Ce sont des hommes et des enfants parfois même des femmes enceintes. Ils font la queue chaque matin devant la wilaya de Rabat depuis le 02 janvier pour pouvoir bénéficier de l’opération « exceptionnelle » de régularisation des « sans-papiers ». Ils ont ni le même âge ni la même nationalité. La seule chose qu’ils ont en commun c’est leur statut d’immigrés en situation administrative irrégulière.Ils viennent des compagnes et des quartiers les plus reculés de Rabat. Ils sont philippins, cambodgiens et la plupart subsahariens.
La queue est longue. L’opération se déroule à compte-goutte, faute d’agents suffisants. Les immigrés clandestins, comme on les appelle, sont donc obligés de braver ce matin le froid de canard qui leur donne, des fois, la chair de poule. Détermination en bandoulière, ils prennent leur mal en patience. Une patience qui a assez duré, mais qui semble aujourd’hui se dissiper peu à peu devant la joie et l’espoir d’un séjour meilleur qui se profile à l’horizon et qui scintille, comme un tapon de métal indélébile sur chaque visage de ces hommes et de ces femmes en file indienne. Parmi « ces sans papiers », figure Ibrahima Ndiaye.
Cheveux crispés, teint noir d’ébène, nez plat comme un beignet sur un visage triste mais qui cache un sourire mal exprimé faisant paraitre ses dents sales et mal rangées dans une petite bouche qui dégage une odeur de cigarette. « Ibra », comme l’appellent ses amis, est émigré sénégalais et marchand ambulant à Rabat. « L’attente devant la porte du Paradis n’est jamais longue », chuchote l’homme d’une quarantaine d’année, tout en grelottant comme une bête sans défense encerclée par des fauves affamées.
Il a fait 5 ans au Maroc. Il est entré clandestinement dans le royaume avec quelques amis qu’il ne voit plus depuis leur arrivée. Il a travaillé dans la « construction »avant de devenir marchand ambulant une année plus tard. « Je suis vraiment content car à partir d’aujourd’hui je ne vais plus être clandestin »ajoute-t-il.
A en croire cet homme et tous les autres immigrés venus ce matin devant la Wilaya pour régulariser leur situation, la vie d’un immigré en situation administrative irrégulière au Maroc est synonyme d’enfer, d’expulsion, de maltraitance, de viol, d’agression et d’extorsion sans possibilité de porter plainte. En les écoutant, on croit entendre des rescapés d’un accident qui aurait dû être mortel; une famille toute entière séquestrée pendant longtemps et qui vient d’être libérée des mains de ses ravisseurs.
Ce soulagement a commencé après l’annonce du discours du Roi Mohamed VI prônant «une politique migratoire nouvelle et humaniste ». Cette tristesse qui assombrissait le visage de ces « sans papiers » a cédé la place à une lueur d’espoir et la mélancolie qui les habitait s’amenuise aujourd’hui peu à peu au rythme de cette opération de régularisation. Cette opération, adoptée en septembre 2013, couvre l’ensemble du territoire national conformément aux directives du roi Mohammed VI.
Sont visés, les étrangers conjoints de ressortissants marocains et qui justifient d’au moins deux ans de vie commune, les étrangers conjoints d’autres étrangers en résidence régulière et qui justifient d’au moins quatre ans de vie commune, les enfants issus de ces deux deniers cas, les étrangers qui disposent de contrats de travail d’au moins deux ans, les étrangers qui justifient de cinq ans de résidence continue ainsi que les étrangers atteints de maladies graves.
Cette nouvelle décision royale est donc une véritable aubaine pour les immigrés jusque-là en situation administrative irrégulière. «Lorsque j’ai appris la nouvelle, j’étais tellement contente et je me suis dit que maintenant rien ne sera comme avant. Non seulement on va trouver facilement du travail, mais aussi on va pouvoir bénéficier d’un contrat de travail pour enfin faire valoir nos droits », confie Fatou Sarr, une jeune femme d’origine sénégalaise.
Ce sentiment de soulagement aussi partagé par son compagnon Moussa SEYE, lui aussi sénégalais et souffrant d’une maladie grave depuis des années. « Je ne pouvais pas me soigner dans des hôpitaux publics car je ne possédais pas de carte de séjour » martèle-t-il sur un ton joyeux. L’euphorie est à son comble chez les « sans-papiers ».
Toutefois, les moins optimistes sont sur la pointe de leurs pieds. Si l’opération a bien commencé elle va sur la haquenée des cordeliers.Selon un agent du « bureau des étrangers » de la wilaya, la lenteur de l’opération est due à la complexité de la procédure qui consiste à faire passer au crible tous les justifications et papiers fournis par chaque ressortissant.
Les candidats sont reçus individuellement par un comité dans le cadre d’un entretien. A ce jour, plus de 80 cas sont étudies et les candidats continuent à affluer vers les centres d’enregistrement mobilisés dans les différentes régions du Maroc.
Khadim Mbaye, journaliste basé à Rabat (Correspondance particulière)
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