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Abdou latif coulibaly : «Les vrais adversaires du projet monarchique sont dans le pds»

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Dans notre édition parue hier, Abdou Latif Coulibaly, journaliste d’investigations et écrivain, n’avait pas pris de gants pour dénoncer l’opération que le régime était en train de dérouler contre tous ceux qui entendent se mettre au travers du projet dynastique au Sénégal, au besoin en exhibant des dossiers judiciaires pour régler des comptes. Ici, il revient spécifiquement sur ce projet dynastique, mais aussi sur la problématique de la candidature au sein de Bennoo Siggil Senegaal. M. Coulibaly estime que l’attitude de cette opposition par rapport à la candidature unique n’est pas tellement réaliste.

«Les vrais adversaires du projet monarchique sont dans le pds»

ImageL’enlisement de Bennoo dans le débat sur la candidature uni­que ou plurielle n’est-il de nature à freiner cette jonction entre la classe politique et la société civile??
Bennoo n’est pas très réaliste par rapport à cette question. Mais s’ils (les leaders de Bennoo?: ndlr) font une analyse objective de la situation, ils devraient en tirer toutes les conséquences et réorienter leurs actions. La candidature de l’unité ou la candidature unique -c’est selon – je crains qu’elle ne soit une vue de l’esprit. La démarche actuelle tend à faire croire que c’est possible. Dans mon analyse, je pense, honnêtement, que c’est impossible. Le réalisme aurait valu de dire?: «Nous aurons des candidats différents?; nous aurons plusieurs candidatures.» Il faut travailler à dire?: «Au 2e tour, nous nous retrouverons.» Mais le mal est qu’ils laissent croire que c’est possible?; une bonne partie de l’opinion attend et, au finish, ils se rendront compte que c’est impossible. Ils auront suscité tellement d’espoir auprès d’une population qui croyait en l’unité, que celle-ci risque de se décourager, quand ils vont constater cette impossibilité. Ce qui serait réaliste, c’est que chacun travaille et va à l’intérieur. Ils coordonnent leurs actions pour trouver une plateforme permettant de renforcer la lutte commune, en courant le risque, dans cette hypothèse, de faire éliminer tous les candidats de Bennoo, classiques, autour du Ps, de la Ld, du Pds. Parce qu’en 2007, c’est ce qui s’est passé. Dans mon livre Une démocratie prise en otage, j’avais écrit dans la page 123, que dans le contexte actuel, si les candidats de la Cpa affrontent Wade ou Idrissa Seck, tous les trois risquent d’être éliminés?: Bathily, Tanor, Niasse. Et au 2e tour en 2007, c’est Idrissa Seck et Abdoulaye Wade. S’ils sont tous candidats, et éventuellement Idrissa Seck et Macky Sall, je ne crois pas que Bennoo puisse placer son cheval en tête ou en 2e position, mais je n’ai pas une garantie. Politiquement, je comprends qu’ils ne puissent pas trouver un candidat unique. Mais je ne comprends pas, dans la démarche, qu’ils ne puissent pas dire aux gens tout de suite et maintenant que cette hypothèse est impossible. On n’a pas besoin de négocier pendant six mois pour le savoir. Certains ne sont pas honnêtes dans la démarche, parce qu’ils ne veulent pas être identifiés comme ceux qui s’opposent à l’unité…
Non seulement, ils ne croient pas à la candidature unique, mais pensez-vous qu’ils croient véritablement aux résolutions issues des Assises nationales qui font de l’Assemblée nationale et du Premier ministre le nouveau siège du pouvoir??
Il y a une incohérence extraordinaire. Quelque chose même me paraît très grave?: une tentative de mystification du peuple. Vous ne pouvez pas signer un document où vous dites que le Premier ministre et l’Assemblée seront le siège du pouvoir et, en même temps, courir derrière le poste de?Président?; donc, personne n’y croit. Il y en a encore parmi eux qui disent qu’il faut approfondir la question institutionnelle et la doctrine politique. Or, la Charte de la gouvernance démocratique règle cette question, du point de vue doctrinal. Pourtant, c’est la première fois qu’un document de plus de 300 pages, qui peut servir de doctrine de base a été élaboré au Sénégal pour définir une vision d’où il faut simplement tirer un programme politique. Un ami avec qui j’ai travaillé lors des Assises m’a dit qu’il a l’impression d’avoir été floué, parce qu’il a travaillé avec des hommes politiques qui savaient pertinemment que les résultats de ces conclaves ne feront pas l’objet d’une préoccupation. Je lui ai dit?: «Non, t’as pas perdu ton temps?; on fait œuvre utile pour notre pays. C’est formidable qu’une vision politique de la nature de celle conçue par les Assises nationales puisse sortir des entrailles d’une Nation, sans qu’il y ait à la base une révolution de type de 1789 ou une sorte de consensus autour des Conférences nationales.» Les travaux des Assises transcendent les partis politiques pour interpeler tous les citoyens qui ont l’intention de prendre une parcelle de responsabilité dans l’œuvre d’édification de ce pays (…)
