Il y a de choses que Me Abdoulaye Wade n’encaisse jamais : la vérité, le franc-parler, la critique de ses actes et de sa gestion de l’Etat. L’ambassadrice des Etats unis d’Amérique au Sénégal, Mme Marcia S. Bernicat, qu’il recevait, vendredi 28 mai 2010, l’a appris à ses dépens. En effet, elle est la dernière victime des colères présidentielles lors de l’audience que lui a accordée le Président. Celui-ci a laissé libre cours à sa nature impulsive et orageuse pour tancer publiquement l’ambassadrice des Etats-Unis. En réaction au communiqué des Américains qui demandait à l’Etat du Sénégal de prendre des mesures contre la corruption comme le stipule le contrat signé par les deux Etats dans le cadre du Mcc, Me Wade a convié Mme Bernicat en présence des journalistes pour la rabrouer.
Pour cette énième colère en date, il est allé jusqu’à dire qu’il est prêt à renoncer au programme Millenium challenge corporation, (Mcc) financé à hauteur de 540 millions de dollars par le département d’Etat américain. « Reprenez-le et amenez-le dans des pays où on peut accepter d’être injurié, mais pas ici, au Sénégal », a-t-il réagi. « Je ne comprends pas pourquoi vous êtes le seul pays, à longueur de journée, à nous traiter de corrompus ! », a lancé le président. Et quand Mme l’Ambassadeur veut placer un mot pour s’expliquer sur sa démarche, Me Wade la coupe net : « Ecoutez-moi d’abord Madame ! ». Puis, il s’emporte de plus bel : « Je suis le président de la République et je dois sauvegarder l’image du Sénégal qui est un pays de dignité. Même aux Usa, il y a des corrompus. Chez vous, il y a quelqu’un qui a détourné plus que tous les budgets des pays africains réunis. Est-ce que vous en parlez Madame ? »
Le Président Wade ne supporte pas qu’on l’interpelle sur des cas de corruption. Il a toujours les nerfs à fleur de peau à chaque fois que de telles questions sont agitées devant lui, surtout quand son interlocuteur attend de lui des solutions à ce phénomène. Lors de la session d’ouverture des Cours et Tribunaux, le 13 janvier 2010. Le bâtonnier Me Mame Adama Guèye, en prenant la parole, a regretté le fait que « certains acteurs parasites ont fait le choix de se servir de la justice au lieu de la servir » pour dénoncer la corruption dans la magistrature. Le bâtonnier a eu le courage et la veine d’aborder ce phénomène qui gangrène la Justice d’autant plus des magistrats avaient été cités dans des cas de corruption. Il avait aussi constaté « l’absence de vision qui mène à un éternel recommencement dans les réformes » tout comme il avait regretté les « pressions extérieures » des politiques et dignitaires religieux sur la justice.
Et Me Mame Adama Guèye de corser l’addition avec son constat d’une justice sénégalaise « inéquitable, lente, chère, complexe et source d’inquiétude et de désarroi », en définitive « d’une justice qui ne joue pas son rôle » et accuse un « déficit de fiabilité » avec un « niveau d’incertitude élevé » et « certaines carences ». Alors Me Wade ne pouvait que se fâcher devant de telles remarques pronocées par un homme du sérail qui ne cherchait qu’à poser un débat sur cette problématique. En réponse Me Wade attaque « M. le bâtonnier, en vous écoutant, j’ai le sentiment que vous êtes le procureur sévère qui accable tout le monde. Nous sommes ici en séance solennelle et non dans un meeting politique ! » Il enchaine : « Il y a des magistrats corrompus, comme il y a des avocats corrompus partout dans le monde. Mais le Sénégal constitue une exception (sic). La magistrature sénégalaise est vertueuse et consciente de ses devoirs. Elle sanctionne sévèrement ceux qui commettent des fautes ».
