L’impossible rétropédalage du Président Par Aly Samba NdiayeL’année 2014 sera charnière pour le président Macky Sall. Il aura, dès la fin du premier trimestre, bouclé son deuxième anniversaire à la tête de l’Etat. Ce sera alors le début de son mi-mandat, sauf s’il revient sur sa décision annoncée de le réduire de deux ans. Ce qui, pour l’heure, ne figure pas dans ses déclarations. Croyons-le donc dans ses intentions. Mais le temps presse et il est plus que jamais temps pour lui de trancher définitivement cette question. Dans son propre camp certains piaffent d’impatience de le voir renoncer à ses engagements d’avant campagne, confirmés par la suite dans ses sorties médiatiques, à Paris notamment devant François Hollande. Mais au sein de l’opinion et de la classe politique, l’agacement est perceptible devant le peu d’empressement du Président à envoyer à l’Assemblée nationale un projet de loi modifiant la durée du mandat… avec effet rétroactif, autre sujet de débat juridique.
En attendant, depuis l’arrivée de Mme Aminata Touré à la Primature, le Gouvernement décline à grand renfort médiatique des projets de développement dont l’essentiel arrive à terme en 2017. Ce qui laisse penser que cette échéance correspondrait à la fin du premier mandat du président de la République. Un mandat dont il sollicitera probablement une reconduction. Et ce même s’il confie urbi et orbi que la perspective d’un second mandat ne l’empêchepas de dormir. Il faut tout de même reconnaître que le coup d’accélération que promettait le Premier ministre tarde à se manifester. Cependant, les mesures symboliques comme les bourses d’économie familiale, la couverture médicale universelle, la promesse de baisse substantielle des loyers… vont dans le bon sens. Les programmes de relance de l’emploi à travers le FONGIP et le FONSIS, le Projet Sénégal Emergent, les investissements annoncés dans l’agriculture, l’élevage, le tourisme, les mines etc. donnent enfin au gouvernement une vision plus claire. Certes l’ambition d’un taux de croissance de 7 %… à l’horizon2017 est peu motivante, alors même que dans l’espace de l’UEMOA, des pays comme la Côte d’Ivoire, certes autrement plus riches que le nôtre, sont déjà à 8 %. On a trop souvent reproché au gouvernement de manquer de vision, pour ne pas reconnaître l’effort de planification de projets structurants à moyen et long termes, au lieu de gérer la pauvreté à court terme.
Communication gouvernementale défaillante
Mais une chose est de prévoir, planifier, une autre est de mettre en place le dispositif de mobilisation des fonds, de pilotage et de mise en œuvre des projets. Le peu d’enthousiasme manifesté par certains ministres à l’égard du Projet Sénégal Emergent (PSE) laisse à ce sujet planer des doutes sur sa faisabilité, alors qu’il est attendu un investissement de plus de 3000 milliards d’ici 2017 et 12 000 milliards cinq ans plus tard. Ces premières failles montrent de réelles difficultés dans la communication gouvernementale. Et surtout, chose plus grave, dans le management de ce programme majeur dont personne ne doute de la pertinence.
Cela dit, pourquoi donc, après une telle éclaircie obtenue suite à cette floraison d’annonces, les Sénégalais restent-ils encore en proie à un doute persistant sur la capacité du gouvernement à conduire les changements annoncés ? Sans doute parce que trop d’imprécision, de volte-face, de renoncements, de sentiments d’impunité, de stigmatisations, de passe-droits, de désinvolture et d’acharnement empestent un climat social marqué par un dérèglement scolaire constant, des grèves à répétition. Telle une spirale dépressive qui abouti à une sorte de confusion générale.
Affaire Sidy Lamine : une bourde
Mais force est au moins de constater que, pour une fois, le président de la République se décide enfin à tenir fermement les rênes, sans transiger sur des dossiers sensibles. Il en est ainsi de la baisse des loyers, de l’audit de la fonction publique, des maisons conventionnées, de la crise universitaire, entre autres. Sur ces dossiers, le Président est allé tellement loin dans ses engagements qu’il serait quasi suicidaire pour lui de reculer. C’est qu’en réalité l’espoir suscité par ces dossiers est d’une telle amplitude que personne ne comprendrait un rétropédalage du Président comme ça a été le cas dans l’affaire de Sidy Lamine Niasse. Une pression maraboutique a suffi pour tordre la main à la justice et vider l’article 80 sur l’offense au chef de l’Etat de son contenu.
Il serait désormais difficile de faire deux poids, deux mesures sur l’application de la loi. Et la justice a pris un sérieux coup sur sa crédibilité, la preuve étant faite par neuf qu’elle obéit au pouvoir politique.
Mais si l’épisode de Sidy Lamine Niasse est bourré de controverses, il en est autrement de la baisse des loyers qui rencontre une adhésion populaire large. Alors que les pouvoirs précédents se sont usés à faire baisser le coût exorbitant des loyaux commerciaux et d’habitation, le Président est allé plus loin.La commission chargée de l’étude du dossier est allée encore plus vite dans la déposition de ses conclusions, qui proposent une diminution de 4 à 29 % du loyer, notamment pour les logements sociaux. La mesure en elle-même est salutaire. En revanche, on peut bien se demander si toutes les précautions d’usage ont été prises pour s’assurer de sa faisabilité. L’Etat a le devoir d’encadrer les prix du loyer, certes, mais cette relation contractuelle reste entièrement privée. Le principe de la surface corrigée ne saurait suffire à solder les conflits d’interprétation qui découleraient de l’application de la baisse décidée par le Président.
