« En politique, la communauté des haines fait presque toujours le fond des amitiés » disait Alexis Tocqueville. Remplacez amitiés par alliance, et vous verrez nettement que la communauté des calculs et des arrière-pensées fait réellement le fond de cette coalition de coalitions qui s’appelle – le nom sonne faux – : Benno Bokk Yakaar, en abrégé BBY.
Sortie des viscères d’une colère plurielle farouchement dirigée contre Abdoulaye Wade, la coalition BBY n’a jamais été une addition de volontés sincèrement orientées vers un compagnonnage durable. La stricte vérité est qu’en mars 2012, la politique a planté un décor et forgé des circonstances qui ont bousculé les verrous d’adversité les plus solides, avant d’imposer le choix de barrer collégialement la route à la « monarchisation » accélérée (vice-présidence, quart boquant) du wadisme crépusculaire mais encore outillé pour être nuisible aux carrières respectives de Macky Sall, d’Idrissa Seck, de Moustapha Niasse et d’Ousmane Tanor Dieng.
Conglomérat de partis et cellule de chefs, Benno Bokk Yakaar est donc congénitalement une alliance grosse de clash ; parce que lourdement chargée des germes de son effritement inéluctable. Sous cet angle, le Président du parti Rewmi, Idrissa Seck, n’a fait que hâter l’heure de vérité, en quittant une majorité politique et une galaxie présidentielle où les membres sont habillés, le jour, en alliés aimables ; mais embusqués, la nuit, tels des alligators affamés dans les marécages de l’Amazonie.
Presque rien de nouveau sous le soleil de la politique, me direz-vous ? Et de la guerre qui n’est autre chose que l’autre versant de la politique. En effet, toute coalition (politique comme militaire) a son heure de vérité proche ou lointaine. Le but initial de BBY (élimination par voie électorale de Me Abdoulaye Wade) étant proprement atteint, Idrissa Seck a rapidement préféré s’éloigner d’un cartel de partis qui gouverne bizarrement, sans un brassage de programmes ni une fusion des visions. Uniquement avec des quotas. Le fameux Yoonu Yokkuté est-ce le programme bien ficelé de l’APR et de Macky 2012 ou la macédoine voire le pot-pourri de BBY ?
En vérité, une alliance s’éteint quand son objet s’évapore. Hier, la défaite de Wade avait rassemblé la phalange des leaders (toutes sensibilités confondues) heureux d’avoir culbuté le dernier des Mohicans, seul survivant parmi les hommes politiques ayant électoralement affronté le Président Senghor. Aujourd’hui, le programme de Macky Sall – à l’épreuve de l‘hivernage, de la pénurie d’eau et du chômage – fissure le bloc des vainqueurs aux ambitions futures et …rivales.
Il s’y ajoute que le maire de Thiès (non candidat à sa propre succession, en 2014, mais à celle de Macky Sall, en 2017) reste un acteur trépignant d’impatience, un amateur de poker politique, et un lecteur toujours éveillé du contexte national qui lui semble, maintenant, stratégiquement porteur voire prometteur. Observons ensemble : la majorité a absorbé toutes les formations significatives, à l’exception du PDS éprouvé par une traque qui ressemble à une chasse à courre. C’est là un consensus joliment stabilisateur mais fâcheusement soporifique. D’autant plus hallucinogène que la Société civile censée servir de contrepoids s’est, elle aussi, liquéfiée avec ses figures de proue qui – suivez mon regard – sont allées à la soupe. La dernière recrue (recrue de taille) du Président de la république étant Sidiki Kaba.
Face au désert à peine occupé par les médias ; et devant les populations orphelines de défenseurs mais tenaillées par la demande sociale et accablées par les inondations, Idrissa Seck a exploité l’aubaine des péripéties du remaniement du 1er septembre (reconduction de Pape Diouf et d’Oumar Guèye sans la bénédictin de Rewmi) en fermant la parenthèse sur un an et demi de coalition ou de carcan BBY qui cloisonne son champ de manœuvre. Cette posture nouvelle lui permettra, à travers les tournées dans le pays profond, la liberté de ton dans le débat national et la prestation de la brochette de députés rewmistes à l’Assemblée nationale, de capter les dividendes nés du malaise ambiant et des doutes latents. En clair, les observateurs n’ont besoin ni de compas ni de périscope, pour voir qu’Idrissa Seck met le cap sur le premier trimestre de 2017.
Il va sans dire qu’il est plus facile de tirer des plans sur la comète que de gagner une élection présidentielle dans quatre ans et demi. Mais la politique n’est-elle pas cet art magique qui consiste à transformer un handicap en atout ; un inconvénient en avantage et un obstacle en tremplin etc. ? Tous les hommes et femmes politiques sont des alpinistes nés, c’est-à-dire aptes à remonter les pentes les plus hautes et les plus abruptes.
