Une célèbre maxime dit bien « mieux vaut tard que jamais » ! En effet, le juge Ousmane Camara reconnaît, aujourd’hui, dans le livre qu’il vient de publier, que le Président Mamadou Dia n’avait ni préparé, ni intenté un coup d’état lors de événements de 1962.
La question qui vient à l’esprit est de savoir pourquoi le commissaire du gouvernement de l’époque près de la haute cour de justice, une juridiction par essence d’exception, a-t-il attendu si longtemps pour affirmer cette vérité connue de longue date ? Avait-il les mêmes convictions pendant les minutes du procès que maintenant et, le cas échéant, avait-il la liberté et le courage de faire prévaloir ses intimes convictions ? Devant le tribunal des hommes, il y’a toujours le vrai tribunal de l’histoire.
Dans les bonnes feuilles du livre « Mémoires d’un juge Africain, itinéraire d’un homme libre », le juge reconnaît, non seulement, le caractère éminemment politique du conflit de 1962 sous ses différents aspects, mais, soutient également, qu’à son intime conviction, le Président Mamadou Dia n’avait ni préparé, ni intenté un complot contre le Président Senghor qui lui valut, pourtant, la réclusion à la détention perpétuelle dans une enceinte fortifiée à l’extrême Sud-est du Sénégal.
Il faut admettre qu’il s’est écoulé un temps extrêmement long, de 1962 à nos jours, soit, presque un demi siècle, pour que les mémoires du commissaire du gouvernement de l’époque faisant office de procureur puissent être rendus publiques ici et maintenant, si l’on sait bien que le délai de divulgation à l’opinion publique de certaines vérités historiques consécutives à des procès politiques sur le registre du secret d’état ne doit pas excéder une certaine période de grâce, en vertu de la préservation de la paix civile. En l’espèce, Nous pouvons dire que sous sommes en présence d’une forclusion, à partir du moment où 50 années plus tard, un témoin de l’histoire s’adonne à émettre tardivement des avis sur le fameux procès du Président Mamadou Dia.
En l’occurrence, des acteurs directs des événements de 1962, au cours du procès, avaient pris leurs entières responsabilités à l’image du Général Fall, chef d’Etat major des armées de l’époque qui avait témoigné et reconnu l’inexistence d’un complot ourdi par le Président Mamadou DIA, lequel témoignage lui coûta son éviction et, quelques années après, le Général Jean Alfred Diallo pour le même avis. De plus, le Président Maguette Lo, député de l’époque et membre du groupe des 4 initiateurs de la motion de censure et de l’initiative parlementaire avait, lui aussi, fait son auto critique et demander pardon au grand Maodo que le bon Dieu avait gratifié d’une longue vie presque centenaire .Le moins qu’on puisse dire est que, logiquement, le commissaire du gouvernement de l’époque avait toute la latitude à l’instar des acteurs directs des événements de1962 de publier ses mémoires du vivant du mis en cause qui nous a quitté récemment. Pourquoi le juge a-t-il manifestement attendu le rappel à Dieu du Grand Maodo pour publier ses mémoires ?
Sur l’accusation, le commissaire du gouvernement de l’époque énumère dans son livre une panoplie de fautes administratives, sans preuves du reste, pour fonder la culpabilité du Président Mamadou Dia tout en restant convaincu, affirme-t-il, de l’inexistence d’un complot perpétré par celui-ci. Il faut reconnaître qu’il y’a là un paradoxe ou une contradiction qu’il serait intéressant de lever, dès lors que l’accusation de coup d’état ne pouvait plus tenir et qu’il y avait lieu de ne retenir que les fautes administratives sur des instructions orales que le Président Mamadou Dia aurait donné. Comment faire la relation juridique entre la condamnation à une peine capitale d’une réclusion à la détention perpétuelle et l’inexistence d’un complot d’Etat ? C’est dire que le commissaire du gouvernement, en lieu et place d’une demande d’une condamnation à une peine maximale devrait requérir avec courage l’incompétence de la haute cour de justice.
Toutefois, compte- tenu des circonstances politiques particulières et des enjeux, nous pouvons comprendre que le commissaire du gouvernement de l’époque ne pouvait pas aller au-delà de certaines limites dans la mesure où il était tenu par l’écrit et que la parole restait libre. Lui-même soutient dans le livre « je sais que la haute cour de justice, par essence et par composition a déjà prononcé la sentence avant même l’ouverture du procès. La participation de magistrats ne sert qu’à couvrir du manteau de la légalité une exécution sommaire déjà programmée » ; De sorte que le procès de Mamadou Dia ne fut qu’une parodie de procès. Pourquoi avait-il accepté de faire la besogne dès lors qu’il avait la liberté de refuser ?
Bien entendu, qui voudrait se débarrasser de son chien l’accuse de rage, si bien que la panoplie de fautes administratives minutieusement fabriquées étaient destinées à fonder et à soutenir l’accusation politique d’un complot imaginaire ourdi par le Président Mamadou Dia contre le Président Senghor.
Le juge Ousmane Camara soutient également à travers les lignes de son livre l’existence de relations politiques conflictuelles entre le Président Senghor et le Président Mamadou Dia et l’impossibilité d’une cohabitation entre deux capitaines pour une place dans un même bateau. Cette considération à la fois simpliste et fausse constitue une hypothèse soulevée pour donner une cohérence ou une justification aux thèses soutenues et, en même temps, un moyen pour se dédouaner ou se donner bonne conscience.
