Aujourd’hui, mercredi 23 mars 2014, il y aura certainement, comme au temps du « sopisme triomphant », beaucoup de cars rapides et autres ndiaga ndiaye mobilisés pour déverser à coup d’argent et de tee shirt des milliers de personnes tenaillées par la faim, le chômage et l’ennui, aux alentours de l’aéroport Léopold Sédar Senghor. Ils auront pour mission d’accueillir Me Abdoulaye Wade, revenant ainsi au bercail après 22 mois d’exil volontaire en France pour soutenir son fils Karim, soupçonné de s’être illicitement enrichi et dont le procès est prévu en juin prochain.
Seulement, au lieu de se cantonner dans la posture du père que beaucoup seraient prêts à cautionner, voilà qu’il se drape dans un manteau de chef de parti qui n’est pas sans interpeller. On est en effet fondé à se poser la question de savoir pourquoi les autres collaborateurs et militants libéraux qui ont été et qui sont actuellement derrière les barreaux de la prison n’ont pas été jugés dignes de mériter de cette attention.
A l’évidence, aveuglé par un amour débridé de soi, il continue de se focaliser sur lui-même, développant du même coup un incroyable mépris vis-à-vis des autres, en l’occurrence ses frères et sœurs de parti. Le premier d’entre eux en prendra d’ailleurs pour son grade puisque, de l’avis de Me Wade, si le Pds est encore la première force politique du Sénégal, c’est parce qu‘il contrôle toujours le parti (les responsables libéraux apprécieront).
Avec un aplomb sans pareil, frisant un cynisme qui ne s’embarrasse guère de fioritures, il rappelle que c’est lui qui a nommé Oumar Sarr, coordonnateur du Pds, tout en s’empressant de préciser en tenir toujours les rênes. Tout à ses confidences, (Lire Tribune du 28 février 2014), Me Wade a par ailleurs révélé être entrain de rédiger un livre dont le titre provisoire, “Astuces, stratagèmes et trucs en politiques” , sonne comme un micmac, puisque pour lui, faire de la politique c’est “dribbler” son adversaire, c’est-à-dire clignoter à droite et tourner à gauche.
C’est en fait rouler tout le monde dans la farine. Encore faudrait-il qu’il se résolve à cette nouvelle donne dont il a été victime le 25 mars 2012, au soir de la dernière présidentielle. Et qu’il comprenne surtout qu’on est bien loin du 27 octobre 1999, date de son retour mémorable au bercail, sommé par les leaders du pôle de gauche qui en avaient fait leur candidat pour l’instauration de la première alternance politique démocratique du pays.
Les Sénégalais qui aspiraient à autre chose après 40 ans de gouvernance socialiste faut-il le rappeler, nourrissaient alors de grands espoirs à l’endroit d’un homme dont ils louaient le bagout, les idées audacieuses et les 26 années d’opposition au régime en place même si, faut-il le rappeler, les Amath Dansokho, Maguette Thiam, Abdoulaye Bathily, Landing Savané et tant d’autres, peuvent se targuer de l’antériorité de leurs engagements dans les luttes pour les conquêtes démocratiques. En tout état de cause, revenus de leurs illusions, rejetant toute manipulation de la constitution et toute velléité de dévolution monarchique du pouvoir, les Sénégalais ont sanctionné une gestion qui au-delà des infrastructures exhibées, s’est révélée fortement gabegique, à travers notamment les scandales fonciers, les scandales de l’Anoci et du Fesman, le bradage de la Sonacos et des Ics, l’encouragement de la corruption et de la concussion.
Aussi, tout porte-t-il à croire aujourd’hui que ce n’est pas l’ancien chef de l’Etat sénégalais qui revient dans son pays mais plutôt “l’homme du passif“, chef des vaincus de 2012. Pour sûr, les Sénégalais qui l’ont congédié comme jamais un candidat à sa propre succession ne l’a été depuis l’indépendance du pays ne sont pas en quête d’un tribun qui viendrait les enflammer dans un meeting (celui prévu aujourd’hui est frappé d’interdiction) et meubler leurs têtes des promesses les plus saugrenues, ou leur parler de leur fils qui serait le plus capé , le plus intelligent de tous, le candidat de l’opposition le plus crédible pour la présidentielle de 2017. Ils veulent plutôt du travail, se nourrir, se soigner, s’habiller, se loger, sortir des inondations. Ils veulent que leurs enfants puissent aller à l’école et s’inventer un futur sur leurs propres terres. Ils sont en quête d’hommes et de femmes sérieux qui parlent de l’immédiat et qui s’échinent concrètement à transformer leur vécu pour répondre à leurs besoins.
En clair, ils veulent en finir avec la démocratie rentière faisant la place belle au népotisme et au clientélisme au profit d’une démocratie transparente pour imprimer un nouveau leadership qui tourne le dos aux agressions multiformes de politiques de désinvolture et d’impunité. A l’instar des exemples qui nous viennent du Cap vert et du Rwanda,il s’agit de faire de l’Etat un instrument efficace pour mettre les gens qu’il faut à la place qu’il faut avec un cahier de charges précis sanctionné par l’obligation de résultats.
Et c’est triste de relever que Me Wade ne l’a toujours pas compris essayant vainement de distraire ses compatriotes. Il est de même consternant de voir le Parti démocratique sénégalais (Pds) en mal d’avenir, contraint de s’accrocher désespérément aux basques d’un vieil homme de près de 90 ans.
L’heure n’étant donc assurément pas à la gesticulation, il s’agit de remettre l’éthique et la morale, la lutte contre l’impunité, au cœur de la nécessaire refondation de l’Etat. Et c’est en cela que l’interpellation de Cheikh Béthio Thioune pour non dénonciation de l’assassinat de deux de ses talibés, de Karim Meïssa Wade pour enrichissement illicite présumé, et de tous les autres, annonce l’amorce d’une aube nouvelle. Il revient maintenant à la justice de montrer qu’elle est juste, c’est-à-dire capable de dire le droit dans un sens ou un autre en toute impartialité, quoique cela puisse lui coûter.
Ce pays est trop désorganisé, miné par un incroyable sentiment d’ “ intouchabilité” qui ouvre la porte au laisser faire et au laisser aller. Qu’on ne nous divertisse pas, le temps n’est plus à la ruse wadienne, mais à une opposition et une opposition soucieuses des intérêts majeurs du Sénégal. A la performance, à la mobilisation de toutes les énergies pour l’émergence d’un nouveau leadership porteur d’un projet de transformation sociale radicale qui rompt avec des manières de faire qui aujourd’hui encore, à l’image de la drague en direction de potentiels transhumants et de l’accent mis sur la politique politicienne, ne sont pas pour rassurer.
Par Vieux Savané
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