PORTRAIT…. AISSATOU CISSE, HANDICAPEE, ECRIVAIN ET CONSEILLER SPECIAL DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Les cheveux poivre-sel affreusement poussiéreux, les joues grignotées par plusieurs jours de diète, le corps rachitique engoncé dans une camisole aux couleurs d’une autre époque, Aissatou Cissé aurait pu trainer sa miteuse carcasse dans ce coin de la rue Carnot, hanté par ses «semblables» en fauteuil roulant. L’œil torturé par la gêne, cette handicapée de 43 ans au visage mangé par les combats de la vie, aurait alors imploré la miséricorde des passants. Et aurait baissé son grand regard clair et fier, devant une de ces rutilantes 4X4 qui, d’un mouvement dédaigneux, se serait stoppée à quelques pas de son fauteuil pour lui servir sa pitance du jour. Sans jamais lever ses sourcils bien dessinés, Aïssatou se serait dépêchée de dissimiler son butin dans une des poches de son fauteuil roulant, tout en poussant celui-ci vers une autre voiture, dont l’occupant serait peut-être plus généreux. Tout comme ses mains qui demeurent désespérément recroquevillées contre son corps chétif, elle aurait pu simplement baisser les bras et accepter un destin (tracé ?) de mendiante. Une cassure à la naissance aurait pu l’y contraindre. A la place, la jeune femme a décidé de prendre à bras le corps sa destinée de handicapée, dans un pays qui manque cruellement de politique de prise en charge des personnes à mobilité réduite. Guidée par la sollicitude sans faille de ses parents, Aissatou Cissé s’est hissée au poste de conseillère spéciale du président de la République. A l’huile de coude.
Clash. Assise derrière son bureau au 7e étage de l’immeuble Yoro Lam à Dakar, Aissatou Cissé sourit à la vie. A ce qu’est devenue sa vie depuis ses premiers vagissements de bébé cassée en mille morceaux par un médecin acharné. Tassé dans un fauteuil roulant, son corps, orné d’un joli ensemble imprimé taupe, contraste singulièrement avec la fraîcheur reposante de son expression. De grands yeux intelligents, un sourire à toute épreuve, des mains figées dans la stature de l’écriture. «On est en train de voir ce qu’il y a lieu de faire concrètement pour le handisport, sachant que le travail reste la première préoccupation des handicapés. Avec le ministre de la Santé et de l’Action sociale, nous travaillons sur ce dossier et nous y travaillons parfois jusque tard dans la soirée», souffle Aissatou, sans prétention aucune. Le travail chez elle est moins un fardeau qu’une véritable passion. Ecouter et être écouté, un mot à l’origine de son coup de foudre pour Macky Sall. Il est vrai que l’homme est avant tout un politique, mais la manière qu’il avait de prêter l’oreille aux mots acerbes d’Aissatou, en a fait une alliée. Parce qu’entre les deux, l’histoire commence par un clash. Nous sommes à 21 jours de la campagne présidentielle, le ras-le-bol général des Sénégalais à l’encontre des hommes politiques s’expriment dans la rue. Aissatou n’a pas les jambes pour suivre le mouvement, alors, elle se confine dans des cercles d’intellectuels, attendant avec patience son tour de déverser sa bile. Il arrive par l’entremise d’amis. Elle se souvient: «J’ai vu débarquer Macky Sall à l’anniversaire d’un ami que nous avions en commun. On a débattu et je me rappelle lui avoir vertement reproché la tendance des hommes politiques à se dédire une fois au pouvoir». Le «wax waxxét» est tendance, mais le futur Président semble ne pas être fait de ce bois. Du moins, Aissatou, subjuguée par les dénégations de son interlocuteur, le pense si fortement qu’elle lui prédit son accession à la magistrature suprême. «Il a beaucoup ri de la détermination que je mettais dans mes paroles», dit-elle, la tête dans les étoiles. Et plus tard, les roues dans le cambouis de la campagne électorale, le candidat Macky n’hésite pas à associer la handicapée à ses tournées. Daouda Mine est rédacteur en chef du journal