L’ancien directeur du Cadastre, Tahibou Ndiaye, a été libéré après avoir transigé sur une partie de ses biens jugés illicites. Ce cas constitue un précédent grave dans la «traque des biens mal acquis».
Le remaniement a relégué au second plan l’affaire Tahibou Ndiaye. Le dossier de l’ancien directeur du Cadastre reste une tâche sombre sur le passage du tout nouveau Premier ministre, Mimi Touré, à la Justice. Il jette un sérieux doute sur le crédit que l’on doit accorder à la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) et à cette opération dite «traque des biens mal acquis».
Passons sur la rapidité pour le moins troublant avec laquelle cette affaire a été bouclée. Craignait-on un déballage sur la place publique de détails encombrants ? La gestion du foncier sous Wade est sans doute le scandale le plus frappant : un pillage systématique des réserves foncières de Dakar qui frise le paathio (partage). Que cette affaire soit expédiée en un temps record a de quoi fonder le soupçon.
Le plus ahurissant, c’est ce revirement à 180 degrés opéré par Mimi Touré. Après avoir crié urbi et orbi que le gouvernement ne fera pas dans la médiation pénale, Aminata Touré a recouru à cette méthode dont la légalité est d’ailleurs contestée par certains juristes. Et à charge à son ministre et porte-parole, Abdou Latif Coulibaly, de défendre cette contradiction, quitte à s’auto flageller publiquement. Cela révèle au moins une chose : dans ce dossier ultra sensible qui, depuis 15 mois mobilise les énergies et l’opinion, le gouvernement ne suit pas une ligne cohérente encore moins des principes établis.
Mais revenons à la question de la médiation pénale. Sur un patrimoine personnel estimé à 7 milliards, l’ancien directeur du Cadastre aurait consenti à remettre 3 milliards à l’Etat en échange de sa liberté. La question qui est sur toutes les lèvres, c’est pourquoi accorde-t-on à Tahibou Ndiaye le privilège de jouir d’un avoir jugé illicite. Un cadeau que l’on ne fera ni au petit voleur de Sandaga, ni au pauvre pickpocket de Thiaroye pris dans les mailles de la justice.
La part remboursée sur le patrimoine personnel de M. Ndiaye est jugé dérisoire. «Sur 7 milliards, c’est ahurissant de ne remettre que seulement 3», s’indigne l’ancien ministre Thierno Lô, que l’on ne peut soupçonner de sympathie avec le pouvoir en place.
Cette transaction soulève tout un tas de questions, dont une en particulier : quel pourcentage des biens mal acquis doit-on céder à l’Etat pour recouvrer sa liberté. Est-ce une loi mathématique ou juridique ?
Avec une telle pratique, la crainte est légitime que la Crei devienne l’antichambre d’une justice où l’on se livre à des négociations financières après avoir pillé le pays. Et c’est la porte ouverte à l’impunité : «Volez, après vous pourrez toujours rendre une partie !»
L’Etat y trouve son compte. Car la quête de résultats chiffrés pour justifier aux yeux de l’opinion une procédure longue et coûteuse l’emporte sur le souci d’une justice équitable et transparente.
Dans le fonctionnement de la Crei, la solution de la négociation pose un problème éthique. Au-delà de l’argument historique («Diouf l’avait créé»), la Crei droit prouver sa crédibilité. La sélection des présumés coupables repose sur des critères d’apparence. Là abondent des interprétations subjectives, de quoi ouvrir une instruction qui peut avoir un rapport douteux avec la justice. Pour éviter l’arbitraire, le procès doit s’imposer comme la norme. Il permet non seulement de livrer un verdict, mais d’édifier sur la fiabilité d’un système d’accusation basé sur d’inversion de la charge de la preuve.
La prison étant brandi comme une épée de Damoclès, un accusé peut céder ses biens, acquis de façon légale, pour éviter une épreuve dégradante et humiliante sans que rien que vienne justifier le bien-fondé de cette accusation.
En revanche, l’on peut détourner des deniers publics et s’en tirer à bon compte en échange de quelques modiques biens remboursés.
Militant des droits humains, le nouveau ministre, Me Kaba devra s’atteler à corriger les tares de la Crei. Sans compter que le principe même qui justifie l’existence de cette juridiction, l’Etat de droit, s’accommode mal de cette atmosphère de traque et où se mêlent le viol systématique de la présomption d’innocence et lynchage médiatico-judiciaire.
Abdou Rahmane MBENGUE
Walf Grand’Place via seneplus.com