Après presque 80 heures d’interrogatoire sans interruption, Pierre Agbogba, qui n’a pu assister à l’enterrement de sa frangine au Bénin, a vu son calvaire prendre fin quand le président de la Cour, Henri Grégoire Diop, a demandé au présumé complice de Karim Wade d’aller s’asseoir puisque ni les juges de la Crei, ni le Parquet spécial, ni les avocats de la partie civile et de la défense, ni les autres prévenus n’avaient plus de questions à lui poser ou d’observation à lui faire.
10 heures 32 et au président de la Cour de prononcer sèchement : «Alioune Samba Diassé à la barre !» Un vieil homme tout de blanc vêtu avec des cheveux blanc s’appuyant sur une béquille et claudiquant laborieusement se dirige vers le micro réservé aux prévenus.
D’emblée, le patron de ABS (Aéroport Bus Service devenu Airport Bus Service) ne reconnait pas avoir aidé Karim Wade à s’enrichir illicitement. Sa société s’occupe du transport des passagers de l’aérogare aux aéronefs ou inversement. Les neuf bus qui s’occupent de cette navette intra-aéroportuaire sont de marque allemande.
Sous le feu roulant du président de la cour, Alioune Diassé déclare qu’il a créé cette société en y associant un Allemand du nom de Wolfgang. Chacun d’eux détenait 45% des actions de la société. Et les 10% autres étaient «portés» par Fatou Babou, une femme qu’Alioune Diassé considérait comme une «tante».
Mais un fait cocasse : Diassé avait demandé à Wolf de mettre le nom de quelqu’un d’autre pour «porter» ses actions parce qu’il voulait éviter qu’un étranger soit mêlé à son entreprise. Et c’est ainsi que Wolf céda ses actions à sa copine Véronique Lily Manga qui, en réalité, n’était que la domestique de la mère de Pape Mamadou Pouye, un des patrons de AHS. D’ailleurs le président de la Cour s’est étonné que de telles actions soient «portées» par une domestique, vu son niveau de salaire. Mais Diassé déclare ignorer littéralement la fonction de Véronique.
Revoilà la «chauve-souris» Bourgi
Il faut souligner qu’ABS est créée le 19 juillet 2002. Mais Diassé, qui était comptable à Bourgi Transit avec un salaire de 250 000 francs CFA, a quitté ladite structure quand les parents de Ibrahima Abdou Khalil dit Bibo Bourgi l’ont soupçonné de murir un projet personnel. Et sur insistance d’une question du substitut du procureur spécial, Félix Antoine Diom, Diassé révèle que Fatou Babou, «sa tante», était secrétaire à Bourgi Transit.
Mais le 16 novembre 2002, Diassé a démarré ses activités intra-aéroportuaires. Et bizarrement son premier marché, il l’a remporté 15 jours après la constitution de sa société. Et pour acheter les bus, il a bénéficié d’un prêt bancaire de 627 millions auprès de la SGBS. Et cela après avoir augmenté son capital bancaire, le 19 février 2003, de 240 millions. Les 210 millions sont le fruit de ses économies et de la vente de ses «thiouraye» (encens) que lui préparait sa mère ; son beau-frère, Christian Ngoma, vivant au Gabon, lui prêtant les 30 millions restants. Il faut dire que ces bus étaient achetés et stationnés au port quand l’appel d’offres qu’il a gagné n’était même pas encore lancé.
Revenons à Diassé et ses associés. Finalement il a repris les 45% de Wolf, par conséquent de Véronique qui les portait mais contre un pretium doloris de 40 millions. Wolf est le grand gagnant de cette reprise d’actions puisqu’il n’a jamais déboursé un seul kopeck lors de la création d’ABS. Si Diassé lui avait cédé 45%, c’est parce qu’il avait un carnet d’adresses qui pouvait leur permettre d’acquérir facilement ces navettes allemandes.
En outre il a repris les 10% de sa «tante» Fatou Babou pour donner 3% à cette dernière et 2% à Véronique. Et finalement ces parts ont été cédées respectivement à la femme et au fils de Samba Alioune Diassé. Véro et Fatou Babou n’ayant rien reçu en contrepartie. Ce qui pousse Antoine Diom à faire avouer au patron d’ABS qu’il est possible d’avoir son nom comme actionnaire dans une société alors qu’en réalité on n’y dispose d’aucune action. C’est pour dire qu’on peut servir de prête-nom dans une société.
Ce que les prévenus Pape Mamadou Pouye, Mbaye Ndiaye et Pierre Agbogba n’ont pas voulu dire, Samba Diassé l’a clairement avoué. Ce qui a provoqué le rictus carnassier du substitut du procureur spécial comme s’il avait pris sa proie dans un piège insoupçonné.
Jouant à la cachotterie, le feu brûlant des questions des juges de la Crei et du Parquet ont contraint le patron d’ABS à révéler qu’une autre société du nom d’ABS Corporate existe et que c’est lui et Bibo qui sont les propriétaires à 50% chacun. Pourtant, il a soutenu au préalable que le sigle ABS qu’il connait sert à freiner en conservant la maîtrise de la voiture et donc à augmenter la sécurité de conduite.
ABS Corporate s’occupe de la commercialisation des navettes Cobus en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Mais il y a même une nébulosité sur la constitution prééminente des deux sociétés. En sus sur insistance du substitut du procureur spécial, il a fini par ajouter ABS (Airport Bus Service) initial a fini par évoluer en ABS (Airport Bus Sénégal) lors de l’augmentation du capital.
Diassé et ses trous de mémoire
Sur beaucoup de déclarations faites au niveau de la gendarmerie et de la commission d’instruction, Diassé prétend ne plus s’en souvenir avec exactitude parce que les pandores l’ont torturé au point qu’il est tombé à la fin de son interrogatoire. Souffrant d’une hernie discale, il est resté de 9h du matin jusqu’à minuit sans boire une seule goutte d’eau ni manger le moindre morceau de pain.
D’ailleurs il a déclaré que s’il se déplace avec des béquilles, c’est pour avoir porté sa croix jusqu’au sommet de son calvaire. Ce qui a catastrophé les cœurs attendrissants da la salle. Donc s’appuyant sur la rémanence de ses souffrances, il a multiplié ses erreurs, confusions, omissions, pertes de mémoire pour se défiler devant les questions embarrassantes de ses interrogateurs.
Souffrirait-il d’Alzheimer ? Et comme première alerte, il a demandé une suspension d’audience devant sa tension qui «grimpait». Et pour mettre un terme à l’incandescence des questions du substitut du procureur spécial, Diassé sombre dans un malaise irrémédiable. Le président de la Cour ajourne la séance jusqu’à ce mardi. Le temps que le patron de ABS mette de l’ordre dans son argumentaire. Mais dans ses interventions sont revenus itérativement les noms de Bibo Bourgi, Pape Mamadou Pouye et Pierre Agbogba.
En arrière, plane l’ombre du fantôme Karim Wade. C’est pourquoi le président de la Cour a décidé de les confronter tous à la barre ce mardi. Et cela, ce sera pour démêler l’écheveau de la gangue des mensonges, des déclarations mensongères, des contre-déclarations distillées sur instigation des conseils des prévenus. Rideau !
Source: Seneplus