Les entreprises nationales souffrent toutes de mêmes maux semble-t-il. Et pour une bonne part, leurs ennuis semblent aggravés par les politiques publiques, qui font la part belle à des étrangers, sans que les règles de la transparence ne soient respectées. Le Cnp leur sert de Mur des lamentations.
Les entreprises sénégalaises sont à la peine. Quel que soit le secteur d’activité que l’on puisse prendre, elles sont toutes en train de crier et de se lamenter. Et le plus incroyable, c’est qu’une bonne partie de ces entreprises n’est pas loin d’accuser les pouvoirs publics de fausser les règles du jeu, le plus souvent, pour favoriser la concurrence étrangère.
Il y a d’abord, l’Association des loueurs de voitures, qui estiment que leur activité n’est pas du tout protégée, et qui voit avec inquiétude se profiler à l’horizon le grand évènement que promet d’être le Sommet de la Francophonie à Dakar. L’expérience du passé leur indique que l’approche de grandes manifestations de ce genre est souvent l’occasion pour des structures qui le plus souvent, n’ont pas d’existence légale de tenter de leur prendre des parts de marché, en ce qui concerne le transport des invités. Et malheureusement, la plupart des cas, les pouvoirs publics ne jouent pas le jeu de la transparence et de l’équité.
Concurrence déloyale
Les membres de ce syndicat ont en mémoire de trop nombreux exemples de sociétés qui se créent en ces occasions, juste pour ramasser des marchés, et qui disparaissent une fois la manifestation clôturée. Ils constatent également que, quand l’Etat lance des appels d’offres pour ce genre de manifestations, le dossier est libellé de manière telle que c’est toujours la même entreprise qui gagne les marchés. De sorte, se plaint le président de la Saplp, «pour le marché du Sommet de la Francophonie, quand nous avions vu que les règles nous écartaient, nous n’avons même pas soumissionné, sachant que nous étions éliminés d’office».
A côté de ces distorsions à la concurrence, une autre plus grave et plus insidieuse encore, s’amorce. Il s’agit de la concurrence entamée par certains concessionnaires des véhicules, qui se sont mis à faire de la location de voitures. Pour la Saplp, cela est tout simple. Cette nouvelle concurrence «menace tout simplement l’existence des loueurs de voitures. Ces concessionnaires, en plus de pouvoir offrir des véhicules tout neufs, ont une grande variété de marques à leur disposition, et peuvent se permettre- comme ils le font actuellement- de casser les prix, de manière à empêcher aux loueurs traditionnels de s’aligner».
Ce phénomène avait commencé avec l’un des concessionnaires, qui a pignon sur rue. Mais, petit à petit, tous les autres ont commencé à pénétrer un marché jugé très juteux et à forte rentabilité.
Ces complaintes de patrons de Pme, qui affirment haut et fort être à jour face à leurs obligations fiscales et sociales, avaient lieu devant les représentants d’une importante frange des syndicats patronaux. Depuis un certain temps, Baïdy Agne, le président du Conseil national du patronat (Cnp) et ses plus proches collaborateurs, ont entrepris de visiter les bureaux des différents syndicats patronaux affiliés à leur centrale, pour, comme le dit M. Agne, recueillir leur avis et avoir une idée précise de leurs difficultés. L’idée est d’avoir une synthèse précise des contraintes des différents secteurs d’activité, pour pouvoir les soumettre aux plus hautes autorités du pays et chercher ensemble les solutions.
Et de toutes les rencontres effectuées par le président Agne, il semble ressortir que la morosité est la chose la mieux partagée par le secteur économique du Sénégal. Et une bonne partie de cette morosité semble provenir des pratiques de l’administration centrale. Ici, si les règles du jeu de la libre entreprise et de la concurrence ne sont pas faussées par le gouvernement pour des raisons qui lui sont propres, c’est souvent aussi des fonctionnaires, en charge d’attribuer un marché, qui décident sciemment de favoriser l’une des parties, sans chercher à enrober leur décision d’un quelconque justificatif.
L’une des choses les plus choquantes a été l’attribution des terres à construire dans le cadre des projets de Diamniadio, ou bien de l’ancienne Gare routière des pompiers.
Rupture de l’équilibre
L’Association des promoteurs immobiliers du Sénégal, affiliée au Cnp estime que l’Etat a accordé à leurs concurrents marocains, ce pour quoi les nationaux se sont battus des années durant, et en vain, semble-t-il.