Car, en fait, il n’y avait pas de conflit politique réel de leadership ou de différence de vue profonde entre les Présidents Senghor et Dia qui étaient deux hommes politiques de tempéraments différents certes , mais, majestueusement complémentaires, en plus du fait que Mamadou Dia, jusqu’au plus fort de la crise ,vouait une amitié sincère au Président Senghor qu’il considérait comme son leader et qui l’interdisait à conspirer contre lui. La vérité en est qu’il y avait une vraie conspiration organisée par des forces compradores obscures, tapies dans l’ombre du Président Senghor et hostiles au Président Mamadou Dia, forces obscures dont l’objectif était de procéder à son élimination politique en raison de l’étendue de ses pouvoirs constitutionnels et de son esprit nationaliste et auto gestionnaire.
La haute trahison ne se trouverait-elle pas alors du coté de ces forces obscures et de leurs partisans ?Les comploteurs sont allés même jusqu’à utiliser l’Islam confrérique au Sénégal pour empoisonner les relations entre les familles religieuses du Sénégal et le constructeur de la grande mosquée de Dakar qui avait reçu à Djourbel,alors qu’il avait 10 ans, les bénédictions de Serigne Touba qui le tenait par la tête lors d’une procession de fidèles .Si bien que, dans le but de réaliser ce sinistre objectif de liquidation politique du président Mamadou Dia, une motion de censure fut initiée par un groupe de députés devant le parlement sans que cette initiative soit préalablement débattue au niveau du parti et en conseil des ministres, selon même la doctrine de la primauté du parti sur l’Etat dans un régime de parti unique ou unifié, laquelle thèse était défendue par Dia. Qui pouvait être plus légitimiste que le Président Mamadou Dia ?
Les gens oublient ,parfois, que c’est le Président Senghor qui avait fait entrer Mamadou Dia en politique vers les années 1946 à Fatick où il était enseignant et syndicaliste et que ce dernier en 1960 refusa la proposition du Président Modibo Keita de le porter à la tête de la fédération du Mali à la place du Président Senghor, lequel refus provoqua l’éclatement de la fédération ;il y’a lieu aussi de mentionner que dans les discussions entre Senghor et Dia, à l’indépendance du Sénégal pour le choix d’un régime politique d’un Etat qui venait de naître, le Président Senghor était partisan d’un régime parlementaire, tandis que le Président Dia était partisan d’un régime présidentiel fort : Qui pouvait être plus loyal et honnête à l’égard d’un homme que le Président Mamadou Dia qui mettait toujours en pole position le Président Senghor dans les sphères de décision, bannissant du coup les tenants de la thèse de l’existence d’une dyarchie à la tête de l’Etat ?
En dépit du fait que le commissaire du gouvernement de l’époque reconnut qu’à son intime conviction Mamadou Dia n’avait ni préparé, ni intenté un coup d’état, il soutient contradictoirement qu’il avait utilisé des moyens illégaux pour une cause juste. Les moyens illégaux, en réalité étaient fabriqués et, qu’en définitive, la cause juste devrait l’emporter sur les soi disants moyens illégaux, si tant est que la légitime défense demeure un principe immuable du droit.
Le Président Mamadou Dia ne pouvait pas assister impassible à sa liquidation politique, Tout au plus, au vu des nouvelles circonstances avec le développement de la crise, il avait tenté le plus naturellement du monde de réunir ses amis pour en en débattre, ce les autres faisaient par ailleurs au point de réunir le parlement dans un domicile privé, en dehors de son siège, pour le vote de la motion de censure Ce vote de la motion de censure hors de l’hémicycle était-il légal ?
Lorsque que, au plus fort de la crise, Me Valdiodio Ndiaye Ministre de l’intérieur de l’époque était venu voir le Président Mamadou Dia pour prendre des mesures conservatoires (…), l’ancien Président du conseil refusa de les lui donner au motif de son attachement sentimental au Président Senghor. Quelles raisons existentielles pouvaient être supérieures aux valeurs cardinales sociétales défendues par Dia ?
Le Président Senghor, humaniste de renon, disait que, dès le jour suivant la mise en détention du président Mamadou Dia, il avait voulu l’élargir ; Toutefois, des raisons politiques d’ordre néocolonialiste de conservation d’intérêts étrangers avaient pris le pas sur la justice des hommes et présidé à la décision d’incarcération de Mamadou Dia et ce dernier, jusqu’à son élargissement en 1974, refusa de reconnaître une quelconque faute de sa part lors des événements de 1962.
Quand l’histoire est utilisée pour soi aux fins d’une justification à postériorité afin de se donner bonne conscience, l’élégance et la noblesse disparaissent.
Cependant, que les uns et les autres ne se fassent pas de soucis pouvant être liés à des problèmes de conscience ou d’inquiétudes dans nos rapports avec notre créateur, car le Grand Maodo a pardonné tout le monde et que l’épreuve qu’il avait subi lui a permis de se rapprocher de son créateur et de parfaire sa piété,au point de regretter ,à sa libération ,sa retraite spirituelle dans la forteresse sur les hauteurs près des monts du Fouta Djallon, ainsi que les oiseaux de Kédougou qui venaient le voir et qu’il gavait de nourritures de la fenêtre de sa cellule.
Kadialy GASSAMA, Economiste – Rue Faidherbe X Pierre Verger – Rufisque