Les résultats du baccalauréat ont commencé à sortir. Ceux qui sont, pour l’instant, connus sont marqués, dans tout le pays, par leur caractère catastrophique. Si la tendance se maintient, à l’issue des examens du baccalauréat, session 2014, on n’aura pas 15 % d’admis. Et, comme d’habitude, les supputations vont aller dans tous les sens pour donner les raisons de ces faibles performances. On incriminera le niveau des élèves qui ne cesserait de baisser, l’attitude des enseignants qui seraient, pendant l’année scolaire, plus en grève qu’au travail et la mauvaise volonté des autorités qui ne tiendraient pas l’éducation dans leurs priorités. Dans tous les cas, le problème est là, bien réel, et il convient de l’examiner sérieusement pour lui trouver une solution définitive. Espérons que les prochaines assises de l’éducation parviendront à nous le régler pour de bon. En attendant, voyons ce que nous inspirent ces raisons évoquées plus à tort qu’à raison pour justifier les résultats de nos élèves aux examens scolaires.
Les résultats des examens vont, comme d’habitude, nous émouvoir. Comme d’habitude, nous les expliquerons par les mêmes raisons (baisse du niveau des élèves, grèves des enseignants, mauvaise volonté du gouvernement). Comme d’habitude, les vacances vont se passer nous permettant d’oublier un moment tout ce qui s’est passé pendant la présente année scolaire. En octobre, une nouvelle année scolaire va commencer pour se terminer en juillet après des examens dont les résultats seront aussi mauvais que ceux de cette année. C’est comme si notre système éducatif est inscrit dans une logique d’éternel recommencement, d’où l’impression assez négative qu’il donne. Il est temps d’arrêter et de faire une évaluation sans complaisance des examens. Il est trop facile de mettre les mauvais résultats sur la baisse du niveau des élèves. Le niveau des élèves a baissé par rapport à quoi? A-t-on mesuré cette baisse si elle est réelle? Avec quels instruments? En vérité, c’est comme si, se fondant sur le comportement des élèves par rapport à la langue d’apprentissage, on a décrété la baisse de leur niveau. En effet, on entend très souvent dire, pour justifier la baisse du niveau, que les élèves s’expriment mal en français, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit, par rapport aux élèves d’il y a 30-40 ans ayant le même niveau d’études. Sont-ce seulement les compétences linguistiques qui déterminent le degré d’assimilation des enseignements et apprentissages dispensés à nos élèves? S’il en est ainsi, la baisse du niveau est mondiale! En France ou ailleurs, les jeunes d’aujourd’hui ne parlent pas le français comme cela se faisait il y a des dizaines d’années. De même aux États-Unis ou dans un autre pays anglophone, on ne parle plus l’anglais d’il y a 30 ans. Est-ce que, chez nous, les jeunes d’aujourd’hui parlent le même wolof qu’on parlait il y a 20 à 30 ans? Ces exemples montrent qu’on ne peut pas se fonder seulement sur la maîtrise de la langue, inscrite dans une évolution inéluctable, pour se faire une idée définitive du niveau des élèves. Et puis si le niveau a baissé, depuis qu’on en parle, qu’a-t-on fait pour le relever? Les enseignants sont-ils payés pour constater, après chaque session d’examens, que le niveau a baissé? Leur tâche première n’est-elle pas de travailler à relever ce niveau s’il s’avère qu’il a réellement baissé? Parlant des enseignants, j’en arrive à évoquer l’accusation que leur porte l’opinion populaire dans les échecs aux examens. En effet, on entend régulièrement dire que si les résultats des élèves aux examens sont mauvais, c’est à cause des nombreuses grèves des syndicats d’enseignants. On ne peut nier l’effet de ces grèves récurrentes sur la qualité des enseignements et apprentissages en ce qu’elles obèrent sérieusement le quantum horaire. Au cours d’une année scolaire, les élèves ne reçoivent plus, de la part d’un enseignant, le volume d’heures consacré à la réalisation des enseignements et apprentissages dans une discipline donnée. De plus, on se méprend très souvent sur le sens et la portée de l’évaluation. L’impression qui se dégage est que, pour bon nombre d’enseignants, dans des évaluations, échouer est la règle et réussir l’exception. Un jeune enseignant me confia, un jour, qu’il se sentait mal toutes les fois que la majorité de ses élèves se retrouvait avec d’excellentes notes parce qu’il avait l’impression qu’il n’avait pas bien travaillé pour avoir donné des épreuves faciles ou bâclé la correction. Par la pratique, on a fait croire à cet enseignant et à d’autres que les élèves, à l’issue d’une évaluation (examen, composition, devoir surveillé…) doivent, en