LA CORRUPTION, LE SUJET QUI FACHE
Ne décolérant pas, Me Wade assène au bâtonnier : « vous proposez une refondation du système judiciaire et un observatoire de la justice comme si vous vouliez mettre la justice sous tutelle. Je trouve cela insultant. Vous parlez d’indices de corruption. Laissez-moi vous dire que cette étude sur l’indice de perception a été confiée à des gens qui ne savent même pas ce que signifie corruption en wolof. »
Me Wade sait vraiment oublier toute l’élégance républicaine et la solennité que lui confère son statut d’homme d’Etat. Il s’offre souvent en spectacle de borne fontaine pour prendre sa revanche sur ses adversaires supposés ou réels. On se rappelle, encore, le débat public dont le modérateur était Me Mame Adama Gueye en 2001. C’était le seul et unique débat auquel Wade s’est prêté au jeu des questions libres. Il a fallu une question du journaliste Babacar Justin Ndiaye sur la Casamance pour révéler son caractère vindicatif. M. Ndiaye voulait savoir si le tout nouvel homme fort de l’alternance envisageait une sortie de crise constitutionnelle dans la région sud avec « un statut spécial dans le cadre d’une régionalisation qui donnerait à la Casamance des pouvoirs législatifs encadrés ». Suffisant pour faire sortir le Président de ses gongs : « C’est triste qu’un Sénégalais pose une question que L’abbé Diamacoune n’a pas posée. C’est de la trahison ! » Il se réajuste de son fauteuil et assène : « Si vous êtes un indépendantiste, il faut le signaler ! » Et pour finir, il dit : « Si vous étiez dans certains pays africains, vous savez ce qui vous attend.
Heureusement que je suis un démocrate ! » Pendant tout le temps qu’il se défoule sur le journaliste invité du Forum Civil, le modérateur a tenté de le calmer en vain. Depuis lors, les sénégalais n’auront plus droit qu’à des monologues. Me Wade n’affronte jamais les critiques sans perdre son sang froid.
DES ETATS D’AME IMPREVISIBLES
On se souvient encore de son courroux inexplicable contre le journaliste Yakham Mbaye, lors du sommet du Fond des nations unies pour l’agriculture (Fao) en juin 2008 à Rome. Après avoir vertement critiqué la politique de son compatriote, Jacques Diouf qui est à la tête de la Fao, Me Wade s’est prêté aux questions de la presse étrangère. Mais quand le journaliste sénégalais Yakham Mbaye, alors directeur général du groupe de presse Com 7, éditeur du journal Le Populaire, a voulu lui poser une question, le Président Abdoulaye Wade s’est emporté sans aucune retenue. L’index bien pointé, Me Abdoulaye Wade apostropha Yakham Mbaye sans lui laisser le temps d’ouvrir la bouche : « Toi-là ne me pose pas de question. Bayi ma (Ndlr : en Wolof laisse moi tranquille). Je ne réponds pas à tes questions. Si tu me poses une question, tu vas voir. Que ce soit la dernière fois que tu cherches à me poser une question. »
Ainsi, agit le Président. Il fait comme grand père dans la concession avec ses caprices, ses crises d’humeurs et ses envolées injustifiées. Ceux qui se rendent au Palais présidentiel en font souvent les frais. A l’image d’Omar Sarr, répondant au titre de porte-parole d’Idrissa Seck, ce jour du 24 juillet 2007. Le militant de Rewmi précisait le sens de la présence de la délégation de Rewmi au Palais « pour écouter et rendre compte ». Me Wade en a profité pour lui adresser de sévères et longues remontrances en direct sur les ondes. Pour lui, le porte-parole d’Idrissa Seck était le principal instigateur des « mauvaises relations entre lui (Me Wade) et son ex bras droit ». Il lui reprochait de s’autoriser souvent des libertés en prêtant au leader de Rewmi des propos qui n’étaient pas les siens. Usant à souhait du wolof, il a reproché à Omar Sarr, sur un ton polémiste, d’attiser le feu entre les deux hommes. Non sans le conseiller d’être plus humble : « Il vaut mieux avoir des ennemis intelligents que des amis bêtes ».
La liste n’est pas exhaustive. Depuis son accession au pouvoir en 2000, le Président sénégalais fait montre parfois de manque de délicatesse inégalable pour humilier ses hôtes. En plus de ces cas cités, plusieurs personnalités politiques ou de la société civile ont fait les frais de ce caractère impulsif et imprévisible du Président. C’est le cas d’Ousmane Tanor Dieng à qui il a coupé la parole lors d’une rencontre avec l’opposition au palais. Me Wade disait au secrétaire général du Ps qu’il n’avait rien à dire, car le Ps avait fait pire. Oubliant que la gestion socialiste avait déjà été sanctionnée par les Sénégalais qui l’ont élu pour une gestion plus sereine des affaires. Colérique, le comportement du chef de l’Etat frise, parfois, la démesure. Son désir de vengeance contre ses adversaires et ses « ennemis » le poussent ainsi à saisir toutes les occasions pour tenter de les déstabiliser voire les humilier…
Cheikh Fadel BARRO
lagazette.sn