Tous les ans, 30 000 Sénégalais entament la démarche. Ils doivent obligatoirement passer par un serveur téléphonique extérieur et fournir une liste impressionnante de documents
Moussa, 30 ans, chauffeur de son état, est originaire d’un quartier populaire de Dakar. Dès le mois de mai, il a commencé ses démarches pour venir en France cet été, en appelant Africatel, le serveur extérieur qui gère, pour l’ambassade, les prises de rendez-vous pour l’obtention des visas.
Cette procédure a été imposée depuis février 2001 aux demandeurs sénégalais, toujours très nombreux. 30 000 personnes demandent chaque année un visa pour la France. Et la procédure n’est pas exempte de ratés.
« J’ai dû me rendre dans une banque et payer 5 000 francs CFA (7,65 €) pour obtenir un code d’accès. Ensuite, je disposais de 12 minutes au téléphone pour décliner mon état civil et que l’on me donne une date de rendez-vous pour la remise du dossier. Il vaut mieux être préparé car ça peut couper à tout moment à cause des pannes d’électricité ou de téléphone », raconte le jeune homme encore sous le coup de l’émotion après cette expérience malheureuse.
Convocations inutiles
À l’instar de nombreux autres demandeurs, convoqués comme lui pour un premier rendez-vous le 15 juin, une surprise amère l’attendait à son arrivée à 8 heures du matin ce jour-là. Ni son nom, ni son numéro de passeport, ni sa date de naissance ne figuraient sur la liste des personnes prévues à l’entrée du consulat, toujours sous bonne garde, malgré sa convocation en bonne et due forme. Il a donc été « refoulé » avec dix autres personnes dans la même situation que lui.
« Évidemment, j’ai aussitôt cherché à rappeler Africatel pour avoir une explication. Mais pour arriver à les obtenir, il m’a fallu recommencer toute la procédure du code d’accès en payant à nouveau 5 000 francs CFA », témoigne-t-il. Son erreur ? Il avait tout simplement « omis » de confirmer son premier rendez vous 48 heures à l’avance. Du coup, il avait été purement et simplement rayé de la liste des rendez-vous pour ce jour-là. « C’est scandaleux de procéder ainsi car, évidemment, personne ne m’a dit qu’il fallait que je rappelle au moment de ma première inscription », commente-t-il, très mécontent, d’avoir perdu à nouveau quinze jours pour pouvoir obtenir une nouvelle convocation afin de déposer son dossier.
« On a vraiment l’impression que tout est fait pour nous dissuader d’aller en France »
« Je dois voyager vers le 10 juillet et je ne sais toujours pas si je vais pouvoir partir. On a vraiment l’impression que tout est fait pour nous dissuader d’aller en France, simplement parce que nous venons d’Afrique. Alors que les Français, eux, peuvent entrer librement au Sénégal sans même avoir besoin de visa touristique », s’insurge-t-il.
Moussa fait, pourtant, partie des « chanceux » puisque son employeur l’a déclaré à l’Ipres, la caisse de retraite des travailleurs sénégalais. Il a ainsi été en mesure de fournir toutes les pièces exigées par l’administration consulaire, dont la liste est très longue et pas toujours justifiée, surtout pour un visa de court séjour.
« Les ressortissants sénégalais souhaitant se rendre en France doivent, quelle que soit la durée du séjour, fournir des bulletins de paie pour les trois derniers mois, des relevés de leur compte bancaire, également pour les trois derniers mois, une attestation de domicile, une attestation de mise en congé de leur employeur pendant le séjour, une lettre d’invitation et de prise en charge en France, une assurance voyage et de rapatriement qui coûte 60 € pour trois mois, et n’est pas remboursée en cas de refus, pas plus d’ailleurs que les frais de visa, également de 60 € », explique un employé du consulat de Dakar ayant requis l’anonymat. « Évidemment, dans beaucoup de cas, toutes ces pièces sont difficiles ou impossibles à réunir. Or, il suffit qu’une seule pièce manque pour que le visa soit automatiquement refusé », ajoute-t-il.
80% des demandes seraient satisfaites
Pour le nouveau consul de France à Dakar, Jean Marc Grosgurin, ces difficultés ne sont qu’apparentes, car plus de 80 % des demandes annuelles de visa émanant du Sénégal sont satisfaites. « Ce qui est pénible, ce sont les interventions incessantes pour telle ou telle personne, confie-t-il. Nous perdons, aussi, beaucoup de temps à vérifier des pièces cruciales, comme l’état civil ou les certificats de mariage, qui nous sont parfois données sous une forme peu présentable. Forcément, nous sommes suspicieux. »
Aérés, spacieux et permettant un accueil personnalisé et « plus humain », les locaux du service des visas du consulat de France à Dakar délivrent, depuis le 22 décembre 2007, des visas biométriques. Une procédure fiable, rapide et totalement confidentielle qui « permet d’augmenter le nombre de visas de circulation, conformément aux vœux de l’Union européenne », selon les autorités consulaires. « C’est mieux qu’avant, reconnaît une ressortissante française mariée à un Sénégalais, mais les procédures restent quand même, encore, extrêmement tatillonnes. »
Le Sénégal a été l’un des premiers pays à introduire l’instruction civique et l’apprentissage du français pour les conjoints de ressortissants ou de résidents français. Il a aussi permis aux étudiants désireux de poursuivre leurs études en France d’effectuer toutes les démarches administratives en ligne grâce à la mise en place d’un « Campus France ».
« Nous préférons nous tourner vers les Etats-Unis »
« Les élèves sénégalais qui ont une mention au bac ne rencontrent aucune difficulté pour obtenir un visa étudiant », selon un responsable d’établissement sénégalais. En revanche, sur le front des visas de travail, qui est la grande nouveauté de l’accord sur la gestion concertée des flux migratoires ratifié par les deux pays en 2009, c’est le statu quo.
« Avec la crise actuelle et le chômage en France, il ne faut pas rêver. On va continuer à refouler les sans-papiers ; les visas de travail pour la France seront délivrés au compte-gouttes. C’est pourquoi nous préférons nous tourner vers les États Unis », commente un jeune diplômé sénégalais.
Christine HOLZBAUER, à DAKAR la-croix.com/ |