L’Observateur, il a été accrédité auprès du président de l’Alliance pour la République durant toute la campagne présidentielle. «Je me rappelle avoir une ou deux fois aperçu une dame en chaise roulante lors de nos tournées», témoigne-t-il, se souvenant qu’elle lui semblait très impliquée. On le serait à moins ! Aissatou narre avec le sourire les heures de débat entre elle et le futur Président, très attentif aux remarques de sa collaboratrice. «Il n’avait aucun complexe à accepter d’être convaincu. C’est une des choses qui m’ont le plus charmée chez lui, il voyait au-delà du fauteuil roulant. Il voyait l’individu, la citoyenne sénégalaise qui était en face de lui», dit-elle. L’on comprend moins la surprise de cette dernière lorsqu’un soir de Pâques, elle reçoit le coup de fil de celui qui est devenu président de la République. Aissatou est invitée à la maison de Mermoz. Elle pense à un dîner de félicitations, lui a des projets autrement plus grands. «Il me dit tout de go : «Toi, tu restes avec moi au Palais». C’était comme ça et je n’avais pas mon mot à dire», rit la conseillère spéciale. Son père en a pleuré: «Sa nomination sonne comme une récompense à sa persévérance». Près de deux ans ont passé depuis et aujourd’hui, Aissatou donne un satisfecit au bilan à mi-parcours de son mentor. En vrac, la transmission de la nationalité de la mère à l’enfant, la protection de l’enfant qui prend un nouvel élan, la mise en place prochaine de certificats de handicap, la carte d’égalité des chances… «Aux Nations Unies, le Sénégal a été ovationné pour les grandes avancées accomplies dans la protection des droits des personnes handicapées. Cela m’a fait pleurer», souffle-t-elle, rêvant secrètement d’être reconnue un jour comme la handicapée qui, sous le régime de Macky, a fait avancer les choses pour les personnes à mobilité réduite.
IVG. Avant de chuchoter à l’oreille de Macky Sall, Aissatou Cissé a longtemps veillé sur le sommeil des enfants et des femmes. Zahra Iyane Thiam, son collègue à la présidence : «Aissatou s’est battue pour être là où elle est. C’est une personnalité, en raison de tous les combats qu’elle mène, dont celui pour le droit des enfants et des femmes». Avoir l’opportunité, en tant que femme handicapée, d’être du côté du pouvoir, c’est une aubaine pour la conseillère d’asseoir ses combats». Entière, elle peut aussi être borderline dans ses combats. Celui contre l’Interruption volontaire de la grossesse (Ivg) la met d’ores et déjà en porte-à-faux avec l’opinion publique et les chefs religieux. Aissatou en a conscience, mais elle assume : «Je n’ai rien contre les hommes religieux, mais aucun d’eux ne se lèvent pour dire d’arrêter de violer les personnes handicapées ou de violer les femmes tout court. Lorsqu’il s’agit en revanche de protéger la femme, sa santé, tout le monde se lève et brandit la loi religieuse. Dieu n’a jamais cautionné une telle chose, qu’on soit logique et juste». Sa fermeté cache mal sa colère. En 2013, une fillette de 13 ans avait était violée et est tombée enceinte. Elle a tenté d’avorter et s’est retrouvée en prison. «Une honte» pour Aissatou, qui en a conçu un livre. Un deuxième roman intitulé «Un secret trop lourd», qui raconte le destin de ces femmes ayant fui le monde rural pour travailler en ville comme domestiques. «Ce livre, c’est aussi pour titiller l’ivg. Si ces femmes avaient eu le droit d’avorter, elles n’auraient pas mis au monde des enfants malheureux», argue-t-elle, en fustigeant l’intolérance de la société sénégalaise. Une intolérance qu’elle compte bien combattre, même si elle avoue n’avoir pas encore abordé ce thème avec le Président. Aissatou semble être consciente de l’âpreté de sa tâche, alors, elle affute ses armes avant de se mettre en face de Macky Sall. «On gagnerait beaucoup à voter cette loi. Le Sénégal a signé le protocole de Maputo, qui le met en demeure de respecter l’Ivg. Pourquoi tergiverser alors ?»