Le premier démissionnaire de la coalition BBY a d’autant moins le choix qu’il n’en existe qu’un. Et s’impose à lui, au regard de la carte électorale très bariolée du Sénégal (assez tachetée à l’image d’une peau de léopard) qui empêche l’hégémonie d’un parti, et favorise l’âge d’or des détestables mais inévitables alliances. Je l’ai expliqué successivement sur Africable et sur Sen Tv. Je le reprends dans ce Laser. Le schéma stratégique – aussi bien dicté par le rapport de forces que choisi par Idrissa Seck – s’articule (grossièrement) autour de deux actions et d’un point d’appui.
Arrivé cinquième à la présidentielle de 2012 – derrière Wade, Macky, Niasse et Tanor – Idy devra primordialement pulvériser Benno Bokk Yakaar. Car cette coalition, bien que politiquement vulnérable, reste électoralement une entité massive et dominante. Une vraie muraille qui gêne le Président de Rewmi. Et c’est précisément le poids électoral en baisse de Rewmi, une formation d’obédience libérale, qui aiguillonnera le maire de Thiès (deuxième et stratégique action) vers les débris, et non les instances dirigeantes et rétives du parti fondé par Wade. Enfin, Idrissa Seck en quête d’appui ultime et décisif, ouvrira un axe de partenariat électoral en direction du PS dont le patron actuel (Tanor) demeure un allié potentiel et un ami réel du leader de Rewmi.
La collusion projetée ou programmée stratégiquement entre Rewmi et le PS ne signifie nullement que Tanor a mis en berne son ambition présidentielle. Bien au contraire. La chute du dinosaure Wade, la désagrégation du PDS et l’arrivée du socialiste Hollande à l’Elysée ont ouvert un ultime boulevard d’espoir puis dopé le successeur de Diouf à la tète du PS. Toutefois Ousmane Tanor Dieng devra préalablement batailler ferme pour le contrôle du parti fondé par Senghor. D’où les escarmouches récurrentes entre les fractions des jeunesses socialistes visiblement manipulées par deux clans de caciques clairement identifiés.
La botte secrète d’Idrissa Seck (une alliance ultime et utile Rewmi-PS au second tour) est-elle détectée par des membres de cette coalition BBY ? En tout cas, un récent communiqué conjointement signé par l’AFP et la LD (deux partis coachés par des hommes expérimentés et avisés) invite les alliés de Benno Bokk Yakaar à construire « une nouvelle alliance stratégique » – pourquoi nouvelle et stratégique ? – qui regrouperait autour du Président Macky Sall, toutes les forces patriotiques et progressistes du pays. D’où vient ce subit besoin de bouclier pour Macky ? Hum… ! Cette invite insolite co-parrainée par l’AFP et la LD est la preuve que la coalition BBY est vraiment plus compartimentée que coalisée.
Effectivement, le fossé de rancœurs historiques entre l’AFP et le PS est structurant des destins de ces deux formations politiques issues des entrailles du senghorisme. Idrissa Seck ne l’a jamais perdu de vue. Et l’a, bien sûr, intégré dans ses plans. Tout comme les ressentiments nés de la tentative de mise à mort politique et judiciaire – via les chantiers de Thiès – du même Idrissa Seck, à partir de 2004, ont irrémédiablement affecté les relations entre Macky Sall et le leader de Rewmi. Dans ce domaine, aucun rétrécissement n’est enregistré dans le paquet des mauvais souvenirs ; puisque le candidat Idrissa Seck n’a pas hésité à interroger, par voie médiatique, le candidat Macky Sall (tous deux opposés à Wade) sur l’énigme des 6 ou 7 milliards de Taiwan. Même chose pour l’épisode du journal « Il est midi » qui est bien cadenassé dans un coin de la mémoire de l’ex-numéro 2 du PDS.
Au vu des craquements et des recompositions en perspective dans Benno, il urge pour Macky 2012, en général, et pour l’APR, en particulier, de mettre les bouchées doubles dans les tâches d’implantation et de massification. Des urgences que Moustapha Cissé Lô – politiquement apériste mais réellement électron libre par le verbe et par le tempérament – ne cesse de signaler. C’est d’autant plus vrai que le parti du chef de l’Etat, victorieux trois ans après sa naissance, ressemble à un immeuble majestueux sans rez-de-chaussée, du fait de son faible ancrage et de son maigre maillage. Or, le miracle n’est pas permanent en politique. C’est l’effort continu qui y est continuellement rétribué.
Le géologue Macky Sall sait normalement qu’une alliance politique n’est ni un bloc monolithique ni un bloc granitique. Par conséquent, il doit s’attendre à tout. Et se préparer à tout, pour parer à tout.