L’hommage planétaire à Nelson Mandela, mort le 5 décembre 2013, a des conséquences inattendues en Turquie. A l’issue du match de football, remporté par Galatasaray contre Elazig (2-0), les deux joueurs ivoiriens du club stambouliote, Didier Drogba et Emmanuel Eboué ont dévoilé, sous leur maillot, des Tshirts rendant hommage à l’ancien chef d’Etat Sud-africain.
« Merci Madiba » pour Drogba, à gauche. « Repose en paix Mandela » pour Eboué à droite. Rien de bien subversif. Mais pourtant, le conseil de discipline de la fédération de football turque a décidé de convoquer les deux joueurs qui pourraient être sanctionnés pour ces slogans. La Fifa (fédération internationale) interdit en effet les manifestations et les messages politiques dans les stades, a fortiori sur les terrains.
La sortie des deux Ivoiriens de Galatasaray serait sans doute passée inaperçue si elle n’avait pas été précédée quelques jours plus tôt d’une autre polémique footballistico-politique. L’équipe de deuxième division de Fethiyespor, qui rencontrait Fenerbahçe en Coupe de Turquie, avait clamé par Tshirts interposés son amour pour « Atatürk le sublime » (photo ci-dessous), au moment où retentissait dans le stade (comme à chaque match en Turquie), l’hymne national. La Fédération (TFF) aengagé un recours pour porter l’affaire devant le conseil de discipline (PFDK). Le ministre des Sports, Suat Kiliç a expliqué son point de vue: « Je peux le dire clairement. Gazi Mustafa Kemal Atatürk est le fondateur de la République turque, une valeur importante et commune à la société turque. Son nom ne peut pas être écrit comme un message politique ou quelque chose qui divise les gens ».
Sur son compte Twitter, le club s’est justifié: « En tant que club d’un pays fondé par Atatürk, nous défendrons le fait d’avoir écrit « Atatürk le sublime ». Une manifestation de soutien a été organisée dimanche devant le siège de la fédération, à Istanbul aux cris de : « Nous sommes tous les soldats d’Atatürk ».
Le principe de neutralité des terrains sportifs est pourtant très théorique, pas seulement en Turquie, sans que cela ne provoque de réactions de la part des instances nationales. Les irruptions de propagande sur les pelouses ou dans les tribunes sont fréquentes. Cet été, le joueur de Fenerbahçe Emre Belözoglu avait par exemple célébré un but marqué à Konya en brandissant la main de Rabia, le signe de ralliement des Frères musulmans égyptiens qui manifestaient alors contre la destitution du président Morsi par les militaires. Un geste pourtant très politique mais approuvé par le premier ministre Erdogan. A l’inverse, les chants et les banderoles de soutien aux manifestants de la place Taksim ont été prohibés et les supporters récalcitrants menacés de poursuites.
Atatürk et Mandela seront donc côte-à-côte devant le conseil de discipline de la fédération turque. Les Turcs se plaisent parfois à comparer les deux hommes politiques. Dans les écoles turques en Afrique du Sud, en face du traditionnel « Atatürk kösesi » (« coin Atatürk », obligatoire dans toutes les écoles), un coin Mandela a été aménagé. L’Etat turc n’apprécie pourtant guère l’ancien leader de l’ANC qui, après sa sortie de prison, en 1992, avait refusé le prix de la paix Atatürk que voulait lui décerner Ankara, expliquant avoir « passé toute sa vie au service de la démocratie, des droits de l’homme et de la liberté contre l’oppression ».
Les Kurdes sympathisants du PKK, eux, n’hésitent pas à comparer Madiba à leur héros, Abdullah Öcalan, lui aussi détenu sur une île prison (Imrali). Dans un communiqué spécial publié dimanche, le commandement du PKK dans les monts Qandil rend hommage au combattant Mandela et affirme que : « Les Kurdes sont les gens qui comprennent le mieux la lutte de Nelson Mandela ».