Pr., qu’est-ce qui a été déterminant dans la décision de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) de se déclarer compétente pour juger le prévenu Karim Wade accusé d’enrichissement illicite et de corruption ?
Il est délicat de se prononcer en ce moment sur une telle affaire de crainte d’être étiqueté comme appartenant à tel ou tel camp. En l’occurrence, les motifs invoqués par la CREI pour justifier sa décision d’hier nous paraissent fondés en droit strict. Ce qui a pu être déterminant dans cette décision, c’est certainement le recours à l’article 3 de la loi 81 – 53 du 10 juillet 1981 instituant le délit d’enrichissement illicite ; article 3 inséré dans la loi 65 – 60 du 21 juillet 1965 portant code pénal du Sénégal en son article 163 bis. En effet, quand on énumère les textes permettant d’apprécier la compétence de la CREI, on ne saurait faire l’économie de cet article 163 bis.
En conséquence, invoquer les seuls articles 7 de la loi instituant la CREI et 101 alinéa 2 de la Constitution ne saurait être suffisant ! Et, cet article 163 bis du code pénal dispose expressément en son alinéa 2 que « Le délit d’enrichissement illicite est constitué lorsque, sur simple mise en demeure, une des personnes désignées ci-dessus, se trouve dans l’impossibilité de justifier de l’origine licite des ressources qui lui permettent d’être en possession d’un patrimoine ou de mener un train de vie sans rapport avec ses revenus légaux ». Cette formulation, assez claire, fait du délit d’enrichissement illicite une infraction instantanée qui n’est constituée que si et seulement si la personne mise en demeure se trouve dans l’impossibilité de prouver l’origine licite de ses ressources. C’est seulement à cet instant précis que le délit se trouve consommé.
Quid du cas Abdoulaye Baldé, par exemple ?
Aujourd’hui, au regard de cet article 163 bis alinéa 2, Baldé n’est pas censé avoir commis un délit d’enrichissement illicite car on ne sait pas encore si les preuves qu’il a fournies ont suffi pour prouver que son patrimoine a été acquis de façon licite. Cela n’a rien à voir avec la computation du délai de prescription comme certains ont pu le dire car à ce niveau, on apprécie la constitution ou non de l’infraction. Et, c’est à ce moment également qu’on juge de la qualité de la personne poursuivie. C’est dire que le rattachement des faits à la période où cet enrichissement s’est produit n’est pas opératoire dès lors que ce n’est pas à cette époque que le délit a été consommé.
Quelle portée peut avoir cette décision dans l’ordonnancement judiciaire du pays et par rapport au concept de « enrichissement illicite » ?
La portée de cette décision est essentielle en ce que, désormais, la CREI va fixer sa jurisprudence et de ce point de vue, c’est une décision majeure qui fera tache d’huile. C’est-à-dire qu’à l’avenir, la compétence de la Cour ne fera l’objet d’aucun doute et tous les plaideurs sont avertis qu’elle s’en tiendra toujours à la lettre de l’article 3 de la loi 81–53 du 10 juillet 1981 instituant le délit d’enrichissement illicite, devenu article 163 bis alinéa 2 du code pénal.
Le privilège de juridiction ne s’apprécie qu’au moment où le délit est constitué c’est-à-dire lorsque la personne mise en cause n’arrive pas à prouver l’origine licite de ses biens, jamais avant. Dura lex sed lex ! Même si la composition de la CREI venait à changer, cette décision ne saurait changer : ce n’est pas un problème d’homme mais de textes. Quel que soit le juge qui sera à la place du Président Henri Grégoire Diop, il dira la même chose encore que ce n’est pas le Président seul qui juge, c’est un collège de juges. Le juge est lié par le texte et quand celui-ci est clair, on lui interdit de l’interpréter, il doit l’appliquer tel quel sinon il se fera sanctionner en cassation.
La CREI devait-elle attendre que la Cour Suprême statue sur les recours des avocats de Karim Wade?
La saisine de la Cour suprême, en l’occurrence, ne dessaisit pas la CREI que je sache. (…) A ma connaissance, la Cour suprême est saisie d’un rabat d’arrêt. A ce sujet, il est utile de rappeler, pour éviter tout amalgame, que ce recours a été introduit par le Procureur général près la Cour suprême. Et la loi du 08 août 2008 instituant la Cour suprême est claire quand son article 51 alinéa 2 prévoit expressément que le rabat d’arrêt est présenté par le Procureur général près la Cour suprême soit à la demande du ministre de la Justice soit de sa propre initiative.
C’est à dire que le recours est toujours introduit par le Procureur général qui en est l’initiateur ou le transmetteur. Ce recours n’engage pas la CREI qui n’est donc pas tenu de surseoir à statuer en attendant le verdict de la juridiction suprême. Un autre amalgame qu’il faut éviter et que certains invoquent à dessein, et c’est de bonne guerre, est de dire que le rabat d’arrêt a pour objet de demander à la Cour suprême de se dédire !
Le rabat d’arrêt serait-il une invention sénégalaise ?
Nullement ! En vérité, si cette procédure consiste à rapporter, c’est-à-dire à mettre à néant une décision précédente, il faut dire que cela se passe ainsi dans tous les pays de droit où ce recours existe. C’est le cas en France (cf. Atias « Le développement du rabat d’arrêt de la Cour de cassation » in Gaz. Pal. 9 février 2010.) Ce n’est donc pas une spécificité sénégalaise. En l’occurrence, c’est un arrêt de la chambre pénale de la Cour suprême qui fait l’objet du rabat d’arrêt introduit à l’initiative du Procureur général. Et, la Cour va statuer en Chambres réunies (cf. article 51 alinéa 4 de la précitée du 08 août 2008) sans les magistrats qui avaient rendu la décision attaquée. Il n’y a donc pas wax waxeet ! (…)
Le timing de prise de décisions entre la CREI et la Cour Suprême est-il pertinent ?
Ces deux juridictions ne statuent pas l’une en fonction du calendrier de l’autre. Il ne peut en être autrement que si et seulement si le recours saisissant la Cour suprême contre un arrêt de la CREI est suspensif (cf. article 37 de la loi précitée du 08 août 2008) ; ce qui n’est pas le cas en l’occurrence. Heureusement d’ailleurs car si la CREI devait surseoir à statuer chaque fois que la Cour suprême venait à être saisie, il y a fort à parier que ses procédures allaient s’éterniser. Pour le moment, chaque partie est dans son rôle et il ne faudrait pas en tenir rigueur aux avocats de la défense car tous les moyens légaux sont valables, y compris les astuces juridiques de nature à tromper le juge mais tout en restant dans le cadre de l’étique et de la déontologie. De ce point de vue, le ministre Karim Wade a la chance d’avoir des avocats férus de procédure et très chevronnés.
*Membre titulaire du Comité Maritime International (CMI) depuis 1993,
Consultant et porte-parole du groupe africain à la CNUDCI (ONU) en Droit des transports depuis 2006, Formateur de magistrats à l’Ecole Régionale Supérieure de la magistrature de l’OHADA à Porto Novo depuis 2004.
je ne suis pas juriste mais une simple logique: si le delit est instantane, chaque prevenu doit libere si au moment de rendre sa mise en demeure nest plus en foction. cest le cas de karim wade.
instantane veut simplement dire eviter la prescription par exemple un ministre sous senghor ne peut pas dire laffaire sest passe il ya quarante ans par exemple.
Complique le droit.
C’est pas l impression qu on a au Senegal ou tout le monde est juriste de fait.