De plus, le gouvernement semble vouloir appliquer une décision qui prive les propriétaires et autres bailleurs de ressources, sans se prononcer sur les compensations et autres mesures d’accompagnement en leur faveur. Mais la marge de manœuvre des bailleurs sera étroite dès que le décret d’application de cette loi sera promulgué.Il y a fort à parier que le gouvernement restera pris dans les dédales des batailles juridiques à venir, car les locataires disposent d’un instrument politique et juridique pour obtenir de bon droit une baisse. Quand on sait que 55 % des travailleurs salariés sont locataires, on comprend mieux l’étendue de l’attente populaire. Une non application de la mesure soulèverait une telle vague de réprobation et de frustration que les conséquences en seraient incommensurables, en termes d’image, pour le Président.
Une autre partie de bras de fer porte sur la lancinante question de l’audit du fichier de la fonction publique. Plus de 12 000 fonctionnaires seraient en situation irrégulière et toucheraient de manière totalement indue des émoluments. Cela représente potentiellement un bassin d’emplois publics d’une grande ampleur et une économie de plus 40 milliards FCFA pour le Trésor public chaque année. En dépit des erreurs (environ 350 agents ayant vu leur salaire emmené au billettage alors qu’ils disposent de quitus), ce geste est d’une portée symbolique forte. Il est synonyme d’efficacité gouvernementale, de bonne gouvernance et de justice sociale. D’utilisation rationnelle des ressources publiques aussi.
Comment le Président pourrait-il s’en défausser et passer par pertes et profits une telle opportunité ? Céder à la terreur syndicale que les organisations de travailleurs de l’Education et de la Santé cherchent à nous imposer n’aurait d’autre effet de décrédibiliser la parole du Président, décidé à aller jusqu’au bout de l’action entreprise par son vaillant ministre de la Fonction publique, Mansour Sy, et le directeur de l’ADIE (Agence de l’Informatique de l’Etat), Khassimou Wone. Les syndicats devraient s’en prendre à leurs militants coupables d’une honteuse fraude, au lieu de s’apitoyer sur le cas, difficile certes, d’une poignée de travailleurs privés injustement de salaires par une défaillance technique. C’est vraiment le monde à l’envers que de voir des légataires de la morale et l’éthique passer sous silence des actes répréhensibles et s’offusquer de quelques bavures !
La guerre contre les libéralités indues
Que peut faire d’autre le Président, sinon de poursuivre cette logique purificatrice dont les impacts sur l’emploi et les dépenses publiques sont immenses ? Là aussi, attention danger ! Reculer, c’est donner une onction à la fraude et écarter de l’emploi des bataillons de jeunes diplômés ou non qui ont perdu tout espoir de toucher un jour un salaire. La question des logements subventionnés est aussi sensible, car elle touche des couches aisées sensibles organisées et disposant même de capacité de nuisance. Près de 800 hauts fonctionnaires continuent d’occuper des logements payés par l’Etat à prix d’or pour les abriter. Certains cumuleraient cet avantage avec leurs indemnités, avec la complicité de la Direction du Patrimoine.
Les magistrats, particulièrement concernés par cette mesure, font de la résistance et menacent de recourir à des actions de rétorsion contre le gouvernement. Mais la réplique cinglante qu’ils promettent devrait être accueillie par la fermeté et la sévérité requises. Voilà en effet un corps qui a tout eu : des privilèges de juridiction, des salaires colossaux, des baux, des indemnités de judicature, une incroyable impunité en dépit des scandales monstrueux dans lesquels nombreux d’entre ses membres ont été impliqués. Dans ce corps subsistent des éléments dignes, qui n’ont rien monnayé de leur éthique et leur valeur. Mais pour autant ne devraient-ils pas, malgré la sensibilité de leur corps, regarder par en bas et voir les Sénégalaislivrés à la pitance quotidienne ?
Céder à l’ignominieux chantage des magistrats, mais aussi des syndicats d’enseignants et de personnels de la Santé, serait perçu par l’opinion comme une option de favoriser les plus nantis et laisser dans la misère sociale les autres franges de la population. Et c’est fort logiquement que les électeurs demanderont à ce propos des comptes au Président, un jour.
Sur la crise universitaire, les Sénégalais attendent une pacification de l’UCAD et des autres universités du pays, dans la suite des journées de concertation d’avril. La sécurité à l’université de Dakar n’est plus négociable car enseignants, personnel, étudiants, chercheurs ne peuvent supporter de franchir l’enceinte universitaire la peur au ventre. Les Concertations nationales sur l’Avenir de l’Enseignement Supérieur (CNAES) n’ont pas donné pour l’heure les résultats escomptés, pour la bonne et simple raison que les démarches intellectuelles stratégiques pédagogiques ont masqué les préoccupations primaires de sécurité, de conditions de vie et d’enseignement dans les campus sociaux et académiques.
Pour avoir annoncé à grands traits de lourds investissements de l’Etat dans ce secteur, le Président ne peut plus laisser les étudiants et les enseignants prendre en otage toute une nation par des grèves récurrentes ponctuées de violences inouïes. La conférence sociale dont il a annoncé la tenue prochaine devrait être saisie au vol pour que les CNAES ne soient pas vaines.
Tout compte fait, le Président n’a plus qu’un choix, celui de la fermeté et de la diligence, tout en privilégiant le dialogue et la concertation. Mais pas à l’infini car le temps lui est compté et nous rapproche chaque jour de l’heure de vérité. Nous sommes déjà en 2014, Monsieur le Président !
ARTICLE PARU DANS « LE TEMOIN » N°1148 – HEBDOMADAIRE SENEGALAIS / JANVIER 2014