‘’Walahi !’’ Ce terme, les inconditionnels de Baaba Maal le connaissent bien et ne l’entendent que quand le choriste de ce dernier est sur scène. C’est sa marque de fabrique. Mansour Seck, c’est son nom, est peut-être le plus vieil ami du roi du Yella. Ils cheminent ensemble depuis leur naissance. Originaire de Guédé village, un patelin situé à 45 kilomètres de Podor, ce chanteur veut rendre hommage à son meilleur ami. Ce sera ce 8 mars au CICES. Ce griot de naissance compte mettre les petits plats dans les grands et faire vivre le Yella ce samedi. Au détour d’un point de presse qu’il a tenu hier dans une plage privée de Dakar, il s’est entretenu avec EnQuête. Pour la première fois, il évoque les circonstances dans lesquelles est survenu son handicap visuel. Il a également évoqué son compagnonnage avec Baaba Maal.
Vous êtes allé à l’école jusqu’au secondaire vous dites. Votre handicap visuel est survenu quand ?
C’est vrai que je suis allé à l’école jusqu’en classe de première. Ce handicap dont vous parlez est héréditaire dans ma famille. J’ai un frère qui est comme moi. On nous a dit que le père de ma maman était comme nous et on a pris cela de lui. J’ai d’autres frères et sœurs qui ne souffrent pas de cécité et qui voient normalement.
Comment est-ce arrivé ? D’un seul coup ou de manière progressive ?
Quand j’étais plus jeune, je voyais. J’allais à l’école comme vous l’avez dit. Je m’amusais comme tout jeune. Je jouais au football. J’ai fait tout ce qu’un enfant pouvait faire. C’est en grandissant que j’ai commencé à avoir des problèmes de vision. Cela évoluait petit à petit. Arrivé en classe de première, j’avais du mal à lire et à écrire. J’avais entre 19 et 20 ans.
Comment l’avez-vous vécu ?
Je l’ai bien vécu. Je l’ai accepté et je l’accepte en tant que musulman. Parce que c’est Dieu qui en a décidé ainsi. J’ai su que je pouvais avoir ce problème-là. Aussi, je n’étais pas le seul dans ma famille à en souffrir. Mon frère aîné en a souffert avant moi. J’étais donc psychologiquement préparé. Quand c’est arrivé, je me suis dit que c’était normal et je le conçois ainsi. Cela ne me gêne pas. Cela ne m’empêche pas de faire ma musique. Cela ne m’empêche pas d’aller vers mes amis et de tisser des relations. J’ai voyagé un peu partout, malgré mon handicap. Dieu merci, je pouvais être dans la rue à mendier ou à quémander, mais j’ai fondé mon foyer et je suis tranquille.
Vous n’avez jamais tenté une intervention clinique ?
Si, j’ai tenté une intervention. En 1981, quand je suis arrivé en France avec Baaba Maal, nous sommes directement allés en Allemagne. C’est là que j’ai fait ma première consultation et c’est là qu’on m’a dit que c’était héréditaire. C’est une maladie qu’on ne peut guérir. Si l’on pouvait le faire, je serais guéri il y a longtemps. Parce que ce ne sont pas les moyens qui manquent. Je sais juste que c’est Dieu. C’est ma destinée et je l’accepte telle quelle.
Aujourd’hui, aucun de vos enfants n’en souffrent ?
Non, non pas du tout.
Comment est née votre amitié avec Baaba Maal ?
Nos deux familles étaient amies, avant même notre naissance. On est nés et on a trouvé cela. C’est de là que tout est parti. Mon père et le père de Baaba Maal étaient de grands amis depuis l’enfance. Aussi, la grand-mère paternelle de Baaba est de Guédé village. Le village où je suis né. Ce lien fortifiait nos relations.
Pourquoi avez-vous décidé de lui rendre hommage ?
Je lui rends hommage pour cette amitié que nous entretenons et qu’on a su sauvegarder lui comme moi. Si tout cela est arrivé jusqu’ici, c’est grâce à lui. Il a tenu et a respecté les conseils de nos parents. Sa maman Aïssata Boubou Yacine lui disait toujours, avant sa mort : Mansour est ton frère de sang. Considère-le comme tel. Dis-toi que vous avez le même père et la même mère. Parce que ma maman est décédée avant celle de Baaba. Elle lui disait : que je sois vivante ou morte, restez toujours ensemble partout où vous serez.
