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Tournee Economique Du President De La Republique Dans Les Regions De Saint-Louis Et De Matam : Le Rêve D’un Natif De L’île-A-Morphil

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Monsieur le Président, l’occasion fait le larron dit-on mais je ne crois être ni un larron ni faire une chose répréhensible en profitant de votre voyage programmé dans le nord du pays pour rêver les yeux ouverts. Rêver les yeux ouverts, c’est vous exposer un certain nombre de choses que j’aimerais vous voir faire dans une région déshéritée de notre pays : l’Île-A-Morphil.
Je ne sais pas ce que l’administration territoriale et vos conseillers ont prévu comme agenda pour votre voyage mais je suis presque sûr que, soucieux de votre confort, ils veulent vous éviter l’épreuve d’aller dans cette énorme île de 150 km de long, enclavée entre les deux bras du fleuve Sénégal, et qui doit son nom à l’ivoire des éléphants qui y vivaient semble-t-il en grande quantité il y a bien longtemps de cela. Comment en effet envoyer un président de la République dans cet enfer où il n’y a que des ténèbres (l’électricité est encore une denrée très très rare dans cette partie de notre pays) et des pistes si cahoteuses qu’elles pourraient esquinter, vite fait, les reins les plus solides surtout en période d’hivernage ? Il est certain qu’ils n’oseront pas !
Pourtant, Monsieur le Président, vous connaissez bien l’Île-A-Morphil pour y être venu à la recherche de soutiens après votre décision de solliciter la confiance des Sénégalais. Des noms comme Dara-Halaïbé, Sinthiou-Dangdé, Démeth…vous disent certainement quelque chose. A l’époque vous aviez bravé toutes les difficultés évoquées ci-dessus pour y aller. Maintenant que vous êtes président de la République, comment les populations interpréteraient-elles un évitement éventuel ? Elles se diraient : maintenant qu’il a le pouvoir, nous ne l’intéressons plus, il nous laisse à notre sort. Il y a des attitudes plus blessantes que des mots !
Monsieur le Président, ne faites comme le Ministre d’Etat, Ministre de l’intérieur Jean Collin : parti s’enquérir de la situation des populations, dont beaucoup étaient de cette enclave, au lendemain du déclenchement du douloureux conflit sénégalo-mauritanien de 1989, il préféra prudemment rester sur la Nationale 2 plutôt que d’aller jusqu’à la berge du fleuve Sénégal, le théâtre des événements ; sans doute pour éviter quelque balle perdue. Faites plutôt comme l’un des vos illustres prédécesseurs, Léopold Sédar Senghor, qui affectionnait le contact direct avec les populations lors de ses tournées économiques. Cette démarche lui permettait de recueillir des doléances dont certaines n’auraient jamais été portées à sa connaissance par les relais ordinaires ; et par ce geste, il marquait aussi toute sa considération à l’endroit de ses administrés.
Comme il est fort probable que vous n’y alliez pas, autant prendre connaissance, sans plus tarder, des doléances qui n’auraient pas manqué d’être portées à votre connaissance si vous y étiez allé :
1. Le désenclavement. Je sais que vous êtes en train d’activer la réalisation des ponts de Ndioum et de Toufndé-Bali ainsi que celle de la piste qui doit traverser toute l’Île-A-Morphil, c’est très bien. Mais les populations de la partie centrale de l’Île-a-Morphil (où se trouvent les plus gros villages de la zone) vous diront qu’elles ne seront pas désenclavées par ces ouvrages qui sont trop à l’ouest. Elles empruntent en effet l’axe Dodél (village sénégalais sur la Nationale 2) Boghé (ville mauritanienne) qui est le seul à rester praticable même en cas de crue exceptionnelle. Cet axe est aussi un axe économique non négligeable dans le cadre des échanges économiques entre le Sénégal et la Mauritanie (le marché hebdomadaire de Dodél ressemble à celui de Diaobé par le flux de populations transfrontalières en provenance de la ville de Boghé. Enfin cet axe pourrait se révéler stratégique dans le cadre de l’intégration sous-régionale : Avec un bac ou un pont entre Démeth et Boghé, on ne serait plus obligé d’aller jusqu’ à Rosso pour rallier Nouakchott.
Pour toutes ces raisons, les deux ponts nécessaires sur cet axe méritent d’être réalisés le plus vite possible. Le programme « Zéro Bac » les avait déjà prévus (voir Avis d’Appel Public à Candidature, Dossier de Pré-qualification N° D/803/A3 paru dans Sud Quotidien du 31 décembre 2010, Lot n°2 : pont de Dodel 1 (150 ml) et pont de Dodel 2 (130 ml)).
C’est le lieu de remarquer que les ponts qui ont été réalisés jusqu’ici, n’ont pas obéi à un aménagement raisonné du territoire concerné. Il suffit de jeter un coup d’œil sur une carte du département de Podor pour s’en convaincre : les premiers ponts ont été construits en tenant plus compte du confort de l’administration territoriale que de celui des populations ; quant aux deux ponts de Ndioum et de Toufndé-Bali, c’est surtout le critère « poids politique » qui a dû peser. On voit ainsi que la partie centrale de l’Île-A-Morphil qui aurait dû avoir la priorité parce qu’équidistante des deux extrémités de l’île et pour les raisons indiquées ci-dessus, a tété malheureusement totalement négligée. Il est grand temps de consulter plus les populations que les « les notabilités » si on veut un aménagement équilibré. Il faut plus qu’une piste latéritique pour l’Île-A-Morphil. C’est une route goudronnée qui serait plus conforme aux énormes potentialités agricoles de cette contrée.
