C’est un homme meurtri qui garde encore les souffrances de son face-à-face avec Aïda Ndiongue à la Section de recherches. Giflé, insulté, il continue toujours de recevoir des menaces. Personnage central de la traque des biens mal acquis dans les produits phytosanitaires et le Plan Jaxaay, Kalifatoulaye Coulibaly, directeur général de Compagnie générale européenne de sécurité revient dans cet entretien sur cet épisode et aussi les rebondissements liés à cette affaire sulfureuse.
Vous êtes le patron de Cgse Afrique, spécialisée dans l’importation des produits phytosanitaires. Que faîtes-vous concrètement ?
En Afrique, le paludisme fait des ravages, ainsi que le choléra. Je suis spécialisé dans ce domaine pour apporter mon concours pour combattre ces maladies et surtout les moustiques et l’agent qui transmet le choléra. Sur le plan économique, j’ai un partenariat avec l’usine Ceetal qui devait être délocalisée en Afrique. Et c’est le Sénégal qui devait abriter son siège. Malheureusement, nous n’avons pas atteint nos objectifs qui consistaient à écouler 10 mille litres d’Agrigerm 2000 par an. Il y a l’épidémie de choléra et aussi le phénomène des criquets pèlerins que nous avons aidé à combattre. Chaque fois, nous avons été réquisitionnés parce que l’Etat n’avait pas le temps de procéder à des appels d’offres. Parfois, il n’a pas les moyens de nous payer. Même si on est régularisé après, par des marchés. Nos produits sont reconnus mondialement et par les autorités sénégalaises. Actuellement, l’Etat nous doit 125 millions de Francs Cfa qu’il ne veut pas payer.
Comment êtes-vous arrivé à ce que l’Etat vous doive 125 millions ?
On m’a réquisitionné en 2005 lors des évènements religieux de Tivaouane, de Touba, de Ndiassane et de Popenguine. A cette époque, le choléra sévissait. Issa Mbaye Samb (défunt ministre de la Santé) m’a réquisitionné. J’ai fait ma facture avec les preuves, et les signatures des préfets, des sous-préfets, des médecins chefs des régions et des Crf. Ils ont approuvé mes activités. Parce qu’il s’agit de marchés que je gagne par entente directe.
On m’a demandé d’attendre 2007 pour être régularisé. Finalement, les 125 millions ont glissé dans les dettes extrabudgétaires. L’agent judiciaire de l’Etat m’a dit qu’ils ont fait des arbitrages. Certaines entreprises ont été payées à 100%, d’autres à 50%. Je suis rangé dans la dernière catégorie. J’ai payé les frais de douanes, les salaires de mon personnel, le carburant. J’ai fait le travail à la place du Service d’hygiène en préfinançant.
Aviez-vous un contrat en bonne et due forme ? N’est-ce pas de la naïveté ?
L’Etat a sans doute raison dans son raisonnement. Je n’aurai pas dû faire le travail sans documents valables. Compte tenu de l’urgence, j’ai accepté de faire le travail. Si c’est à refaire, je n’aurai pas refait la même chose. Je n’ai pas porté plainte contre l’Etat. Je me suis simplement dit : «Pourquoi des gens qui n’ont pas fait leur marché sont payés, et non moi ?». Auparavant, on me réquisitionnait de la même façon. A chaque fois, on m’a payé mes factures.
En 2007, le Plan Jaxaay, confronté aussi à un manque de moyens humain, technique et logistique nous avait sollicités pour traiter les bassins de rétention de Dakar. J’ai signé un marché de 534 millions pour 12 mois. Pourtant, les zones des Niayes et des Maristes ne faisaient pas partie de notre cahier de charges. Alors qu’on les a traitées intégralement. A ma grande surprise, le Plan Jaxaay a pris mes produits pour les vendre à Egfed (Entreprise générale de fournitures et entretien divers), à des taux exorbitants.
Comment est-ce-possible ?
