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 »Repenser Nos Modèles… »

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Avec une société du paraître, où la réussite sociale est fonction de l’avoir et du capital symbolique mobilisable, l’on assiste à un changement de paradigme et de référentiel dans la conception du modèle de réussite sociale. Les modèles se trouvent désormais dans les métiers mondains. L’analyse du sociologue Kaly Niang peut se résumer ainsi : l’école fait de moins en moins rêver.

Dr Niang, que représente l’école dans la socialisation et la construction individuelle ?

Dans notre système de croyances et de représentations socioculturelles et mentales, l’école symbolise le cadre de socialisation ayant pour fonction de tracer les sillons de la réussite sociale. L’acquisition de connaissances est une forme de domination symbolique.

Dans l’imaginaire collectif, l’institution scolaire permet de réaliser, au sens d’Emile Durkheim, une synthèse entre « l’être individuel (et) le système d’idées, de sentiments, d’habitudes qui expriment en nous (…) le groupe ou les groupes différents dont nous faisons partie ». Cette conception du rôle de l’école s’inscrit dans une sociologie dite « fonctionnaliste », parce qu’elle suppose que les grandes institutions ont pour rôle d’assurer les équilibres nécessaires à la stabilité sociale.

Avec les travaux de Pierre Bourdieu, ce sens du concept de socialisation devient caduc : l’école est un dispositif de domination au service des classes privilégiées, donc un lieu de conflit implicite. Le retour de l’acteur dans la sociologie contemporaine a réhabilité le concept de socialisation, mais dans un sens plus dynamique.

F. Dubet est d’ailleurs un des premiers à tenter de donner à ces nouvelles approches un cadre théorique renouvelé. Dans « A l’école. Sociologie de l’expérience scolaire », écrit en 1996 avec Danilo Martuccelli, il analyse la manière dont les élèves vivent ce qu’il appelle leur expérience scolaire.

Selon lui, la construction individuelle de la personnalité, ce qu’il nomme la « subjectivation », entre en conflit au cours de la scolarité avec la socialisation. Pour résoudre ce conflit, les élèves disposent de ressources différentes selon leurs origines sociales.

Cette tension entre subjectivation et socialisation est plus violente chez les jeunes d’origine populaire, notamment en raison de l’écart entre leur culture familiale et la culture scolaire, et peut expliquer leurs plus fréquents échecs.

Alors suffit-il de réussir à l’école pour gagner sa place dans la société ?

Aujourd’hui, il y a un déphasage entre la fonction sociale de l’école et sa finalité. Autrement dit l’école sénégalaise ne garantit plus la réussite sociale. Elle est même devenue une contrainte pour les jeunes motivés par l’appât du gain. Notre société étant une société du paraitre, la réussite sociale est fonction de l’avoir et du capital symbolique mobilisable.

C’est pourquoi nous assistons à un changement de paradigme et de référentiel dans la conception du modèle de réussite sociale. Pour exister socialement, il faut disposer de l’argent et de l’entregent. De ce fait, les modèles de réussite et d’acceptation se retrouvent dans les métiers mondains : la musique, la lutte et la danse.

Ce système nouveau est vendu aux enfants qui, aujourd’hui, doutent de l’intérêt de l’école. C’est ce qui, de mon point de vue, constitue la crise de l’école sénégalaise. Les modèles de réussite ne sont pas forcément ceux qui ont réussi à l’école. Les entrepreneurs, porteurs de projets issus des « daaras », ont plus de visibilité sociale que certains diplômés des écoles formelles. Cela, pour dire que la réussite sociale est une notion relative qui dépend de faisceaux complexes de variables.

L’école peut-elle réduire les inégalités sociales ?

L’école publique a pour fonction de réduire les inégalités sociales avec le nivellement des conditions d’apprentissage. Le principe fondamental de cette institution est donc la laïcité et la gratuité consistant à instruire tous les enfants sans distinction. En théorie, elle doit donc permettre à chacun d’eux d’accéder à l’ensemble des diplômes possibles et, partant, à toutes les positions sociales.

Mais, dans les faits, les inégalités font de la résistance et sont même parfois exacerbées par le système éducatif de plus en plus ouvert. Dans des sociétés où les savoirs formels prennent de plus en plus d’importance, le diplôme joue un rôle croissant dans la définition des positions sociales.

Dans « L’Inégalité des chances », Raymond Boudon applique la démarche de « l’individualisme méthodologique » au système scolaire. Il y explique la corrélation observée entre les inégalités sociales et les inégalités de réussite scolaire par les choix rationnels des familles.

A chaque palier d’orientation du système scolaire, elles évaluent les coûts et les avantages de la poursuite des études de leurs enfants en fonction de leur position sociale et des informations dont elles disposent.

Au Sénégal, de grandes fortunes n’ont pas fait des études poussées. Cela ne pourrait-il pas faire tomber le mythe du diplôme comme clef de la réussite sociale ?

Il est clair que les modèles de réussite au Sénégal ne sont pas véritablement des diplômés. S’ils ne sont pas issus pour la plupart du secteur informel, ils sont soit des icônes de la lutte, de la musique ou de la danse. C’est malheureusement la réalité que nous devons affronter en l’analysant en toute lucidité pour le devenir de notre société.

Cette situation d’exception ne doit aucunement influer sur le rôle et la fonction de l’école dans le processus de socialisation. L’éducation étant éminemment sociale, nous devons repenser nos modèles et reconstruire le référentiel de réussite avec la truelle des valeurs.

lesoleil.sn

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