rendu à Monaco. Sa mission : s’assurer que le ménage a été bien fait dans les comptes Afrique si la justice s’intéresse de près à l’affaire. Pour l’instant, BNP Paribas peut compter sur la légendaire clémence monégasque. Informé des faits par Sherpa il y a un mois, le parquet de la principauté est resté inactif. «Des investigations vont être menées, assurait hier le procureur général Jean-Pierre Dreno. Mais, au stade actuel, il n’est pas question de saisir un juge d’instruction.»
liberation.fr
Documents assemblés par xalima
Malheureusement le phénomène est beaucoup plus répandu. J’ai des amis militaires français en poste à Dakar qui donnent chaque mois des chèques à des commerçants libanais et qui encaissent les chèques en France moyennant de l’argent liquide. Cela leur évite de retirer de l’argent et d’éviter les frais mais permet aux autres de blanchir impunément de l’argent.
Ce système est très vaste et va au delà des touristes.
Il y a un bon moment que je n avais pas lu une lecture de ce niveau !!!