Les clichés ont la vie dure : Au 21e siècle, le Fouta se drape encore des habits de l’histoire. Les us et coutumes d’hier conservent toute leur prégnance. A la ville comme en campagne, les divisions sociales reposant sur la division de la société en trois classes principales, les nobles ou «Rimbés», les «Gnenbés» (bijoutiers, tisserands, etc.) et les captifs ou «Maccubé», restent une réalité incontournable. Situés tout au bas de la hiérarchie sociale, les «Maccubé» constituent ainsi une caste à part dans la société pulaar. Ces «esclaves», comme on les appelle, vivent au sein de la communauté sans pour autant bénéficier de son estime. Ainsi devaient-ils effectuer les travaux les plus durs au profit de leurs «maîtres». Captifs de père en fil et de mère en fille, ces «Maccubé» ne jouissent que de peu de considération. L’évolution des mentalités et l’émancipation économique n’ont pas totalement réussi à bouleverser cet ordre. Ce dossier a été réalisé en collaboration avec Article 19, le Hcr et l’Unesco.
«Les esclaves étaient jadis caractérisés par l’humilité complète que nulle besogne ne savait rebuter. Car le contrat social qui les régissait alors en faisait stricto sensu des biens soumis au bon plaisir de leurs maîtres.» Cette définition de la condition des «Maccubé» (esclaves) fournie par des historiens reflète assez bien la situation dans laquelle vivait cette classe sociale. Victimes de stigmatisations et de vexations, les «Maccubé» étaient corvéables à souhait. Rougui est une femme d’une trentaine d’années. Originaire d’un village du Dande Mayo, elle se souvient encore des usages en cours dans sa famille qui est d’origine «torodo». «Avant, quand un membre de la famille revenait au village, les esclaves de la famille étaient obligés de s’acquitter de la corvée d’eau et de cuisine pendant trois jours.» Pour justifier cette situation, elle ajoute : «Mon grand-père avait acheté leur grand-mère pour en faire une nounou. Il avait payé un pagne tissé.» Ces exemples pullulent dans les esprits de nombreux ressortissants de la région de Matam.
L’école, l’émigration et l’ouverture au monde extérieur ont peu à peu bouleversé ces pratiques. En surface du moins. Puisque les préjugés ont la vie dure et maintiennent les barrières sociales. Les «Jihabés» comme on les appelle accèdent difficilement à des postes de responsabilités. Les mandats électifs leur sont également interdits dans la mesure où les autres membres de la société n’acceptent pas de se faire gouverner par des gens dits «inférieurs». Ce sont ces mentalités qui sont les germes des conflits latents dans l’espace, et qui quelque fois explosent. C’est ce qui s’est passé à Diattar dans le département de Podor. Là-bas, deux communautés se sont affrontées avec au finish des blessés graves, des maisons saccagées et des personnes traduites devant la justice. Si pour les «Torodos» l’histoire tient à la prétention des castes «Galunkobés» de refuser cette appellation pour revendiquer celle de «sebbés», pour l’autre partie, il s’agit ni plus ni moins d’une question d’ambitions. Ndiaye Diallo, un jeune de la localité qui a accepté d’évoquer le sujet contrairement à l’autre camp qui a choisi de ne pas s’exprimer, explique que l’histoire tient au désir d’un membre de la classe des «Torodos» (nobles), «qui ne pouvait pas accéder à la chefferie parce que ne faisant pas partie de la branche régnante».
L’histoire de caste évoquée ne serait ainsi qu’une tentative de rabaisser une partie de la communauté et de la priver de sa représentativité. Un conflit qui est allé très loin puisqu’à un moment, les deux communautés ont vécu totalement séparées. «On avait même arrêté de fréquenter leur mosquée», révèle M. Diallo. Mais aujourd’hui, la situation s’est améliorée et la réconciliation est en cours entre jeunes du village. Malgré tout, les frustrations n’ont pas totalement disparu. «Il y a eu des gens qui ont été gravement blessés durant ces évènements, et pourtant il n’y a pas eu de peines d’emprisonnement et les amendes ont été très faibles», se désole le jeune homme.
Les germes de la division à Matam
Si l’histoire a beaucoup fait parler, elle est aussi symptomatique des excès qui peuvent découler de ces mentalités. Au quartier Soubalo de Matam, les germes de la division s’installent petit à petit entre pêcheurs «cuballos» et «Maccubé». En cause, la décision de ces derniers de limiter à 5 le nombre d’invités de l’autre caste qui participeront aux évènements qu’ils organisent. Marième Fall est «Cuballo». Elle bouillonne encore de colère en rapportant ces faits. «Avant, quand ce sont les «Maccubé» qui organisaient un baptême ou un mariage, c’est nous qui prenions toute l’organisation en charge. Et vice-versa. Mais un beau jour, ils se sont réveillés pour dire qu’ils ne voulaient plus de nous. On a dit ok. Mais on a appliqué la réciprocité et on a supprimé tous les dons qu’on leur faisaient à l’occasion des fêtes.» Une réplique au goût amer pour Gayelle Diallo. Membre d’«Endam Bilali», elle explique que l’association a juste voulu lutter contre le gaspillage dans les cérémonies familiales. «On pouvait cotiser 500 mille francs pour toi, mais tu redistribuais le tout aux ‘’Maccubs’’ et autres griots.» Mais les femmes «cuballs qui n’ont pas été convaincues par cet argumentaire ont vite fait de créer leur propre association.
Les clubs droits humains, porte d’entrée pour la sensibilisation
«Quand chaque caste se regroupe dans une association, ça devient un terrain de confrontations», constate Mamadou Gaye. Ces positions tranchées accentuent en effet le fossé social. «Quand ‘’Endam Bilali’’ s’est créee, on a vu son pendant, l’association des ‘’Gnenbés’’ (bijoutiers, tisserands etc.) qui se sont regroupés pour dire que désormais, ils vont refuser le diktat de ceux qui se disent nobles», témoigne Mamadou Gaye. Aussi, les organisations des droits de l’Homme tentent de lutter contre ces préjugés. «En tant que défenseur des droits humains, notre approche c’est de vulgariser les instruments juridiques de l’Union africaine. Et pour cela, nous passons par les clubs droits humains des écoles. Pour apporter des mutations sociales, il faut passer par la jeune génération. En sensibilisant sur les textes juridiques, nous donnons une part importante à la Charte africaine relative au bien-être et aux droits de l’enfant. Tout comme nous insistons sur les Mutilations génitales féminines (Mgf) à travers des exposés, des projections de films. Nous essayons ainsi de cultiver chez les jeunes ce reflexe de défense de l’intégrité humaine», explique Mamadou Gaye. Il sait que la tâche est tout sauf facile. «Le changement social ne se fait pas du jour au lendemain. C’est un long processus qui se fait de génération en génération.» Aussi, les actions de sensibilisation restent le moyen le plus sûr d’impacter sur les mentalités. «Il y a une certaine façon de sensibiliser les gens sans les frustrer. Donc, on insiste sur l’égalité entre tous les êtres humains. Généralement, nous procédons par un don de sang et expliquons aux gens que le sang qu’ils donnent va aller dans une banque de sang. Et que ce sang, on ne peut pas savoir qui va en avoir besoin. En installant le club de droits humains de l’école Matam 1, nous avons fait une collecte de sang dans l’école. Le lendemain, nous sommes allés à l’église et nous avons mis tout le sang collecté à la disposition de l’hôpital de Ourossogui», dit-il.
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