La Charte de la gouvernance démocratique a passé haut la main les tests de contrôle des logiciels qui font ressortir 24 mesures. Ces tests indiquent, de façon absolue, que ces 24 mesures appliquées de la façon la plus rationnelle dans n’importe quel pays, produisent le meilleur type d’administration démocratique dans le monde. Mais qui peut faire plus? Dans ces conditions, comment on peut dire qu’on va approfondir?? C’est la première fois que, dans ce pays, les hommes politiques – pouvoir et opposition – peuvent être surpris par des actions citoyennes au point qu’ils en arrivent à être tributaires de la volonté de la société civile. Non pas que les Sénégalais ne veulent plus voir les politiques, mais que la démarche alternative proposée, dans certains cas, pourraient faire douter les populations de la cohérence et de la pertinence des hommes politiques. Je pense à certains regroupements qui s’ébauchent autour d’organisations com­me le forum civil, la Raddho, le Cncr, l’Unsas… Elles se placent dans une démarche rationnelle qui fait qu’elles prennent en charge les dispositions et les conclusions des Assises nationales. Je demande à la classe politique de parler de problèmes beaucoup plus sérieux que la candidature unique. Même si, je ne suis pas toujours d’accord avec lui, mon jeune frère Talla Sylla soulève des questions pertinentes. Quand il dit que la seule question qui mérite que les partis de Bennoo continuent ensemble pour élaborer un programme, un projet politique commun, c’est l’acceptation de l’idée de la candidature de l’unité. S’il n’y a pas candidature de l’unité, chacun élabore son programme et s’en va. Il n’a pas tort, dans le fond. Là où je ne suis pas d’accord, c’est quand il va jusqu’à dire que tel veut être Premier ministre.
Le projet dynastique est dénoncé par l’opposition, la société civile et les journalistes… Est-ce qu’il peut être combattu par les gens du pouvoir??
Les vrais adversaires de ce projet sont à l’intérieur du Pds; si ce projet arrive à terme et marche, ils seront tous liquidés. Le bénéficiaire sera celui qui l’a plus combattu qu’un proche de Souleymane Ndéné Ndiaye ou quelqu’un d’autre dans ce parti. Ils vont tous périr; ils le savent. A ses yeux, ils symbolisent ce qu’il faut détruire dans le pays, pas nécessairement pour mettre en avant les Sénégalais. Tu verrais n’importe qui dans ce pays, sauf des Sénégalais authentiques. Ils savent qu’ils ne sont pas des compagnons de Karim. Ils le combattent à l’intérieur, même si certains d’entre eux n’osent pas sortir la tête de l’eau.  Le clan de Karim n’a pas tort, quand il dit que les gens du Pds l’ont combattu,?lors des élections locales; ils l’ont fait très bien, avec les populations. Ces gens combattront de la façon la plus déterminée ce projet monarchique. Le jour où il prendrait forme, ils se positionneront de façon claire?; ils n’ont pas le choix.
Cela justifie-t-il la tentative de mise à l’écart ou d’affaiblissement de Idrissa Seck à l’intérieur du Pds??
La situation de Idissa Seck relève des hésitations du Président. C’est l’une des personnes les moins sûres de la faisabilité de son projet. Il encadre ce rêve, mais il n’arrive pas à se montrer. Mais, le Président en est tellement soucieux, il voudrait tellement que cela aboutisse. C’est pourquoi, toute place faite à Idrissa Seck annonce la mort définitive de ce projet et un renoncement du Président. C’est pourquoi, dans le contexte actuel,  Idrissa Seck est dans une position excessivement délicate?; il ne peut pas bouger ni dans sa droite ni à sa gauche, parce qu’il va encore périr, quand il bouge. Il se tait en attendant que le fruit tombe entre ses mains?; mais je ne pense pas que ce soit une attitude réaliste?; peut-être qu’il a ses raisons.
Que pensez-vous du poste de vice-Premier ministre vite remis dans les tiroirs?? Etait-ce une diversion ou entrait-il dans des calculs politiques??
