Le Pr. Mamadou Diouf jette un regard critique sur le régime de Macky Sall. Accroché en marge du séminaire organisé, avant-hier, par le CODESRIA, cet historien enseignant à l’université de Columbia aux Etats Unis, se dit sceptique par rapport au gouvernement actuel qui, selon lui, manque de vision.
Quel commentaire vous inspire la nomination du Premier ministre Mahammed Dionne ?
C’est tout à fait logique du point de vue programmatique. Si le Président a donné la possibilité à Dionne de gérer le Plan Sénégal émergent, qui est le cœur de sa perspective, la logique voudrait qu’il le nomme. Mais, du point de vue politique, est-ce que c’est une logique politique ? C’est ça la question.
Pensez-vous qu’il est l’homme de la situation ?
Je ne le connais pas; je ne sais ce qu’il a fait à part ce que j’ai lu dans la presse. Je sais au moins une chose : il n’est pas politique.
C’est un militant de l’APR
Il y a plein de gens qui se réclament membre de l’APR. C’est très compliqué. Je veux parler de l’expérience politique, la capacité de comprendre une chose et d’y répondre politiquement. On parle plus de son profil de technocrate.
Comment appréciez-vous le limogeage d’Aminata Touré ?
On peut être d’accord comme on peut ne pas être d’accord. Mais, c’est le Président lui-même qui a établi une règle qui veut que tous les perdants aux élections locales remettent leur portefeuille. Sur ce principe, l’ensemble de ses collaborateurs étaient d’accord. Et le Président n’a fait qu’appliquer une règle énoncée et partagée au départ. Entre le jeu politique et l’efficacité administrative qui semble avoir été le principe de choix des ministres, il y a une tension. Devant ces tensions, on peut choisir deux solutions : la première, c’est de garder les gens en disant qu’ils ont perdu, mais on ne doit pas les sanctionner parce que leur service à l’Etat est plus important. L’autre, c’est de tirer les conséquences politiques des résultats des élections locales.
Est-ce que Mimi Touré a eu raison de ne pas démissionner ?
Je ne sais pas si Mimi Touré avait accepté la règle édictée par le Président ou pas. Si elle n’était pas d’accord, elle est obligée d’accepter puisque la volonté du Président a prévalu. Qu’elle démissionne ou qu’elle soit démise, ce n’est pas très important.
Pensez-vous que Mahammed Dionne aura les coudées franches pour bien remplir sa mission ?
C’est l’énorme problème. On ne peut pas déplacer le débat du terrain technique au domaine politique. Les deux doivent aller ensemble. Est-ce que politiquement, il est capable de répondre aux défis qui existent dans ce pays ? Quand on parle de coudées franches, c’est est-ce qu’il a les capacités politiques ? Est-ce qu’il pourra maitriser le champ politique et en même temps répondre à la demande sociale ? Or, la demande sociale est basée sur une démarche politique.
Après deux ans au pouvoir, pensez-vous que Macky Sall est sur la bonne voie pour sortir le pays des difficultés ?
Deux ans, c’est un horizon très court. Toutefois, il est possible de décliner une vision qui permettrait de régler progressivement les problèmes. Le diagnostic doit être fait, des solutions proposées avec un calendrier précis. Aujourd’hui, l’énorme problème qu’on a, c’est qu’on ne sait pas où va le gouvernement. Des promesses ont été faites, mais elles ne sont pas tenues; où bien il y’a un semblant de les tenir. Et la conséquence est que dans une certaine mesure, le régime de Macky Sall a été sanctionné à l’issue des élections locales. Cette sanction veut dire que les gens ne sont pas contents.
Pensez-vous que le fait de perdre certaines grandes villes comme Dakar et Thiès pourrait influer sur la prochaine présidentielle ?
Si. Pour une raison très simple : le régime est dirigé par Macky Sall. Si les gens qui représentent le régime au niveau local sont sanctionnés, effectivement, cette sanction a une dimension nationale. En France, il est possible de faire cette distinction entre le local et le national. A la limite, on peut dire que Khalifa Sall a gagné Dakar non pas parce qu’il est socialiste, mais parce qu’il représente une légitimité locale. Et le fait que son adversaire soit un Premier ministre donne la possibilité aux gens de Dakar de sanctionner sur le plan local et national le régime.
Le président de la République avait fait de la traque des biens mal acquis une de ses priorités. Mais l’on note de nombreux couacs dans le pilotage du dossier. Cela vous surprend-il ?
Si on fait une analyse très simple, la loi autorise l’Etat et théoriquement les citoyens à identifier une entreprise corruptrice et à investiguer pour trouver les coupables. Mais on constate que la loi est utilisée de manière partisane. Il y a une dimension politique dans l’application de la loi. Il faut que cette loi soit appliquée à tout le monde. Et c’est aux citoyens sénégalais d’y veiller. L’autre chose, c’est que le Président a trop parlé (sur la question). Or, il pouvait dire : “voilà la situation, la loi est là, je laisse la justice faire son travail.” Cette situation a vicié l’atmosphère. Ce qui fait que personne n’a confiance en la justice, personne n’a confiance en personne
Depuis un certain temps, il y a un semblant d’unanimisme de la classe politique. Qu’en est-il exactement ?
Le problème est qu’il va falloir repenser l’école publique, les structures politiques. Ce que vous appelez unanimisme, c’est une règle de cooptation, de transhumance. C’est un mécanisme par lequel le système fonctionne parce qu’il n’y a pas d’espace de dialogue qui permet de faire fonctionner le système. Il profite plus à un clan pour pouvoir s’enrichir. La deuxième chose, c’est ce procès fait aux élites. Elles constituent une minorité et ne déterminent pas ce qui se passe. C’est le rôle des populations. Mais lorsque ce peuple est amorphe…
Quelle est la part de responsabilité des élites dans cette situation ?
Le rôle des élites est d’éveiller le peuple. Mais on ne peut leur porter la responsabilité de tout ce qui se passe. C’est le peuple qui élit les présidents. Effectivement, on peut trouver au Sénégal des gens qui étaient au PIT et qui se retrouvaient un beau matin au PDS puis à l’APR, cela fait partie du fonctionnement “naturel” du système politique africain. C’est parce qu’il y un vide créé par la non participation des citoyens.
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