2. Monsieur le Président, les populations vous auraient parlé d’électricité. Elles ne comprennent pas que la ligne haute tension venant de Manantali longe leur région depuis de longues décennies et qu’elles soient encore privées de courant surtout si elles se souviennent encore qu’on leur avait dit que les barrages leur profiteraient en priorité. Certes elles voient maintenant des poteaux dans la plupart des villages mais depuis des années que le programme de L’ASER/ONE/ COMASEL traîne en longueur, elles n’en peuvent plus d’attendre d’entrer enfin dans le 21ème siècle, avec toutes les commodités et toutes les perspectives de développement qui vont avec l’arrivée du courant électrique. Elles aimeraient vous voir arriver en père Noël c’est-à-dire avec ce cadeau tant attendu.
3. Monsieur le Président, puisqu’il s’agit d’une tournée économique, les populations du département de Podor vous auraient demandé la reprise du programme des cuvettes de Podor, de Gamadji, de Wowa et de Sinthiou Dangdé dont les arbitrages ou les réorientations intervenus dans le cadre du MCA américain ont bloqué la réalisation. Ces cuvettes avaient soulevé de très grands espoirs, et avec l’aide substantielle qu’un pays ami vient d’accorder au Sénégal dans le cadre de ses efforts d’autosuffisance en riz dans la vallée, il faut impérativement les réaliser. Les populations du département de Podor ne peuvent pas comprendre que les arbitrages se fassent toujours en faveur du delta ou de la Casamance qui ont englouti les énormes sommes du MCA. L’agrobusiness pur et dur a souvent abouti à ce que certains spécialistes ont déjà appelé l’arme alimentaire et non à la résolution des problèmes d’autosuffisance alimentaire ; nous n’oublions pas les autres conflits potentiels dont il est porteur. Il faut donc augmenter le nombre d’exploitations familiales dans cette contrée négligée jusqu’ici.
Si des canaux sont aménagés pour porter l’eau à l’intérieur des terres et l’énergie mise à disposition ; si le matériel agricole est modernisé, le taux d’intérêt du crédit agricole ramené à 3% comme dans certains grands pays agricoles, nos paysans peuvent relever victorieusement le défi de l’autosuffisance pour beaucoup de produits.
4. En matière de santé, il faut renforcer les structures sanitaires existantes et en créer d’autres pour contrer efficacement le paludisme et la bilharziose devenus endémiques avec les barrages. En concertation avec les populations et en se fondant sur des critères objectifs et transparents, implanter autant de centres de référence que nécessaires pour que les évacuations de femmes, en travail ou connaissant des accouchements difficiles, puissent se faire sur de courtes distances. Cela aurait pour avantage de sauver beaucoup de vies de mères et de bébés qui sont actuellement perdues.
5. Il y a de nombreuses écoles primaires, de nombreux collèges de proximité et même quelques lycées dans l’Île-A-Morphil. Pour assurer aux élèves un bon niveau leur permettant d’avoir les mêmes chances de réussite que les élèves des villes, il est urgent de trouver un moyen d’inciter les enseignants à accepter de servir dans cette contrée déshéritée : primes spéciales ou tout autre moyen efficace. Autrement ce qui avait pour but de réduire les inégalités (les établissements scolaires de proximité) risque au contraire de les aggraver de la pire des manières. Il faudra aussi penser à l’enseignement professionnel en adéquation avec les métiers de l’agriculture.
6. L’environnement de l’Île-A-Morphil a beaucoup souffert des barrages : « …les barrages – censés contribuer à la protection de la région contre la sécheresse – entraîneront une sécheresse artificielle permanente.» (Salem-Murdock M. et alii, Les barrages de la controverse. Le cas de la vallée du fleuve Sénégal, Paris, L’harmattan, 1994, p. 38). Tous les habitants de l’Île-A-Morphil ont constaté ce curieux phénomène depuis la régularisation du débit du fleuve. Pour ramener la verdure et les poissons, il y a lieu de revoir les bouches et les profils des défluents pour les adapter au nouveau niveau du fleuve de sorte que l’eau puisse s’écouler dans certains bas-fonds qu’elle atteignait avant l’érection des barrages. Les techniciens de l’hydraulique rurale devraient pouvoir trouver une solution satisfaisante. Cela permettrait de ramener l’herbe, les arbres et les poissons (qui mettraient ainsi fin au règne du yabóóy).
Monsieur le Président, « le cahier de doléances » d’un natif de l’Île-A-Morphil pourrait prendre la forme d’un long chapelet de besoins aussi urgents les uns que les autres mais je vais arrêter ici mon rêve les yeux ouverts, avec l’espoir qu’à mon réveil je ne me dise pas à moi-même, mais surtout à ceux dont je me fais ici le porte-voix : ko kóy?ól tan wonnoo (ce n’était qu’un rêve) !

Pr Aboubacry Moussa LAM
Natif de Sinthiou Dangdé, dans l’Île-A-Morphil
Dakar le 24/8/2014

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