Vous êtes encore jeunes et il y a des choses que vous ne pouvez encore comprendre. Mais Baaba, sache que Mansour est ton porte-bonheur.’’ Baaba Maal a fait sien ce conseil. Même pendant nos concerts, il tente de montrer aux gens l’amitié qui nous lie. Il dit souvent que je suis une bibliothèque pour lui et il dit que je lui ai beaucoup apporté dans la musique. Lui aussi m’a beaucoup apporté. Avec la musique Yella, j’ai découvert beaucoup de choses avec lui. Avec cette musique, on a beaucoup voyagé à travers le monde.
Vous avez du talent et vous le savez. Pourquoi êtes-vous resté, malgré tout, le choriste de Baaba Maal ?
Parce que ce n’est pas la musique qui nous unit. C’est plutôt la musique qui est venue se joindre à une amitié antérieure à notre naissance. Je crois que si je suis resté son choriste jusqu’à ce jour, c’est que je m’y plais. C’est un plaisir de l’être. Je suis bien et même très bien à l’aise dans ce rôle, parce qu’après lui, c’est moi. On se complète musicalement. Je ne peux pas évoluer sans lui et lui ne peut évoluer sans moi. Donc, c’est Dieu qui nous a unis.
Avec Baaba Maal, vous avez créé ensemble le Dande Leñol. Aujourd’hui on parle de Mansour Seck et le ‘’ngawla’’. Quel besoin avez-vous ressenti de mettre sur pied cette formation ?
Le ‘’ngawla’’, c’est juste pour rehausser, redonner, revaloriser cette culture et rendre hommage à Baaba Maal. Parce que c’est ce ngawla-là qui lui a beaucoup donné, à travers le monde. Quand on parle du ‘’ngawla’’, on parle du Yella. Il aime bien cela et il a beaucoup fait pour le ‘’ngawla’’ car c’est grâce à lui que cette culture est connue à travers le monde, même si c’est moi qui lui ai donné les chants. Il a accepté, même s’il est le lead vocal, de vulgariser ces chants et le ‘’ngawla’’.
Donc, vous n’avez pas parallèlement un groupe ?
Non, mon groupe c’est le Dande Leñol. Mansour Seck et le ‘’ngawla’’ dont on parle-là, c’est juste pour l’hommage à Baaba Maal. Je l’ai fait juste pour renouveler le ‘’ngawla’’. Cela va être quelque chose de symbolique entre Baaba Maal et moi. Et chaque année, que Dieu nous prête longue vie et santé, je vais organiser cet hommage.
Comment Baaba Maal a-t-il accueilli cette nouvelle ?
Il a été agréablement surpris. Quand je suis venu lui en parler, en tant qu’ami et frère, il m’a dit éprouver un plaisir immense. Il m’a dit ressentir une grande joie. Il l’a bien accueilli et amicalement. Cela m’a fait plaisir. Il a été très touché et a même versé des larmes.
Quarante ans de compagnonnage avec Baaba Maal, comment avez-vous fait pour sauvegarder votre amitié dans un milieu aussi vicieux que celui de la musique ?
Pour nous déjà, il ne peut y avoir de jalousie musicale. Nous formons vraiment une goutte d’eau compte tenu d’où nous venons et des réalités qui existent dans notre société ainsi que nos deux familles. Il fallait au contraire mieux se souder pour en arriver là aujourd’hui. On ne serait peut-être pas arrivé à un niveau aussi élevé si on s’était séparé. C’est l’amour et la fraternité qui ont été mis en avant.
Quel est le plus beau souvenir partagé avec Baaba Maal ?
Quand on se retrouve, c’est comme si on avait 11 ou 12 ans. On se lance des vannes. On simule des séances de lutte. Notre compagnonnage est nourri de jour en jour.
Le souvenir le plus douloureux partagé ?
Le décès des parents. Ils n’ont pas pu être là et assister à notre réussite. C’est un regret.
PAR BIGUE BOB
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