Autour de l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd) de Diass, une forte pression est exercée sur le foncier pour des raisons diverses. Outre les demandes démesurées de l’Etat du Sénégal, des projets immobiliers et industriels y foisonnent, compromettant ainsi les activités agricoles et pastorales et l’équilibre de l’environnement. Les populations sont inquiètes de leur avenir. La sécurité de la future plateforme aéroportuaire est compromise. Il faut agir avant qu’il ne soit tard. Le gouvernement tente d’organiser l’occupation de l’espace. En attendant, Le Quotidien en partenariat avec l’Institut Panos, a tenté de percer ce phénomène de spéculation foncière, ses impacts sur le milieu humain et physique et les initiatives de préservation.
Parcelles délimitées, fondations, lotissements,… : On réserve en attendant la surenchère
Autour de l’Aibd, chaque affectataire de parcelle, aussi modeste qu’elle soit, a fait l’effort d’entamer une mise en valeur. Fondations, murs de clôture et bornes sont partout.
Une vue aérienne ne perce pas le mystère au sol. La savane ligneuse cache «une forêt d’initiatives, de lotissements». Assoiffée, elle laisse apparaître son secret fait d’œuvres de géomètres topographes et des maçons. Vergers parcellarisés, pose de première pierre, bornes érodées, fondations, murs de clôture inachevé, ça ne chôme point autour de l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd) de Diass. L’aire réservée n’importe point. C’est un investissement à moyen et long terme. Il est à rentabiliser au moment de la hausse du prix du mètre carré et d’un retour sur investissement. Le nouvel aéroport n’est pas épargné par le syndrome immobilier qui a fini de compromettre la sécurité de la plateforme aéroportuaire de Dakar. Les parcelles jouxtent le mur de clôture.
La bretelle qui mène à Kirène est bordée d’ilots de lopins en début de mise en valeur pour échapper à la rigueur de Loi sur le domaine national du 17 juin 1964. Adossé au village de Diass, un lotissement bute sur le mur de l’aéroport mais celui-ci précède la délimitation du site de l’infrastructure. Jusqu’à Sindia, il n’y a plus de terres sans propriétés. Elles appartiennent pour la plupart à des patrons vivants à Dakar, indique Souleymane Ciss, un des responsables des jeunes de Diass.
Il est 13H 45 mn à Kiréne, village véritable hôte de l’Aibd. Les petits ruminants se pavanent dans les rues et dans le cimetière, malgré la forte canicule. Les habitants sont les concessions. Certains ont la malchance d’être rattrapés par le projet de l’autoroute à péage qui s’érige par ailleurs en rideau entre le village et le domaine de l’Aibd. Néanmoins, l’espoir de la fin d’une réclusion géographique y est légitime. En attendant, ce sont des bols de poussière de latérite à avaler, des échos des camions à subir.
Kiréne est manifestement le point de convergence des projets immobiliers. Samba Ciss, le chef de village par intérim par ailleurs président de la Commission domaniale de la commune de Diass, a vu la tumeur immobilière venir. «Je les ai stoppés avant qu’ils n’arrivent ici», dit-il. Cette affectation des réserves foncières de la localité sont des excroissances de la ruée vers les terres de Diamniadio. En effet, géomètres et maçons ont été plus sollicités à partir de là. D’un champ morcelé à un autre, la commune de Diass est devenue la proie des investisseurs. L’Aibd est un facteur de renchérissement du prix de revente du mètre carré à moyen terme. Ce qui explique le retour d’un ancien attributaire de 350 ha à usage agricole près du village de Packy. Son projet de lotissement du site qu’il s’était vu affecter au début des années 1990 s’est heurté à l’opposition des villageois qui l’exploitent. Il reste qu’à partir des grands axes routiers (les Nationales 1et 2, l’autoroute à péage), coopératives d’habitats, projets immobiliers de l’Etat et bien d’autres initiatives individuelles ne laissent plus les populations et le directeur de l’Aibd indifférents.
Les inquiétudes du Dg de l’Aibd
Lors de la signature d’une convention quadripartie avec l’Agence nationale de l’aménagement du territoire (Anat), Ageroute et l’Apix pour la mise en œuvre du Schéma directeur d’aménagement et de développement territorial de la zone Dakar-Thiès-Mbour, le 2 juillet passé, Abdoulaye Mbodj, Dg de l’Aibd, a dénoncé les «agressions foncières» contre cette infrastructure en construction. Il a tiré ainsi la sonnette d’alarme : «Aujourd’hui, la construction de l’aéroport n’est pas encore terminée, mais nous avons déjà beaucoup d’agressions contre lui. Il y a beaucoup de lotissements tout autour. Or, l’Aibd doit être au cœur de toutes les infrastructures du pôle urbain de Diamniadio». Le Dg Mbodj estime que la sécurité du nouvel aéroport exige qu’on combatte «ces agressions».