Cassée en mille morceaux. Aïssatou est née dans la douleur. Enfantée par une mère sujette à un rhumatisme de l’enfance, Astou pour les intimes, est venue au monde en mille morceaux. Alors que ses parents s’attendaient à la naissance d’un enfant sain et en excellente santé, Aïssatou est sortie du ventre da sa génitrice complètement désarticulée. Elle raconte : «J’ai un handicap des pieds et des mains. Mais ce n’est pas un handicap évolutif. Cela est arrivé à ma naissance et cela est dû à la maladie de ma mère, qui avait le rhumatisme de l’enfance. Lorsqu’elle est arrivée à terme, elle ne parvenait pas à accoucher normalement. A cette époque, il n’y avait pas de césarienne et les cliniques n’étaient pas aussi bien équipées qu’elles le sont aujourd’hui. Comme elle n’arrivait pas à pousser, les médecins m’ont tiré et j’en suis sortie cassée en mille morceaux.» Et à ceux et celles qui pousseraient la compassion jusqu’à croire qu’elle était totalement paralysée, Aïssatou rétorque dans un sourire décontracté : «Je ne suis ni paraplégique ni tétraplégique et je n’ai jamais souffert de la poliomyélite.» Voilà qui est clair ! Son handicap n’a jamais été un frein à son épanouissement personnel. Bien au contraire ! La jeune dame de 43 ans, auteur de deux romans, «Un secret trop lourd et «Zeyna», a connu une enfance sans affrontement ni rupture, couvée par la tendresse d’un père professeur et l’affection d’une maman enseignante. Aînée d’une fratrie de 9 enfants, Aissatou grandit à Niayes Thioker (Médina) avant que sa famille ne plie bagages pour rejoindre leur nouvelle demeure au quartier Liberté 6. Aïssatou a 5 ans. La petite «chipie» se plaît à organiser des séances de tam-tam avec ses camarades dans la cour familiale ou à faire le tour des fêtes foraines et des carnavals avec son pater. «Il m’était un peu difficile de m’adapter aux jeux de mes camarades, mais avec l’assurance que m’ont inculquée mes parents et la volonté que j’avais de m’amuser, je participais à des jeux tant bien que mal et le plus surprenant dans tout ça, c’est que les autres enfants essayaient de s’adapter à moi. Je jouais à des jeux comme Colin Maillard. Ils avaient toujours de petites astuces pour que je participe à leurs jeux», souffle-t-elle, se balançant candidement sur son fauteuil roulant. Gamine décomplexée, elle a pris très tôt conscience de son handicap. Les infrastructures scolaires au Sénégal n’étaient pas adaptées à sa condition, mais, soutenue par sa famille, Aïssatou, déterminée à donner un sens à vie, domptera ces obstacles infranchissables pour bon nombre de ses pairs. «Par la grâce de Dieu et le soutien de mes parents, j’ai réussi à mener jusqu’au bout mes études», sourit-elle. Son père, Niouma Nory Cissé : «Aïssatou est née ainsi, mais elle a toujours été très éveillée. Avant qu’elle n’aille au préscolaire, elle savait déjà s’exprimer en français. Nous lui avons toujours fait comprendre qu’elle pouvait faire la même chose que ses frères et sœurs, sinon mieux. Elle a toujours été très joyeuse et gaie. C’est ma fierté.» Armée de son «culot» pour réussir et d’une foi inébranlable, Aïssatou est inscrite à la «Maison des petits» à Dieuppeul, puis à l’école primaire de Liberté 6, au Cem David Diop et enfin au lycée Blaise Diagne. Avant de décrocher grâce à des cours par correspondance, un Master en Lettres modernes. Incapable de se déplacer toute seule, son oncle paternel lui sert de «béquille». «Mon oncle me portait dans ses bras jusque dans la classe avant de me laisser me débrouiller avec ma chaise roulante. Pour éviter que je ne dépende des mes frères et sœurs, mes parents ont toujours fait en sorte que nous ne partagions pas les mêmes établissements scolaires. Cela m’a permis de m’épanouir librement», se remémore-t-elle aujourd’hui.