Le Plan Jaxaay a donné mes produits à Egfed qui les revend à 175 mille Cfa le litre. Dans quel pays sommes-nous ? Dans notre facturation, nous avons pris en compte la situation économique du Sénégal pour vendre nos produits à des prix très accessibles. Alors qu’ils devaient être vendus beaucoup plus cher. Ils sont vendus là-bas en France à 30 mille Cfa le litre alors que je le revends à l’Etat du Sénégal à 25 mille.
Il faut relever une incohérence dans vos propos : Vous avez l’exclusivité de vos produits. Comment se sont-ils retrouvés entre les mains des responsables de l’Egfed ?
L’exclusivité est une garantie sécuritaire s’il y a des problèmes sanitaire ou environnemental, l’usine sera tenue responsable. Je suis responsable devant l’Etat. Je confirme que je suis la seule personne qui détient l’exclusivité de ces produits. L’Etat décide de confier ce marché à une tierce personne sachant que je détiens l’exclusivité de ce marché. D‘ailleurs, cette personne ne peut pas acheter ce marché à l’usine. Egfed n’est jamais venue acheter mes produits. L’usine Ceetal a même porté plainte contre Egfed.
Comment Egfed a réussi à livrer vos produits au Plan Jaxaay ?
Egfed passait par mes employés qui volaient mes produits pour les revendre à l’Etat. Quand je traitais les bassins, ils étaient entre les mains de mes employés. C’est la seule explication que je puisse donner pour répondre à vos questions. Je n’ai jamais vendu un seul litre à cette entreprise. Jamais au grand jamais. Aucun litre n’a été livré. Pis, ils sont surfacturés.
Qu’avez-vous fait pour que cette situation cesse ?
On a connu un énorme préjudice. J’avais signé un contrat exclusif avec l’Etat pour un montant de 584 millions sur plusieurs années. C’était en 2005. Depuis 2008, je n’ai plus eu de marchés parce que j’ai refusé certaines compromissions. Paradoxalement, tous les besoins de l’Etat sont confiés à Egfed qui ne peut pas acheter les produits. De 2007 à 2012, Egfed n’est à aucun moment venu chez moi pour acheter nos produits. Le manque à gagner est énorme pour l’Etat. Je souffre de cette situation aussi parce que mon entreprise ne fonctionne plus. Ce qui me fait un préjudice de plus de 3 milliards de Francs Cfa.
Il faut admettre que l’Etat du Sénégal est libre de choisir un quelconque partenaire…
Je n’en disconviens pas, surtout que l’Etat exprime aussi d’autres besoins en produits phytosanitaires. Mais, les besoins exprimés m’appartiennent. Si cette personne peut avoir mes produits ailleurs, il n’y aura jamais de problèmes. En dehors de Cgse Afrique, personne ne peut vendre mes produits. J’ai interpellé l’usine qui m’a dit qu’elle n’a jamais vendu nos produits à quelqu’un d’autre (Il exhibe une attestation de l’usine). J’ai interpellé le Service d’hygiène qui ne m’a fourni aucune réponse. J’ai porté plainte pour «faux et usage de faux, vol en bande organisée, tentative de déstabilisation de ma société» auprès du procureur de la République. La Section de recherches avait mené toutes les enquêtes. Elle a envoyé le dossier depuis mars. Ensuite, Ousmane Diagne [ancien Procureur de la République. Ndlr] m’a dit que l’enquête a été confiée de nouveau à la Division des investigations criminelles. Le procureur leur avait demandé de reprendre l’enquête parce qu’elle n’était pas satisfaisante. Je suis l’unique partie civile de cette affaire. Je ne comprends pas pourquoi on a jumelé ma plainte à celle du Plan Jaxaay. Il y a une volonté manifeste de me nuire parce que je n’arrive plus à passer de commande auprès de mon fournisseur.
Aujourd’hui, il y a un nouveau régime en place. Vous a-t-il sollicité ?
