C’est dramatique ! Le ministre de l’Economie et des Finances, Amadou Kane, était fort à la peine vendredi dernier, pour défendre un projet de loi de finances rectificative. Il était acculé par les députés qui étaient étonnés et scandalisés par le recours, on ne peut plus abusif, à des décrets d’avance pour faire fonctionner l’appareil d’Etat. Si la procédure de recourir à des décrets d’avance est des plus acceptables et est normée par la législation sur les finances publiques, il n’en demeure pas moins que le gouvernement de Macky Sall était attendu sur un autre terrain.
Tant il a vanté sa résolution de réaliser une gouvernance publique sobre et vertueuse. Mais Macky Sall a tellement usé de décrets d’avance, qu’il est en passe de faire de son prédécesseur Abdoulaye Wade, un modèle de bonne gouvernance (!). Pourtant, on pensait avoir déjà appris et assimilé avec Me Wade les leçons de «ce qu’il ne faudrait plus faire». En six mois d’exécution du budget de l’année 2013, le gouvernement a eu à faire recours à quelque 26 décrets d’avance pour un montant de 100 milliards de francs. C’est comme qui dirait que chaque semaine, le gouvernement a eu à faire recours à un décret d’avance. A ce rythme, à la fin de l’année, le gouvernement aura fait recours à plus de décrets d’avance que Abdoulaye Wade n’avait eu à en prendre durant tout son règne. De façon caricaturale, on peut considérer que le gouvernement a mis de côté le budget approuvé par l’Assemblée nationale pour gouverner par décrets d’avance. Le recours à des décrets d’avance, qui ne dépasse pas une moyenne de 2 à 4 par année d’exercice budgétaire dans des pays de gouvernance normale, est devenu la règle et l’exécution du budget dans les formes votées par le Parlement devient alors l’exception. Que l’on s’entende bien, il n’y a rien d’illégal à recourir à un décret d’avance qui est une technique ou un outil qui permet au gouvernement de majorer les crédits limitatifs et d’en ouvrir, sans demander l’autorisation du Parlement, qui devra tout de même ratifier le décret, a posteriori. Ces décrets sont encadrés par des conditions variables selon qu’il y ait «simple urgence» ou «urgence et nécessité impérieuse d’intérêt général». Dans des pays comme la France, le recours à un décret d’avance est presque «prohibé» ou à tout le moins, ne fait pas la fierté d’un gouvernement. Les décrets d’avance sont soumis à un avis préalable du Conseil d’Etat. Mais subitement au Sénégal, chaque semaine il y a une «urgence et une nécessité impérieuse d’intérêt général». Il est donc question dans le cas d’espèce d’un grave problème de discipline budgétaire. Pourquoi cela ? Justement parce que le budget ficelé par le gouvernement ne traduit pas les engagements et orientations politiques du président de la République. Macky Sall est devant une situation ubuesque de devoir exécuter un budget dans lequel il ne retrouve pas ses engagements dans son programme de gouvernement «Yoonu yokkuté» notamment sur les inondations, la politique de bourses familiales, l’habitat social, l’emploi des jeunes, entre autres. Or, le b.a.-ba de la finance publique voudrait que le budget soit la traduction ou l’instrument d’exécution ou de réalisation d’une politique de gouvernement. Le processus budgétaire doit permettre la meilleure allocation possible des ressources. Résultat des courses ? Macky Sall se retrouve à devoir corriger de manière permanente le budget. Comment a-t-on pu arriver à cette situation qui montre que le chef de l’Etat et son gouvernement ne sont pas en phase sur leurs orientations de gouvernement. Pourtant, il y a eu à l’Assemblée nationale un débat d’orientation budgétaire dans le cadre de la préparation du budget 2013 comme il y a eu des séances d’arbitrage budgétaire au sein du gouvernement. Aussi, dans chaque communiqué du Conseil des ministres on découvre que le chef de l’Etat fixe des orientations précises que malheureusement, son gouvernement n’a pas su traduire dans le budget.
En vérité, si le budget n’a pas traduit les desiderata du chef de l’Etat, c’est justement parce que ses préparateurs n’ont pas fait preuve d’imagination. Ils sont simplement allés copier le budget dans les contours laissés par Abdoulaye Wade. En 2012, on pouvait bien comprendre le recours à des décrets d’avance, car le budget trouvé sur place était l’instrument d’un programme de gouvernement différent. Mais pour 2013, le budget aurait dû traduire la politique réelle du gouvernement de Macky Sall. Mais là où le bât blesse le plus, c’est qu’en commission des Finances, les députés, y compris ceux de la majorité, avaient insisté en vain pour avoir le détail des décrets d’avance. Cette opacité a renforcé la suspicion. Le président du groupe parlementaire Benno bokk yaakaar, Moustapha Diakhaté, s’est étranglé de rage. Il s’est en effet fait hara-kiri, car il se proposait de «coincer» l’opposition en mettant en place une Commission d’enquête parlementaire sur quelque deux décrets d’avance signés par Abdoulaye Wade. Il se rendra compte que ses «gars» n’ont pas fait mieux, sinon même qu’ils ont fait pire. La majorité parlementaire aurait pu refuser d’avaliser les turpitudes du gouvernement et refuser de voter la loi de finances rectificative. Le cas échéant, elle provoquerait une crise politique majeure. Si le ministère des Finances se révèle cruellement incompétent en la matière, où est le Premier ministre qui a fait une Déclaration de politique générale axée sur le programme Yoonu yokkuté ?
La situation ressemble étrangement à celle vécue en 2007, année noire pour les finances publiques. Le régime de Abdoulaye Wade avait eu recours à des décrets d’avance pour un montant de plus de 172 milliards, suscitant un tollé général. Le ministre du Budget d’alors, Ibrahima Sarr, en avait fait les frais, car les bailleurs de fonds ne pouvaient plus s’en accommoder. En juin 2013, on revit la même situation. Le gouvernement est sorti du cadre convenu avec le Fonds monétaire international en exécutant un budget différent. On appréhende beaucoup la prochaine revue avec le Fmi, prévue pour le mois de septembre. Et sur ce terrain, le Président Macky Sall sera bien fragilisé. Sa crédibilité et le sérieux de son gouvernement en prendront un sacré coup. Macky Sall a une belle image sur le plan international grâce à sa politique de transparence, mais cette défaillance sur le plan interne risque de l’écorner.
Par ailleurs, le gouvernement vient de présenter aux députés un programme pluriannuel d’investissements, dans lequel ne figure aucun des engagements pris par le président de la République, à l’occasion des Conseils des ministres décentralisés. Là aussi, si on n’y prend garde, le réveil risque d’être douloureux.
Madiambal Diagne
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