Fan de foot. Tête d’œuf, Aïssatou effectue un cursus impeccable, jalonné par les petites blagues de ses camarades. Une anecdote lui revient en mémoire, alors qu’elle fixe son regard sur le mur immaculé de son bureau. «Une fois, mes camarades de classe m’ont menacée de bastonnade si je ne faisais pas leur devoir de français à leur place. Mais c’était vraiment méconnaître mon tempérament de feu. Je leur ai répliqué que je ne me plierai pas, quitte à me faire bastonner à mort. Je suis allée me plaindre auprès de mes aînés de mon quartier avec qui je partageais la même école. Ensuite, j’ai dit à mes camarades que s’ils voulaient me frapper, ils n’avaient qu’à le faire sur le champ car demain, des gens se chargeraient de leur faire la fête s’ils touchaient à un de mes cheveux. Ils sont allés se plaindre auprès de ma mère, qui leur a demandé ce qu’ils m’ont dit pour que je profère de telles menaces à leur encontre, ils sont restés muets. Cela a éteint chez eux toute velléité de représailles à mon encontre et depuis, ils m’ont plus causé d’ennuis. Mon handicap n’avait pas émoussé mon caractère bien trempé. J’avais une langue bien acérée et je ne me laissais jamais faire», confesse dans une moue espiègle, la camarade de classe de Kader Pichininiko (artiste humoriste), son compagnon de fronde au collège. Eh oui, ne vous y méprenez pas ! L’immobilisme d’Aïssatou ne fait pas d’elle une fille sage comme une image. Celle que l’injustice et le mensonge font sortir de ses gonds a flirté dans son adolescence avec l’odeur âcre des gaz lacrymogènes. Contestataire dans l’âme, l’actuelle conseillère spéciale du Président Macky Sall a un passé de meneuse de grève. «Mon immobilité trompait beaucoup de monde et peu de gens se doutaient que j’étais derrière les grèves qui secouaient le Cem David Diop», avoue-t-elle. Ado turbulente et adepte de la vadrouille, Aïssatou prenait plaisir à sécher les cours pour aller chaparder des mangues et des noix d’acajou. Un petit plaisir bien loin de sa véritable passion, le football. Un béguin qui la poussait à toujours trainer derrière les buts de… Tony Sylva. Elle se souvient dans un rire : «A l’époque, Tony aimait me mettre derrière les filets, en me disant : si je rate le ballon, tu captes». Cruel ? Pas vraiment, puisque de ce petit jeu, est né un amour presque passionnel pour le ballon rond. Depuis, Aïssatou aime se shooter aux matches de Navétanes et avoue un faible pour l’Om (Olympique de Marseille), le Barça, le Milan Ac et le Bayern de Munich. Fine pâtissière, Aïssatou profite de ses heures libres pour affiner ses talents de cuisinière, en mijotant de bons petits plats, des gâteaux et des glaces pour sa famille, ses neveux et nièces qu’elle chérit par-dessus tout. De là à nourrir des envies de maternité ? Elle pouffe : «Je me suis toujours vue mère de famille, dans la mesure où je me suis toujours occupée de mes frères et sœurs et je continue d’en faire autant avec mes neveux et nièces. Mais le mariage ne fait pas partie de mes priorités car je ne crois pas trop aux propos des hommes, que je tourne souvent en dérision.» N’empêche, l’experte en crochets, qui vit toujours chez ses parents, n’est pas un cœur à prendre. Elle confesse, jetant un regard attendri sur un portait qui orne son bureau : «C’est mon fiancé.» Beau tableau ! D’où la question de savoir : qu’est-ce qui pourrait bien faire sortir Aïssatou de ses gonds ? Elle se rajuste sur son fauteuil et lance : «J’ai horreur de l’injustice et du mensonge. Par contre, il y a des choses qui m’énervent et quand je m’énerve, je chope très vite une migraine. Raison pour laquelle j’évite autant que possible de me mettre en colère.». Son ami d’enfance, Kader Pichininiko confirme : «Elle est très généreuse, mais elle s’énerve vite, même si elle oublie tout la minute d’après.» Ouf ! Aïssatou fait donc partie du lot des imparfaits….
AICHA FALL THIAM & NDEYE FATOU SECK
un bon texte, bien ecrit