Il y a effectivement de nouveaux responsables au niveau du Service national d’hygiène qui m’ont exprimé leurs besoins. Ils concernent totalement mes produits. J’ai accepté en attendant les termes du contrat.
N’est-ce-pas contradictoire parce que le ministre de la Santé avait soutenu sur la Tfm que vos produits sont cancérigènes ?
Effectivement, elle l’a dit en soutenant qu’elle a demandé une enquête. Malheureusement, elle s’est impliquée dans un dossier pendant à la justice. Elle aurait dû faire la lumière sur ça. Aujourd’hui, le Service d’hygiène exprime ses besoins chez moi. Dans le cadre de ce marché de 72 millions, je n’ai pas soumissionné parce que je n’avais pas le temps. J’étais à Bamako pour installer mon entreprise dans ce pays. Set 2000 a soumissionné à ma place en rajoutant une marge bénéficiaire. Il achète chez moi à 41 millions avant de revendre à 72 millions à l’Etat. Nous lui avons fourni nos fiches et nos échantillons. Pourtant, les stocks sont toujours là. Comme d’habitude, les pratiques du Plan Jaxaay ont été reconduites. On ne peut pas changer les produits contenus dans un marché attribué. On peut annuler un marché, mais on ne peut le changer. Mais, il y a une chaîne de complicités dans l’administration. Car, il y a eu une substitution de documents et non de produits.
Aujourd’hui, j’ai envoyé une sommation à Awa Marie Coll Seck, qu’elle refuse de prendre. Je vais lui servir une citation à comparaître dans les prochains jours, comme elle prétend que nos produits sont cancérigènes. C’est pour cette raison que ses services ont changé les produits. Elle prétend aussi qu’il y a un décret qui interdit en France la vente de nos produits. Je la somme de produire ce décret parce que ces produits sont commercialisés en France et partout dans le monde.
Quand j’ai découvert le pot aux roses, j’avais porté plainte contre Set 2000 pour escroquerie, abus de confiance et détournements de deniers publics. J’ai demandé mon dédommagement à hauteur de 41 millions. Le dossier est toujours pendant à la justice. J’ai contesté la décision du Parquet. A l’époque, Ousmane Diagne avait renvoyé le dossier auprès de la Section de recherches en leur disant qu’il ne porte pas plainte. Il avait dit que le fournisseur n’a pas failli à son marché parce qu’il a eu à livrer les produits. J’ai été réentendu par la Section de recherches. L’affaire a été retournée au Parquet, le dossier est entre les mains du premier substitut du procureur.
Le dossier des produits phytosanitaires connaît une évolution avec les auditions des personnes présumées impliquées dans ce scandale, par le Doyen des juges. Cela vous rassure-t-il ?
Je suis dubitatif. Si on tient compte des preuves flagrantes qui existent dans ce dossier, je ne suis pas rassuré. Parce qu’il s’agit d’un pillage organisé, d’un vol en bande organisée. Des faux documents sont établis alors qu’Egfed est payé sur la base de ceux-ci depuis 2007. Alors que je ne lui ai jamais livré de produits. J’ai des doutes sur cette procédure. Je ne comprends pas que tous ces gens puissent sortir du Tribunal sans mandat de dépôt. Je suis en contentieux avec des personnalités qui ont permis de piller les deniers publics. Je serai intransigeant sur cette affaire. Je ne peux pas accepter qu’on utilise les noms de mes produits pour détourner l’argent public. J’ai porté plainte contre l’Egfed, le Plan Jaxaay et X.
Avez-vous eu à collaborer avec Aïda Ndiongue, propriétaire d’Egfed ?
Non ! Je l’ai rencontré une seule fois à la Section de recherches. Ce jour-là, elle m’a giflé.
Comment est-ce possible qu’une telle situation puisse se produire dans les locaux de la gendarmerie ?