L’Apix veut s’ériger en sentinelle pour l’occupation spatiale dans cette zone. Son directeur Mountaga Sy a tenté de rassurer. «C’est vrai, il y a beaucoup d’investisseurs attirés par le foncier autour de l’aéroport de Diass. Mais tout cela sera structuré, accompagné et guidé en s’appuyant, entre autres, sur les collectivités locales de la zone, pour avoir des schémas directeurs d’urbanisation et d’assainissement afin d’avoir un maximum de sûreté et de sécurité autour de cette infrastructure aéroportuaire», rassure-t-il.
Pour le directeur de l’Anat, maître d’œuvre de la convention de partenariat, qui lie les quatre agences étatiques pour 5 ans, «l’Aibd se trouve être une ressource territoriale importante avec des infrastructures structurant tout autour qui attirent du monde et des investisseurs», dit Mamadou Djigo. Ceci légitime l’arrivée les porteurs de projets.
L’Etat s’octroie plus de 22.000 ha
Il est difficile de disposer de registres du foncier des Collectivités locales concernées à même d’informer sur les transactions en cours et la superficie morcelée. «C’est souvent des zones de cultures d’un à quatre hectares que les exploitants eux-mêmes – je veux parler des populations – qui les ont donnés volontiers aux promoteurs immobiliers», explique le chef du village de Kirène.
Pour ses propres projets, l’Etat s’est aussi accaparé de vastes espaces à Diass. Les décisions de l’ex-Président Wade sont encore fraîches dans les mémoires. Le décret n° 2001-666 du 30 août 2001 a été transmis au Conseil rural de Diass, à l’époque. Ce qui a permis d’affecter au projet de l’Aibd 2.601 ha. Puis, cette superficie a été étendue à 4.000 ha. Les populations n’ont cessé de manifester pour dénoncer ce qu’elles appellent un «accaparement» de leurs terres par l’Etat du Sénégal. En effet, pour la création d’une Zone économique spéciale intégrée proche de l’aéroport, le gouvernement s’est attribué 14.000 ha. Cette zone part du village de Yène à Popeunguine en traversant celui de Diass. Une autre zone spéciale, qui devrait abriter le marché de Dubaï ; a été délimitée sur 718 ha dont 250 ha pour des «industries légères», 80 ha pour «l’habitat intégré» et 90 autres pour du «agro-processing». Les populations locales dénoncent ce qu’elles appellent «l’accaparement» de la plupart de leurs terres. «Nous avons aussi, sur la demande des autorités de l’ancien régime, délibéré sur 100 ha pour les gros-porteurs, 100 autres hectares pour l’entreprise Bin Laden qui construit l’Aibd et 100 ha aussi pour un promoteur immobilier qui doit y construire 500 logements (projet d’une nouvelle ville)», ajoute Samba Sène, le président de la Commission en charge du domaine foncier.
Nébuleuse autour de 4.000 ha pour la sauvegarde
Le seuil du tolérable semble avoir été franchi il y a quatre ans. C’est encore un décret (N°2010-894 du 30 juin 2010), qui vient doubler le besoin en terres de l’Aibd. «On nous l’a envoyé pour dire que la surface du nouvel aéroport va passer de 4.000 à 8.000 ha», assure Samba Sène. Cette décision présidentielle portant «extension de l’aéroport de Diass» autorise «le gel de toutes les attributions et affectations en cours, la suspension de tout projet immobilier et de toutes les transactions immobilières en cours dans ce périmètre». Pour le gouvernement, il est question de créer une zone de protection et de sauvegarde et non edificandi autour du nouvel aéroport pour éviter ce qui est arrivé à Dakar. Le décret parle de conformité aux recommandations de l’Organisation de l’aviation civile internationale (Oaci) pour la sûreté. L’avis préalable des autorités locales n’a pas été requis. Une telle décision affecte une bonne partie du village de Diass et 11 villages de la commune de Keur Moussa. Le décret a trouvé en place les lotissements qui caressent les barbelés de l’Aibd. «Plus de 2.000 parcelles ont été affectées ici à Diass», précise Samba Sène.
Pour le maire de la commune de Keur Moussa, «le directeur de l’Aibd, qui parle d’agressions foncières, doit d’abord travailler à connaître les limites de son aéroport pour éviter des problèmes dans le futur». Avant sa reconduction à la tête de la nouvelle commune, Alioune Samba Ciss réclamait une restitution des terres, d’autant que, lors d’une audience publique tenue à Diass, l’ancienne directrice de l’Apix, Aminata Niane, avait rassuré que les 4.000 ha comprenaient déjà toutes les servitudes de l’aéroport et la zone de sécurité. Par conséquent, il n’y avait pas besoin de doubler la superficie de l’Aibd. Il a fallu trois semaines (20 avril 2012) à Macky Sall au pouvoir pour que les populations de Diass organisent un rassemblement pour demander au successeur de Abdoulaye Wade une restitution de leurs terres. Elles attendent encore une réponse.