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Ebola nous changera-t-il ? par Madiambal Diagne

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«Ce qui est naturel, c’est le microbe. Le reste, la santé, l’intégrité, la pureté, si vous voulez, c’est un effet de volonté et d’une volonté qui ne doit jamais s’arrêter». (Albert Camus, La Peste)
Il y a autant de lectures que de lecteurs du célèbre roman de Albert Camus, La Peste (1947). Les analogies et les transpositions sont variées, mais le récit évoque la vie des habitants de la ville d’Oran, frappée par une effroyable épidémie de peste, du temps de l’Algérie française. La situation que décrit l’écrivain qui sera «nobellisé», dix ans après la parution de ce roman, ressemble étrangement à celle que vivent les populations de nombreuses capitales d’Afrique de l’Ouest. Tout le monde se méfiait des habitants d’Oran et toutes les formes de déplacement vers ou en provenance de la zone touchée par l’épidémie étaient proscrites. On s’épiait ou se méfiait d’un quartier à un autre, d’une maison à une autre. Une épidémie de fièvre hémorragique, ébola, sévit depuis plusieurs mois en Afrique de l’Ouest et fait des milliers de victimes. A Lagos, Conakry, Freetown et Monrovia, on vit la peur au ventre, on cherche à endiguer la maladie, à stopper sa propagation et les villes touchées se ferment. Au Sénégal, on a longtemps vécu dans une certaine psychose de voir le virus pénétrer à travers les frontières poreuses. En effet, nous nous savions vulnérables, pas seulement à cause du brassage des peuples, notamment avec ceux de la Guinée dont la partie forestière constitue le premier foyer connu du virus qui tue par milliers en quelques semaines, mais surtout de notre désinvolture, pour ne pas dire notre irresponsabilité. Le gouvernement avait décidé, dans un premier temps, d’imposer la fermeture des frontières pour éloigner le virus, mais il se trouvait des voix pour fustiger cette mesure prophylactique. Dans un même pays, des régions ou des villes, ou même des quartiers ou des habitations frappés par une épidémie peuvent être mis en quarantaine par rapport au reste du pays. Pourtant, au cours d’un Conseil national de sécurité présidé par le chef de l’Etat pour évoquer les mesures à prendre pour faire face à une éventuelle entrée du virus au Sénégal, des autorités, en charge des questions de sécurité, disaient leur impuissance à contrôler les frontières. Résultat des courses, on trouvait normal que certains voyageurs arrivaient à passer entre les mailles du dispositif sécuritaire. Les médias avaient évoqué cela en précisant même que certains voyageurs témoignaient avoir pu traverser les frontières en soudoyant des agents aux postes-frontières. La mesure de fermeture des frontières devenait alors ridicule et le gouvernement qui, par ailleurs, faisait l’objet d’une forte pression diplomatique de la part des autorités guinéennes, se résigna à la suspendre ? La vigilance a été ainsi relâchée et ce qui devait arriver arriva. Le virus ébola a été importé au Sénégal. Le vecteur est un jeune étudiant guinéen qui a réussi à entrer au Sénégal. En tout cas, aussi longtemps que la frontière avec la Guinée restait officiellement fermée, le virus n’était pas entré au Sénégal. Le prix du laxisme ? Sans doute. Et on devrait craindre le pire si jamais nous ne nous remettons pas en cause. Dans ce pays, on pense que les prières du marabout peuvent immuniser n’importe quel sujet contre la maladie la plus meurtrière. Surtout que le marabout lui-même est un potentiel vecteur du virus. Un aîné, avec un humour pince-sans-rire, disait : «Si Ebola arrive ici, nous mourrons tous car dans ce pays, même celui qui prie pour vous, vous crache dessus !» Un autre moyen de dissémination de la maladie. Ils sont légion ceux qui croient que le marabout est un être particulier, qui ne chope pas de virus et serait même immortel. Il ne meurt pas, il se cache simplement ! Que dire des fidèles qui ramassent les crachats du guide religieux pour les avaler afin de profiter des bénédictions qui y sont attachées ? Croyez-moi, on a vu de tels comportements ! Albert Camus rappelait cependant que «les religieux n’ont pas d’amis, ils ont tout placé en Dieu».Dans les réseaux sociaux, on fait circuler des listes de prières prodiguées par tel ou tel autre guide religieux pour se protéger de la fièvre ébola. Qu’il serait salutaire si ces religieux prescrivaient de faire usage de produits antiseptiques !
Que dire de nos rites funéraires ? Les personnes qui reviennent d’un enterrement au cimetière sont invitées à se laver les mains dans une même bassine d’eau. L’idée d’hygiène serait à la base d’une telle pratique, mais on ne réalise même pas que cette eau est très susceptible d’être une culture intensive de bactéries de toutes sortes. Dans nos foyers, les habitants comme les visiteurs, partagent le même bocal pour se désaltérer ou plongent les mains dans la même eau pour se laver avant les repas ! Dans la rue, n’importe quel quidam vous serre la main sans se soucier de vous laisser des bactéries ou d’en choper. Gare à vous si vous refusez la main tendue ! Quelle autorité dans ce pays s’aventurerait-elle à interdire des rassemblements pour des chants religieux, des cérémonies familiales, ou à consommer des eaux dites bénites, tirées des puits de miséricorde trouvés dans chaque ville religieuse ? Ebola est dans la cité, dans cette terre bénie de Dieu et qui a dans ses entrailles les plus grandes saintetés, alors prenons garde !

Madiambal Diagne
[email protected]
lequotidien.sn

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