majorité, échouer. Or, on doit se demander si son enseignement est passé si, après une évaluation, on n’a pas un taux de réussite de 70%. En évaluant ses élèves, on s’autoévalue, on cherche à mesurer le degré d’atteinte des objectifs de son enseignement. C’est que, généralement, on n’évalue pas correctement les élèves. Les professeurs ont tout appris relativement à la discipline qu’ils enseignent, mais ils ne savent pas tous comment évaluer. Certains, en effet, n’ont jamais été formés à l’évaluation, ni dans la formation initiale ni au cours de la formation continue. Il y en a qui ne savent même pas comment confectionner un sujet d’évaluation. Cela veut dire que les autorités en charge de l’éducation ont beaucoup à faire dans la formation des enseignants. Elles doivent aussi revoir les programmes d’enseignement. Les programmes des classes de terminales sont démentiels. On demande aux élèves de série L de connaître toute la philosophie! Ils doivent apprendre, en histoire et en géographie, la géographie des États-Unis (population, économie, climat de cet immense pays), la Russie, le Japon, la Chine, les dragons, les guerres mondiales, etc. Les professeurs de ces disciplines rencontrent d’énormes difficultés. Ils savent qu’ils ne peuvent pas achever le programme. À la fin de l’année, ils distribuent des polycopies aux élèves sachant que cela ne peut pas tenir lieu de cours. En français, on demande à ces élèves d’apprendre tous les genres littéraires, en un an, et de connaître le surréalisme! On les encombre de formules mathématiques comme s’ils étaient de vrais scientifiques! On s’échine à leur faire parler des langues étrangères comme si elles étaient leur langue première! Dans les séries scientifiques et techniques aussi, on surcharge les élèves de choses (dans les matières dites littéraires, notamment) dont ils n’ont besoin ni immédiatement ni postérieurement. Le gouvernement, quant à lui, doit veiller à respecter les accords qu’il conclut avec les syndicats des enseignants pour ne pas les amener, chaque année, à aller en grève pour les mêmes raisons. Il doit corriger la situation déplorable que l’on voit dans nos écoles, avec des effectifs pléthoriques dans les classes, sans matériel didactique et sans laboratoire. Il doit accompagner, par la formation, les enseignants dans la prise en charge des défis liés à un enseignement de qualité, notamment celui de l’évaluation. Il avait l’opportunité de donner un signal fort pour sortir de ce cycle de crises sans fin en créant, à la place d’un secrétariat d’état à l’alphabétisation (une direction de l’alphabétisation existant déjà au ministère de l’éducation avec certainement les mêmes attributions) un secrétariat d’état chargé de la gestion des crises et de la prévention des conflits en milieu scolaire. Il vaut, en effet, la peine de tout essayer pour apaiser l’espace scolaire afin d’espérer mettre en route cette école de qualité que tout le monde appelle de ses vœux.
Notre système éducatif n’est pas si mauvais qu’on le pense. Nous avons d’excellents enseignants qui travaillent inlassablement et parfois avec peu de moyens à la réussite des élèves. Ceux d’entre ces derniers qui ont la chance de poursuivre leurs études dans les grandes universités étrangères (France, États-Unis, Canada…) se distinguent par leurs brillantes performances et font notre fierté. Il suffit juste de travailler à corriger ce qui tient à faire croire que notre école promeut une pédagogie de l’échec.
Daouda Cissé Chercheur en administration de l’éducation Montréal, Québec [email protected]
M. Cissé, bravo pour cette contribution critique. Le seul bémol dans l’argumentation est que le monde ne peut se comprendre à partir d’une seule discipline. Tous les champs sont interconnectés et dans la société occidentale où tu vis en ce moment, la misère sociale qu’on y vit découle justement de cette spécialisation à outrance que le système s’est imposé et qu’on est en train de corriger. En effet, après des décennies de croissance, les failles de ce système apparaissent de plus en plus. Ces pays n’ont plus suffisamment de ressources (humaine et financière) pour limiter seulement le mathématicien aux seuls chiffres ou le médecin aux opérations de soins seulement. D’autres compétences sont nécessaires pour que ce même spécialiste puisse mener à bien son travail. Nous baignons dans une complexité évidente. Il ne faut pas embarquer ou se laisser mouler par la logique du système dominant qui opte pour moins de connaissances et par conséquent plus de vulnérabilité et moins de capacité de résistance. Il faut juste savoir où on veut aller et si on a les moyens de ces ambitions.