Ainsi, les nationaux ne comprennent pas que l’Etat ait décidé d’octroyer plus de 340 ha de terres à la marocaine Alliances, en l’exonérant de l’Impôt sur les sociétés, de la Tva ainsi que des droits de douane sur tous les produits entrant dans la construction. Au même moment, la Tva qui pour certaines entreprises nationales impliquées dans les projets de construction de logements sociaux comme Tawfekh, avait été déduite, a été réintégrée de manière rétroactive, et il leur est demandé de s’en acquitter sous peine de redressement. «On a parfois l’impression d’être taxés doublement. L’Etat nous oblige à vendre nos logements hors taxe, et vient en aval, nous demander de nous acquitter de la Tva». La même aberration et la même rupture d’équilibre dans la concurrence se note dans les projets de la Gare routière des pompiers, accordée aux Marocains d’Adoha sans appel à candidatures.
Les privés sénégalais soulignent, comme les architectes qui avaient décidé de monter au créneau, que s’il leur avait été accordé des terrains dans des conditions similaires, ils auraient pu proposer des logements convenant mieux aux besoins des Sénégalais, qu’ils assurent mieux connaître que les Marocains. Qui plus est, ils auraient pu générer des financements qui ne seraient pas à terme pompés par l’extérieur : «Que l’opinion ne se trompe pas. Aucune de ces entreprises marocaines ne vient avec des valises d’argent. Tout ce qu’ils vont récolter, vient de nos banques, qui vont les financer avec nos impôts. Aucun sou venant du Maroc ne va entrer dans ces projets. N’importe quel Sénégalais, dans les mêmes conditions, aurait pu faire pareil».
Le même sentiment d’être abandonnés à la merci d’une impitoyable concurrence étrangère, se manifeste également parmi les membres de l’Association sénégalaise des producteurs pétroliers. En plus de crouler sous les taxes d’ordre divers, qui devaient pour une bonne partie servir à réguler le marché et garantir la fourniture du pays et de la Senelec en carburant, les pétroliers indiquent que leur secteur, qui commence à atteindre son taux de saturation, avec une trentaine d’opérateurs, en majorité nationaux, est depuis un certain temps, secoué par la concurrence déloyale que lui fait la coalition d’entreprises sénégalaises, à savoir Total, Orange et le distributeur alimentaire Citydia.
Ils soupçonnent que l’objectif recherché par Total et ses partenaires, est une «rationalisation» du marché, qui verra la disparition de la plupart des petits producteurs, ne laissant en place que les gros opérateurs, qui ont la particularité d’être tous des filiales de gros Majors internationaux. Et en ce moment, les étrangers pourront revenir au Business as usual, sans aucune interférance nationale.
Quid du soutien aux entreprises en difficulté
Déjà, ces entreprises n’hésitent pas à faire dans certains cas, de l’abus de position dominante, sous le regard passif de l’Etat. Ainsi s’interrogent-ils, est-il normal, dans un pays qui se veut indépendant, que tout le carburant consommé par la Présidence, l’Armée, la Gendarmerie et la Police, provienne exclusivement des cuves des compagnies étrangères ? Que pourrait-il arriver le jour où ces étrangers décideraient de sevrer nos Forces de sécurité de cette ressource ? Alors que certains nationaux fournissent en carburant les aéroports de certains pays comme la Gambie, la Guinée et la Guinée Bissau, ils n’ont pas les moyens de le faire dans leur propre pays, parce qu’écartés par les étrangers. Et l’Etat laisse faire.
Au cours de ses différentes rencontres, Baïdy Agne n’a pas manqué de rappeler que le gouvernement avait lancé, depuis l’époque du Premier ministre Abdoul Mbaye, un programme dit de soutien aux entreprises en difficulté. Il s’agissait dans un premier temps, de recenser lesdites entreprises, et de deux, de voir les mesures de soutien à apporter aux unes et aux autres. Le plus inquiétant, est semble-t-il, le fait que ce programme, que le ministre Porte-parole du gouvernement à l’époque de Abdoul Mbaye, défendait avec verve, n’ait jamais connu de début de commencement d’application, parce qu’aucune entreprise ne semble en avoir jamais bénéficié.
Le Quotidien