Il n’ya plus désormais de doute : Macky Sall succombera à la tentation de la médiation pénale. Il va, ainsi, sûrement perdre Mimi Touré, radicaliser des récalcitrants du genre « Y en a marre » et le plus important, pour lui, arracher un deuxième mandat.
Si le chef de l’Etat aborde de face la question de la médiation pénale, c’est que de plus en plus il est convaincu qu’il en tire un bénéfice politique certain. D’abord, il se met en phase avec les familles confrériques. Au dernier Gamou de Tivaouane, le porte-parole du khalife général des Tidjanes, Abdoul Aziz Sy Al Amine lui a demandé de pardonner à Karim Wade et aux autres caciques du Parti démocratique sénégalais. Une demande lancée au cours de son audience avec la délégation des libéraux dirigée par son coordonnateur nationale Oumar Sarr. Face à Macky Sall, Al Amine a réitéré sa sollicitation. Même s’il a avoué ne pas être certain d’avoir gain de cause. Le propos a secoué le régime. Le chef de l’Etat, sans doute, en premier. Lui qui a, deux jours après, laissé entendre que cette affaire était entre les mains de la justice. Ses alliés de Benno Bokk Yaakaar, eux, sont restés silencieux. On peut les comprendre. Ils ont, en effet, tout le temps clamé qu’il ne fallait jamais trébucher dans la traque des biens mal acquis. Mais la répétition étant pédagogique, rien ne s’oppose à ce que ces alliés de Bby réitèrent leur position de principe, histoire de tirer d’affaire Macky, confronté à une requête aussi gênante. Touba, peut-être, plus subtil a fait la même sollicitation à l’endroit du pouvoir au dernier Magal. Le khalife général des Mourides a appelé les tenants du pouvoir à faire preuve d’indulgence. En vérité, le lien entre la hiérarchie mouride et les dignitaires libéraux est encore solide. Quelques-uns d’entre eux dont l’extrême mécénat mouride est notoirement connu semblent bénéficier, jusque-là, de la protection de Touba. Ils sont tout le temps cités dans la traque des biens mal acquis et l’imminence de leur arrestation souvent agitée, mais jamais inquiétés à l’arrivée. Touba, Tivaouane et Ndiassane sont sur la même longueur d’onde. Ils veulent tous que le régime opère un virage à 180° au sujet de la traque des biens mal acquis. Macky est-il prêt à contrarier la volonté de Touba et de Tivaouane ? A moins de vouloir se suicider, sinon tout indique que le locataire du palais de Roume va vite trouver l’arrangement politique, aiguillon de son rapprochent avec la classe maraboutique de ces familles religieuses. Parce que dans l’histoire politique du Sénégal, pouvoir et marabouts ont toujours cheminé ensemble. Senghor a eu le soutien indéfectible de Serigne Falilou Mbacké, Abdou Diouf celui de Serigne Abdoul Ahad, de Al Amine, de Dabakh et de Al Maktoum, Wade avait l’appui, sans doute discret de nombre de marabouts. Ces chefs d’Etat sont tous partis, mais ils ont tout de même fait leur temps. Le second mandat de Macky Sall dépend en grande partie de cette manœuvre qui le rapproche davantage des marabouts. Et ce n’est pas la seule manœuvre que le chef de l’Etat doit réussir dans cette passe boueuse.
Vaste rassemblement
L’idée de s’ouvrir aux partis ou mouvements dont les leaders ont été bien servis sous Wade ne semble nullement avoir quitté Macky Sall. Ce dernier semble convaincu qu’il peut bien construire une nouvelle majorité en happant ces «recyclés» politiques. Parmi ces leaders, il y a Me Ousmane Sèye, illustre «théoricien» de la médiation pénale. Lorsque le compromis avait été trouvé entre l’Etat du Sénégal et Tahibou Ndiaye, ancien Directeur général du Cadastre, qui a transigé à hauteur de 3,6 milliards de FCFA, les esprits s’étaient tournés vers le patron du Front républicain n’a pas caché son bonheur. «Cela a toujours été ma position. J’ai toujours dit qu’il fallait privilégier la médiation pénale», se souvient-il dans les colonnes du journal Le Populaire. «C’est une voie légale prévue par le Code de procédure pénale. Les dispositions du Code de procédure pénale sont applicables en matière de délit d’enrichissement illicite», précise-t-il non sans conseiller que «la médiation pénale permettra à l’Etat de recouvrer d’importantes sommes d’argents et de les investir dans l’emploi, l’économie entre autres. Cela vaut mieux que de poursuivre des personnes, de les mettre en prison, de les juger. C’est très long. Et même après les jugements, il n’est pas évident que les sommes soient recouvertes». Me Sèye qui est, donc en phase avec le chef de l’Etat sur la question de la médiation pénale attend d’ailleurs de le voir concrétiser cette idée de «vaste rassemblement» pour cheminer à ses côtés. D’autres leaders, naguère proches de Wade, ont répondu à l’appel de Macky Sall. Il en est ainsi de Thierno Lô dont le mouvement est converti en parti politique. On prête la même volonté à Ngoné Ndoye, ex-ministre des Sénégalais de l’Extérieur. Son mentor politique, Mbaye Jacques Diop est un soutien actif de Macky Sall. Seulement, cette option n’est pas sans risque. Le chef de l’Etat doit se préparer à s’aliéner une bonne partie de l’opinion. Il en est ainsi du mouvement Y’en a marre dont les positions se sont radicalisées depuis quelque temps.
