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Macky Sall : « Nous travaillons à faire décoller ce continent »

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Macky Sall, 52 ans, est président de la République du Sénégal. Premier ministre (2004-2007) sous la présidence d’Abdoulaye Wade, il a largement battu son ancien mentor à l’élection présidentielle de mars 2012.

En 2012, les Sénégalais vous ont très largement élu. Deux ans après, les changements tardent à venir. Comprenez-vous cette impatience ?

Macky Sall : Changer le cours des choses implique de mettre en œuvre des politiques qui coûtent de l’argent. Pour le mobilisergagner la confiance de partenaires, l’Etat et celui qui l’incarne doivent être crédibles. Cela prend du temps et c’est ce que nous avons fait au cours de ces deux années : montrer notre volonté de rupture en termes de gouvernance. Car le Sénégal, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, ne peut pas connaître l’émergence économique : nous consommons plus que nous ne produisons ; plus de la moitié de nos budgets vont aux dépenses de fonctionnement alors que l’investissement est réduit à la portion congrue. Il fautinverser cela. C’est ce que nous faisons avec le Plan Sénégal émergent.

En quoi consiste-t-il ?

Nous avons défini un plan d’émergence basé sur trois piliers. Le premier est l’accroissement des capacités productives du pays. Le deuxième porte sur la bonne gouvernance : j’ai ainsi posé des actes très concrets pour assainir le climatdes affaires. Enfin, nous avons adopté des mesures sociales ambitieuses telles que les bourses familiales, la couverture maladie ou encore la baisse des loyers. Les fondements sont posés ; nous avons les ressources nécessaires. Nous devons maintenant faire les réformes qui permettront à ces investissements deporter leurs fruits.

De retour à Dakar le 25 avril, l’ancien président Abdoulaye Wade vous a accusé de mener « une chasse aux sorcières » contre son fils, Karim, en prison depuis un an pour enrichissement illicite.

J’ai engagé une politique de transparence et de bonne gouvernance. Plusieurs personnes ont ainsi été arrêtées dans le cadre de poursuites pour détournements de biens publics. En faire une question personnelle ne me paraît pas pertinent. Du reste, c’est un dossier pendant devant la justice. Nous sommes en démocratie. C’est elle qui saura qui est fautif et qui ne l’est pas. Il n’appartient ni au président ni aux partis politiques de le faire.

Dans cette affaire, certains évoquent la possibilité d’un accord politique…

Pensez-vous qu’en démocratie, la justice puisse négocier des accords politiques ? Le Sénégal est une démocratie qui se respecte. Evoquer la possibilité d’un accord politique dans le cadre d’un dossier judiciaire, c’est faire insulte à la justice sénégalaise.

Le Sénégal fait souvent figure d’îlot de stabilité au Sahel. Est-il à l’abri du risque djihadiste ?

Aucun pays au monde n’est à l’abri. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe en Syrie, où vous avez des combattants djihadistes français, sénégalais et d’autres nationalités. Mais il ne faut pas non plus créer une psychose. Le Sénégal est un îlot de stabilité, et nous travaillons avec nos partenaires pour répondre à la question du terrorisme : par la coopération, l’échange d’informations, et par des politiques en faveur de l’emploi et de l’éducation. Puisque c’est le désœuvrement qui est le terreau fertile au recrutement de jeunes par ces mouvements.

Craignez-vous la montée d’un islam radical ?

Au Sénégal, nous avons la chance d’avoir un islam confrérique, un islam sunnite basé sur la tolérance. Il est incarné par de grandes figures sénégalaises qui ont créé des confréries. Aujourd’hui, 98 % des musulmans se reconnaissent dans ces confréries, ce qui limite l’influence de courants extérieurs.

Vous avez près de 800 soldats au Nord-Mali, comptez-vous envoyer des troupes en Centrafrique ?

Le Sénégal n’a pas envoyé de troupes en Centrafrique car nous avons presque 2 500 soldats déjà engagés dans des opérations de maintien de la paix : en Côte d’Ivoire, en Guinée-Bissau, au Mali, au Darfour et en République démocratique du Congo. Nous ne pouvons pas faire plus.

De nombreux pays africains accusent la Cour pénale internationale (CPI) d’exercer une « justice de blancs ». Le Sénégal a lui décidé de jugerl’ancien président tchadien, Hissène Habré, accusé de crimes contre l’humanité.

Je ne suis pas de ceux qui critiquent la CPI. Notre pays a été le premier Etat àratifier le traité instituant cette Cour en 1999. D’ailleurs, le Sénégal présentera son ministre de la justice comme candidat à la présidence de la conférence des Etats parties. En ce qui concerne M. Habré, c’est l’Union africaine qui a donné mandat au Sénégal pour le juger. Les Africains ne veulent pas que leurs dirigeants soient jugés en Europe, ce qui est normal, mais cela suppose que nous acceptions d’organiser nous-mêmes les procès.

Les interventions de la France au Mali et en Centrafrique n’ont-elles pas signé l’échec des Etats africains à assurer leur propre sécurité ?

C’est vrai, les Etats africains n’ont pas été capables d’assurer leur défense face à une menace qui est, il faut le rappeler, asymétrique. Si les Etats-Unis ont pu êtrefrappés comme ils l’ont été le 11 septembre 2001, malgré leurs moyens, à plus forte raison, nous autres pays africains. Depuis les indépendances, nous nous battons pour le développement de nos économies.

A ce défi, vient s’ajouter la lutte contre le terrorisme qui demande énormément de moyens. Il faut des unités spéciales, des moyens d’investigations, d’écoute. Je n’ai pas de complexe à dire qu’il faut réadapter notre système de sécurité. C’est ce que nous sommes en train de faire au sein de l’Union africaine avec la force de réaction rapide que nous essayons de mettre en place au niveau de chaque ensemble sous-régional : la Cédéao pour l’Afrique de l’Ouest, la Sadec pour l’Afrique australe… L’objectif est de pouvoir intervenir nous mêmes en cas de menace au lieu de faire appel à la France.

Vous avez été premier ministre du Sénégal. Comment expliquez-vous que malgré l’aide, malgré l’investissement humain, le développement économique de beaucoup d’Etats africains ait si peu avancé ?

D’une part, l’aide a été très souvent détournée, c’est un fait. D’autre part, elle ne peut pas développer l’Afrique. L’aide permet de combattre la famine, des maladies, pas d’assurer le développement d’un pays. Ensuite, l’Afrique, au lendemain des indépendances, a continué de vivre des guerres fratricides, parfois manipulées par l’ancien colonisateur pour faire main basse sur les richesses du continent.

En cinquante-quatre ans, le continent a toutefois fait un bond important. La plupart des pays ont réussi à asseoir l’unité nationale et la paix, s’occupent des questions de développement. Mais on ne peut pas demander l’impossible. Ce continent est jeune, il fait face à de nombreux défis, et il est en train de sortir la tête de l’eau. C’est bien pour cela que tout le monde s’intéresse à l’Afrique. Il était normal que nous connaissions une phase de transition après les indépendances. Elle est maintenant terminée. Il y a de nouvelles élites, une nouvelle conscience africaine. Nous travaillons à faire décoller ce continent.

lemonde.fr

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