Sénat burkinabè : Les propos politiquement corrects de Macky Sall
Pour un exercice de cirage de pompes, c’en fut un. En séjour de 72 heures dans la capitale burkinabé du 20 au 22 juillet 2013, le président sénégalais, Macky Sall, s’est prêté à des numéros pour le moins cocasses. «C’est une visite dans un pays respecté pour son model de développement et pour sa conviction que seul le travail paie». Le ton était donné dès l’aéroport international de Ouagadougou, où s’est posé l’avion présidentiel.
«Pays respecté…», pays aujourd’hui divisé. Avec cette situation sociopolitique délétère marquée, entre autres, par la «guerre de la rue» qui opposent la mouvance présidentielle à l’opposition politique soutenue par une partie de la société civile au sujet du futur Sénat et de l’éventuelle révision de l’Article 37.
Dernier épisode en date de la polémique au sujet de la seconde chambre, la lettre pastorale des évêques du Burkina (Cf. notre édition du lundi 22 juillet 2013). De mémoire de Burkinabé, sauf erreur ou omission, ce fut la première fois que les prélats ont fait usage d’une telle artillerie lourde pour exprimer leur désaccord avec le pouvoir.
Dans leur sortie qui restera historique à tous points de vue, les ecclésiastiques ont joué d’un argument massue. Pour rappeler qu’ils ont de la mémoire, ils ont pertinemment ressorti l’exposé des motifs qui avaient prévalu à la suppression de la seconde chambre burkinabè en 2002. […] Après dix ans de fonctionnement régulier de nos institutions, notre processus démocratique a aujourd’hui atteint sa vitesse de croisière et l’Assemblée nationale fait preuve d’une efficacité progressive incontestable.
En outre, l’institution de la fonction publique parlementaire a permis aux députés de disposer d’un encadrement suffisant pour les aider à émettre des avis conséquents à l’occasion du travail législatif.
Il importe également de noter que le Gouvernement, pour plus d’efficacité dans le travail législatif, s’est doté d’une commission technique de vérification des avant-projets de loi avec pour mission de procéder à un toilettage systématique et conséquent des textes des avant-projets de loi avant leur soumission au Conseil des Ministres puis éventuellement à l’Assemblée nationale.
Enfin, l’expérience des parlements bicaméraux révèle une lourdeur administrative source de lenteur, en sus des coûts de fonctionnement très élevés pour les fragiles économies de nos Etats.
Dans notre pays, l’option prise de lutter contre la pauvreté commande que nous tenions compte de la question des coûts tout en ne perdant pas de vue la nécessité d’élargir la base du débat démocratique […]». Imparable !
Les évêques ont-ils prêché dans le désert ? Ou qui sait si les destinataires de cette épitre au vitriol ajouteront foi à un tel sermon qui pour être virulent n’en demeure pas moins un acte de haute portée républicaine ? « Les voies du Seigneur sont impénétrables », rappellent certains, avec la foi du charbonnier.
Alors, foulant pour la première fois la terre du pays des hommes intègres dans une telle ambiance à couper au couteau, le président sénégalais pouvait-il éviter de mettre sa bouche dans cette polémique nationale ? Assurément que non !
Retour dix mois en arrière dans l’actualité politique au pays de la « Teranga » : le 19 septembre 2012, le Parlement sénégalais vote le projet de loi portant dissolution du Sénat. Ce fut l’une des premières grandes mesures prises par celui qui venait de succéder six mois auparavant au président Abdoulaye Wade. Exposé des motifs: « La suppression du Sénat permettrait d’économiser 12 millions d’euros par an et que ces économies financeraient, dans l’immédiat, la lutte contre les inondations ».
Mais contre toute attente, c’est le même chef de l’Etat, soucieux de l’affectation judicieuse des deniers publics, qui pousse les partisans du Sénat burkinabé à la roue. « Un Sénat peut parfaitement se comprendre dans une démocratie ».
« M’enfin, de qui se moque Macky Sall ?» serait-on tenté de se demander.
Mais on ne peut comprendre l’hôte de marque, flanqué de son amphitryon Blaise Compaoré, lors de la conférence de presse. Il ne pouvait que tenir des propos politiquement corrects. Il n’allait quand même pas froisser ou agacer celui qui venait de lui offrir gîte et couvert.
Mais le maître des lieux n’étant pas dupe, il devait se dire que c’était là un discours diplomatique auquel son auteur lui-même ne croit guère. Lui qui a mis fin à l’expérience ruineuse du bicaméralisme dans son pays.
On ne cessera de le répéter, c’est moins l’importance, dans l’absolu, d’un Sénat dans l’armature institutionnelle que son opportunité qui pose problème.
Quand on convoque l’exposé des motifs, on ne peut que se demander quel miracle économique notre pays a opéré, en l’espace de dix ans, pour ressusciter une institution naguère jugée budgétivore.
C’est vrai que dans certains milieux, plus qu’un thème de campagne politique, le Burkina Faso est un pays émergent. Même si on n’en voit pas la réalité.
Mais plus sérieusement, aussi bien du point de vue raffinement démocratique que de la solidité économique, on ne voit pas en quoi notre pays est mieux que le Sénégal pour se payer le luxe de dépenses superflues pour assouvir on ne sait quels desseins cachés.
On imagine que dans le secret de l’avion qui l’a ramené, Macky Sall devait rire sous cape de sa déclaration sur le Sénat burkinabé. Et Blaise devait, lui, mourir de rires des facéties de circonstance de son visiteur.
Comme quoi, la comédie se joue parfois dans la cour des grands, entre grands. Un moyen peut-être « d’éviter d’être au sérieux, pour mieux prendre au sérieux les choses vraiment sérieuses ».
Alain Saint Robespierre http://www.lobservateur.bf/