«La médiation pénale est un complot sur le dos des Sénégalais», s’est indigné Fadel Barro, coordonnateur de Y’en a marre. «Ce n’est pas le pacte de confiance que le président de la République a signé avec qui a voté pour lui un soir du 25 mars avec 65 %». Se faisant plus tranchant, Fadel Barro assène : «La médiation pénale ferait des criminels politiques. Payer une partie de l’argent volé pour recouvrer la liberté est anormale pour ne pas dire injuste». Au sein même de l’Alliance pour la République (Apr, parti présidentiel), la médiation pénale n’emballe guère. Et c’est à la faveur de l’incroyable fortune de Mme Aïda Ndiongue révélée par le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye.
Opposition externe
et interne
Moustapha Diakhaté, président du groupe parlementaire de la majorité, «l’hallucinante fortune d’Aïda Ndiongue (…) est un puissant plaidoyer pour la poursuite de la traque des biens mal acquis». Selon le président Diakhaté, le procureur a établi «un réquisitoire sans appel du bilan prédateur de la politique de pillage menée par Abdoulaye Wade pendant 12 ans». Le plus inquiétant est la position du Premier ministre Aminata Touré. Mimi était bien à la rentrée solennelle des cours et tribunaux le mercredi 15 janvier dernier. Ce jour-là, le chef de l’Etat, s’est demandé si la «médiation pénale sur des bases claires conformément à la loi, la confiscation de biens ou, comme c’est le cas en France, la création d’un organe chargé de recouvrer les biens dont le tribunal a déjà ordonné la saisine» n’était plus approprié. «Le délinquant financier qui pose des actes répréhensibles dans le seul but de s’enrichir devrait, parallèlement à la peine d’emprisonnement, subir une condamnation pécuniaire de nature à l’appauvrir à la mesure de son enrichissement, voire davantage», a-t-il argumenté. Et de poursuivre : «sous ce rapport, les peines d’amende et de confiscation ne seraient-elles pas plus dissuasives pour les contrevenants et plus efficaces pour le patrimoine national que les peines traditionnelles privatives de liberté qui obligent l’Etat à construire des prisons et à prendre en charge des détenus ?», s’est-t-il interrogé, soulignant que «le traitement judiciaire de la délinquance économique et financière ne doit pas simplement revêtir le manteau de la répression, il doit aussi mettre l’accent sur l’aspect prévention».
Naturellement, cette position est partie pour opposer le chef de l’Etat avec son Pm. Mimi Touré, partisane du jusqu’auboutisme au sujet de la traque des biens mal acquis pourrait claquer la porte au cas où Macky Sall passerait à l’acte. Elle n’avait pas hésité, lorsque le ministre chargé de la Promotion de la Bonne Gouvernance, Abdou Latif Coulibaly avait laissé entendre sur les ondes de la Rfm que le président de la République envisageait la médiation pénale. «Latif a parlé en son nom propre», avait rectifié Mimi. Rédemptrice du pouvoir au temps de la raillerie «deukeubi dafa Macky», le Premier ministre n’est plus n’importe qui. Elle s’est taillé une solide réputation de femme «propre» et ferme qui l’a rendue populaire. Sitôt nommée Pm, Aminata Touré a aidé à l’ablation du «deukeubi dafa Macky» sauvant le pouvoir et ses communicants d’une passe difficile. Cette dame-là ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin. Limogée, elle verra forcément son capital sympathie décuplé. Et puis la dernière actualité venue de la Centrafrique peut bien servir de lubrifiant. Le maire de Bangui Mme Catherine Samba-Panza est passé au haut la main à l’élection présidentielle dans ce pays meurtri par une guerre interreligieuse horrible. Le risque est donc là. Même si, qu’on l’avoue ou pas, l’option de la médiation pénale est bien sérieuse au Palais de Roume. Macky Sall a dû jauger le pour et le contre et s’est déjà fait une religion. Il est visiblement acquis à l’idée que les adversaires de ce «compromis politique» ne sont pas de taille à gêner son passage réussi à la Présidentielle de 2017. Un deuxième mandat vaut bien de céder à la tentation de la médiation pénale.
Felix Diagne
lagazette.sn