Le monde universitaire sénégalais compte, depuis quelques mois, un agrégé en marketing en la personne de Fatou Diop Sall. Portrait d’une enseignante qui a bravé écueils et stéréotypes pour monter sur la pyramide universitaire.
La cour du Cesag grouille de monde en cet après-midi de mars. Etudiants et membres du personnel d’encadrement se confondent dans les couloirs et le jardin de ce temple sous-régional du savoir. Le vent semble tout balayer sur son passage et il n’est pas trop agréable de rester dans la cour. Et pourtant une dame à l’allure frêle s’y attarde et nous y attend, comme convenu trois jours auparavant.
Dans une heure, elle sera devant ses étudiants dont elle pourrait bien faire partie de la masse en apparence. Aucun signe distinctif chez Fatou Diop Sall. Rien ne pourrait, a priori, la tirer du lot d’étudiantes qui devisent dans la vaste cour. A peine un habillement plus traditionnel, un cartable et un porte-documents qui contrastent avec le port souvent teenager des étudiantes.
D’une mine gaie, Mme Sall, sur son mètre 70, se laisse aller d’une voix douce qui semble trahir une timidité contenue. Toute souriante, la première Sénégalaise agrégée en marketing à la session du Cames de 2013 tenue à Brazzaville se laisse aller dans sa discipline favorite : « J’avais un handicap dans mes relations humaines. J’ai grandi dans une caserne puisque mon père était gendarme. Le marketing qui s’intéresse au client, au consommateur m’a permis d’avoir le sens du contact humain et d’être plus à l’aise avec les autres ».
Dans le domaine du marketing, la nouvelle agrégée s’est donné un objectif précis : chercher à mieux connaître le client « spécifique », « particulier » qu’est l’Africain. « Le client occidental qu’on nous présente très souvent n’est pas le client africain et les deux n’ont pas les mêmes motivations », argumente-t-elle. Sa cible est donc toute trouvée. Ainsi, glisse-t-elle dans ses travaux de recherches universitaires qui portent le plus souvent sur « homo africanus » en tant que consommateur ou client.
Fatou Diop Sall porte bien sa quarantaine entamée, certainement du fait de sa stature svelte. Mariée à un compatriote établi à l’étranger pour des raisons liées à son travail, cette mère de famille vit avec sa fille et sa nièce. Pour elle, le marketing existe à tous les niveaux de la vie, en tant que pratique consciente ou non : « Toute entreprise qui se veut rentable déroule son plan marketing qui se développe en un ensemble de techniques et de démarches pour satisfaire sa clientèle. Même les politiques y ont recours. On le retrouve également dans le social. Je pourrais même définir le marketing comme le « mocc pocc » de nos bonnes dames, étant entendu que toute femme qui n’en fait pas dans son ménage court le risque de se voir adjoindre une coépouse », prévient Fatou Diop Sall, un peu taquine.
Valeurs religieuses et traditionnelles
Reste à savoir si l’épouse qu’elle est transpose le marketing dans son foyer. « Oh que oui ! » répond-elle sans hésitations. Une réponse tranchée qui lui permet d’affirmer toute sa féminité qui contraste avec le féminisme ambiant. « Chacun a son point de vue sur la question de la parité. A mon niveau, je ne parle pas d’égalité, mais simplement je souhaite qu’on permette aux femmes, à compétences et qualifications égales, d’assumer les mêmes responsabilités et d’exercer les mêmes fonctions que les hommes. Il s’agit donc principalement d’avoir les mêmes salaires, le même traitement et qu’il n’y ait pas de discrimination au travail », plaide-t-elle.
Aussi, son discours qui convoque très souvent les valeurs religieuses et traditionnelles qu’elle porte comme un paravent pourrait donner froid aux féministes. Elle soutient mordicus que le vrai combat n’est pas de chercher à faire de la femme l’égale de l’homme, eu égard à la différence de physionomie, mais surtout à la structure même de nos sociétés.
Recrutée depuis une décennie à l’Ecole polytechnique, rattachée à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, la Maître de conférences est un pur produit de l’école sénégalaise. Elle assure des enseignements au troisième cycle à la Faculté des Sciences économiques et de Gestion de l’Ucad dont elle est sortie et obtenu son doctorat en 2005 dans la spécialité marketing. Elle affiche une satisfaction bien contenue, sans renoncer à un certain goût pour la modestie, quand elle revient sur son itinéraire. Issue de la banlieue, elle se remémore des difficultés quotidiennes qui ont jalonné son parcours : transports en commun pénibles, retours à des heures tardives à la maison, journées passées à la bibliothèque universitaire, entre autres…
La foi en bandoulière, Fatou Diop Sall a cru en la réussite scolaire, seule à même de l’élever dans l’échelle sociale. « Je n’ai pas de sentiment particulier quant à mon statut de première Sénégalaise agrégée en marketing. Elle reconnaît néanmoins que ce n’était pas au départ évident. «Je pense que mon parcours doit être un exemple pour les filles en leur renvoyant et en les confortant dans l’idée que la réussite dans les études est bien possible pour celles qui y croient.
Autrement dit, les filles doivent pouvoir aller le plus loin possible dans les grades universitaires. Nous femmes, nous n’y croyons généralement pas, mais je veux simplement dire que cela est bien possible », exhorte-t-elle.
Sa fierté est aujourd’hui de se voir adulée, érigée en référence par ses étudiantes et de recevoir des messages d’encouragement et de félicitation. Néanmoins, elle se refuse à faire dans l’autosatisfaction. Il lui reste à franchir le palier de professeur titulaire. Elle ne nie pas qu’elle y pense, comme en politique d’autres pensent « tous les matins en se rasant » à une certaine fonction…
Ibrahima Khaliloullah NDIAYE
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