Un sommet Etats-Unis – Afrique est prévu les 5 et 6 août 2014 à Washington. Ce sera une première et après un premier mandat très timide sur l’Afrique, Barack Obama donne à son second mandat une couleur beaucoup plus africaine. Pourquoi ce changement de cap ? Eléments de réponse avec le Camerounais Christopher Fomunyoh. Le directeur de l’antenne Afrique du National democratic institute (NDI) de Washington s’est confié à RFI.
Entretien
C’est la première fois que les Américains s’apprêtent à organiser un sommet Etats-Unis – Afrique. Pourquoi une telle idée, est-ce qu’ils s’inspirent peut-être des sommets France-Afrique ?
Je crois qu’au sein de l’administration Obama les gens se rendent compte que 2016 n’est plus loin et qu’il va falloir que le président Obama laisse quand même des traces de son passage à la Maison Blanche quant à sa politique africaine. Et qu’il serait donc normal qu’il réunisse le plus grand nombre des dirigeants africains, pour voir avec eux comment trouver un consensus sur sa politique pendant les deux années qui lui restent.
L’année dernière, lors de sa tournée en Afrique, le président Obama a lancé le plan « Power Africa », neuf milliards de dollars pour l’électricité. Et il a eu cette formule : grâce à Power Africa, les villages africains auront du courant et pourront donc acheter des iPad fabriqués aux Etats-Unis. Est-ce que l’Afrique va devenir le nouvel Eldorado des industriels américains et est-ce peut-être pour ça qu’Obama organise ce sommet ?
Je crois que tout le monde reconnaît les potentialités économiques de l’Afrique. Je crois qu’il y a déjà pas mal de sociétés américaines qui sont engagées en Afrique. Et il est aussi important, pour des raisons de politique intérieure, qu’à chaque fois que Barack Obama veut justifier son engagement en Afrique, il ait pu tracer une relation directe entre les potentialités économiques du continent par rapport aux intérêts économiques des sociétés américaines.
C’est une façon de dire à ses compatriotes : je ne m’intéresse pas seulement à l’Afrique parce que mon père est Africain ?
C’est une façon de le dire, mais c’est aussi une façon de dire que l’Afrique a quelque chose à apporter et que ce n’est pas un continent qui demande de l’aide, qui attend seulement des dons, mais c’est un continent qui a des potentialités sur le plan économique.
Depuis quatre ans, la Chine est le premier partenaire commercial du continent africain. Est-ce que l’heure de la contre-attaque américaine a sonné ?
Il est vrai que la Chine est montée en puissance pendant les dix dernières années sur le continent africain. Mais il est aussi vrai que l’Afrique a des potentialités pour pouvoir accueillir tous ses partenaires sans complexe. Et je crois qu’il y a de la place pour tout le monde. Ce serait aux Africains de mieux organiser l’ensemble de ces relations commerciales.
Il y a quelques mois, l’ancien « monsieur Afrique » du département d’Etat américain Johnnie Carson, a déclaré : « Pour nous les Américains, le pays le plus important en Afrique subsaharienne c’est l’Angola ». Pourquoi l’Angola ?
Je crois qu’il a parlé de l’Angola dans le sens des échanges commerciaux bilatéraux. Mais je crois savoir aussi que pour l’administration Obama, il y a des pays qui comptent, comme le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Soudan qui malheureusement connaît beaucoup de difficultés aujourd’hui.
Barack Obama manifeste donc un nouvel intérêt pour l’Afrique, mais en même temps il hésite beaucoup à donner son feu vert à l’envoi de casques bleus en Centrafrique. Est-ce que ce n’est pas contradictoire ?
Je crois que le cas de la République centrafricaine doit se comprendre par les discussions qui se tiennent sous l’égide de l’Union africaine. Et il y a d’un côté les Etats-Unis qui veulent intervenir et qui voudraient aider, mais en même temps ils ne veulent pas fragiliser l’Union africaine qui dans la crise centrafricaine cherche à jouer un grand rôle avec la Misca.
Mais les hésitations américaines ne datent pas de ces dernières semaines. Elles remontent à l’année dernière, quand François Hollande a plaidé la cause de la Centrafrique à l’Assemblée générale de l’ONU en septembre et où Barack Obama se montrait déjà très réservé.
Je crois qu’il y a aussi des questions de législation américaine comme on a vu l’année dernière avec le cas du Mali. Dans un pays comme la Centrafrique, qui a connu un bouleversement extraconstitutionnel, les Etats-Unis peuvent aider, par exemple par le transport des troupes des pays africains comme le Burundi et le Rwanda sur Bangui, sans intervenir de façon plus directe, jusqu’à ce que les Nations unies puissent prendre une position concrète.
A Paris, beaucoup s’étonnent que Washington encourage l’envoi de casques bleus au Soudan du Sud, mais pas en Centrafrique. Est-ce qu’aux yeux de Washington l’Afrique de l’Est est la seule région stratégique et digne d’intérêt sur le continent africain ?
Je ne le crois pas. Mais il faut reconnaître que le Soudan du Sud est un pays où les Etats-Unis ont beaucoup investi. N’oublions pas que lors de la signature des accords de Nairobi, qui avaient amené au référendum et par la suite à l’Indépendance du Soudan du Sud, les Etats-Unis étaient très impliqués. Et qu’à Washington, le Soudan du Sud jouissait d’un soutien au sein de l’ensemble de la classe politique, allant de l’extrême gauche jusqu’à l’extrême droite. Donc il y avait une certaine fierté du fait que ce pays ait obtenu son indépendance. Il y avait beaucoup d’espoir que cette indépendance allait mettre fin à la guerre. Et je crois que c’est pour cela que quelque part on trouve un engagement pour que la situation ne dégénère pas.
Parmi les chefs d’Etat qui à priori ne seront pas invités à Washington au mois d’août prochain, il y a aura la Centrafricaine Catherine Samba-Panza et le Malgache Hery Rajaonarimampianina. Pourquoi ces deux mises en quarantaine ?
Les invitations ont été lancées au moment où Madagascar était encore dans son processus électoral. Maintenant que les choses sont clarifiées du point de vue de Madagascar, avec un président démocratiquement élu, je ne serais pas surpris s’il reçoit son invitation avant le mois d’août. Et pour la Centrafrique, je crois que la présidente Catherine Samba-Panza, c’est du solide. C’est une dame de caractère, c’est une dame courageuse, qui depuis les années 90 se bat pour la démocratie et les droits de l’homme dans son pays. Je crois que c’est la dernière chance de réussite pour cette transition en Centrafrique. Et je ne serais pas surpris si le gouvernement américain s’arrange pour qu’elle soit présente lors de cette grande conférence au mois d’août.