C’est beaucoup plus grave. L’or­ga­nisation institutionnelle obéit à une lo­gique, une vision. Dans le cas d’es­pèce, dans un Etat néo-patrimonial, toute création d’institution obéit à une préoccupation majeure du chef prébendier d’organiser la redistribution des richesses autour des membres influents du clan et en fonction de l’influence des uns et des autres. Le poste de vice-président, le Sénégal n’en a pas besoin. La preuve?: depuis un an, il a été créé?; on ne l’a pas pourvu. Le poste de vice-Premier ministre, on l’a rapidement élagué sous prétexte que le peuple n’en veut pas. Le peuple crie depuis combien d’années pour avoir de l’électricité ou pour dire qu’il faut assainir la gestion et exiger la transparence sans l’obtenir?? On a créé ce poste pour satisfaire une clientèle donnée, symbolisée par quelqu’un. Le poste de vice-président rentrait dans le cadre de la rétribution et la redistribution des cartes au sein du pouvoir. C’est Idrissa Seck qui était pressenti, mais compte tenu de l’évolution de la situation – la défaite de Dakar -, ça n’a pas abouti. Si Karim avait été le maire de Dakar, il aurait eu la certitude, l’espoir de conquérir le Palais de Roume, à partir de la mairie. A défaut, on lui donne un super ministère pour organiser son avancée vers le Palais. Idrissa Seck ne peut donc se positionner dans l’espace exécutif?; on a gelé ce poste. C’est une incohérence dans une organisation gouvernementale rationnelle, mais c’est une cohérence d’ensemble à l’intérieur d’un régime néo-patrimonial.
(…) Je ne suis même pas sûr, dans une réforme prochaine, qu’on n’arriverait pas à créer des gouvernements régionaux, parce qu’à ce rythme, le gouvernement central ne pour­ra plus supporter la demande. On sera obligé d’ériger des régions en des gouvernements avec des ministres régionaux comme en Alle­magne ou au Canada?; des gouverneurs régionaux qui ont des As­sem­blées régionales, fonctionnant avec des budgets importants, parce qu’on doit toujours caser la clientèle.
Quelle appréciation globale, fai­tes-vous du rapport 2007-2008 publié récemment par la cour des Comptes??
On a titré dans le journal (La Ga­zet­te)?«La Présidence se noie dans le carburant.» Comment on peut imaginer que du carburant affecté à des sociétés qui font un travail rationnel, normalement de production de richesses, soit complètement avalé par la présidence de la Ré­publique?? Cela procède d’une ab­sence totale de rationalité dans la dépense publique. Toutes les agences qui sont attachées à la Prési­dence font que cette dernière reçoit un budget de 100 milliards. Ce n’est pas au niveau d’impulsion, de ré­flexion et de définition d’une vision, qu’on peut  déterminer la rationalité de la dépense?; c’est au niveau des structures techniques qui s’occupent de l’essentiel du terrain qu’on détermine le mieux la rationalité d’une dépense. Comme la dépense, dans son organisation n’est pas rationnelle, on n’est incapable de donner à la Présidence ce qu’il faut juste pour fonctionner?; on est obligé d’aller pomper l’essence destinée à d’autres structures. C’est plus un manque de rationalité dans la dépense qu’une volonté de gaspiller. On dit que c’est 100 milliards à la Présidence, mais il faut savoir que cet argent ne lui est pas directement destiné. Mais il faut également savoir que si cet argent est affecté à une agence qui est à la Présidence, on peut tripatouiller tout de suite les chapitres comme on veut, faire des transferts de crédits, sans rendre compte à personne. Mais, c’est fait à dessein. Du coup, aujourd’hui, tout le monde se préoccupe du comment on va faire, est-ce que les salaires seront payés. Non, les salaires des fonctionnaires vont être payés, puisque la survie du régime en dépend?; ces gens trouveront toujours les mo­yens de presser la Douane, les im­pôts, qu’ils en donnent le maximum par mois, pour payer les fonctionnaires. Ils ne vont jamais faire que le régime vacille et tombe. Ca fait partie de l’imagination des régimes néo-patrimoniaux, de leurs capacités à s’adapter et à trouver les mo­yens qui assurent leur survie.
Depuis 2000 jusqu’à présent, vous avez régulièrement produit des ouvrages. Avez-vous encore un projet en cours??
J’en ai toujours. Est-ce qu’ils vont être terminés ? Oui et non. J’ai toujours des projets. Je caresse le rêve d’écrire un bon roman?; j’adore ça, mais des romans du type du 19e  siècle où on raconte une histoire qui a une fin. J’espère que j’en aurai les moyens…

Propos recueillis par Soro DIOP – lequotidien.sn
Suite et fin

Lire la première partie de l’entretien

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