Pourtant, elle l’a fait. C’était lors d’une confrontation avec elle sur la livraison qu’elle a eu à faire en 2009. On m’a dit si je la connaissais. J’ai dit non. Elle a dit qu’elle ne me connaissait pas non plus. Elle a soutenu que les agents du Service d’hygiène lui ont dit qu’elle peut se procurer des produits chez moi. Mais, elle m’a dit qu’elle n’est jamais venue chez moi. Elle m’a dit qu’elle a eu à livrer mes produits mais en les achetant à Thiaroye. Je lui ai dit que je ne vends mes produits qu’à l’Etat du Sénégal. Je me suis équipé pour venir en appoint au Service d’hygiène pour un meilleur résultat. Entre temps, les cas de paludisme ont fortement baissé. On peut dire que c’est grâce aux moustiquaires imprégnées. Samba Ndiaye m’a dit qu’en 2004, toutes les larves de moustique avaient disparu.
Dîtes-nous ce qui s’est passé à la Section de recherches ?
En pleine audition, je lui ai dit que vous vous êtes mis dans une position inconfortable. Je lui ai dit que je vends mes produits à 25 mille le litre alors que vous les vendez à 175 mille Francs. Vous auriez dû acheter ça chez moi. Elle m’a dit : «Je m’en f… de vous». Je fais ce que je veux. J’ai eu mon marché, j’en fais ce que je veux. Je lui ai dit que vous n’avez pas le droit d’utiliser le nom de mes produits pour soumissionner. Elle a ensuite dit qu’elle s’en f… Je lui ai rétorqué que je ne vole pas mon pays, même si j’ai investi pour gagner de l’argent. Elle a dit : «c’est moi la voleuse» ? A deux reprises, elle m’a demandé si je ne suis pas un voleur. Elle a dit : «Dans ce cas, c’est moi la voleuse». Elle m’a insulté de mère, elle s’est jetée sur moi en me frappant avec son sac. Elle a mis son doigt dans son sac. Il y avait les gendarmes, son employé et un agent du Service d’hygiène qui nous ont séparés. Le gendarme qui faisait l’audition m’a demandé de partir. Elle a appelé un intermédiaire pour lui dire que ses garde-corps sont armés. C’est l’ensemble de son entourage qui va me traquer. J’ai appelé le Commandant de la gendarmerie pour l’informer. Il m’a assuré en disant que s’il était présent, il allait la mettre aux arrêts. Il m’a dit que les menaces de mort vont cesser.
Pourquoi, vous n’avez pas porté plainte sur le champ ?
Je voulais savoir les développements futurs de cette affaire. Je pensais que je dois être en sécurité dans les locaux de l’Etat. Ce qui n’a pas été le cas. Il n’y a pas eu d’arrestation immédiate. J’ai été naïf de croire qu’il y aura une suite. Mais, il ne s’est rien passé parce qu’il n’y a pas eu de suite. Si c’était moi, je serais aux arrêts. Cette personne a été calmée gentiment par les gendarmes. Mais, le procureur de la République n’a rien fait après plusieurs semaines. Il a été informé sur le champ par les officiers de la gendarmerie. Malgré tout ça, il ne s’est rien passé. Je suis victime d’injustice.
J’ai servi une citation directe à Aïda Ndiongue pour «injures, voies de fait et menaces de mort». J’ai cité un gendarme comme témoin dans cette affaire. Le juge a renvoyé l’affaire pour fixer la caution. La date de l’audience est fixée au 16 juillet. Je suis prêt à aller au bout de cette affaire malgré les menaces. On a détourné 77 milliards. Je continue de recevoir des coups de fil anonymes.
Etes-vous prêt à régler cette affaire à l’amiable si on vous désintéressait à hauteur du préjudice subi ?
Si on paie les 3 milliards, je réfléchirai. Pendant ce temps, il faut que l’Etat décide de régler cette affaire à l’amiable. Si ce n’est pas le cas, j’irai jusqu’au bout, malgré les menaces et les intimidations.