Le récent forum foncier mondial tenu à Dakar, du 12 au 15 mai 2015, a servi de tribune aux représentants des différentes contrées expropriées par l’Etat au profit d’investisseurs étrangers ou nationaux. En sonnant l’alerte, ils ont pour la plupart signalé que les appétits fonciers en cours pourraient plonger le Sénégal dans l’insécurité alimentaire, la pauvreté, mais surtout la violence. Aussi, malgré une réforme foncière en cours pour réguler le secteur, le Sénégal riche de ses terres risque-t-il d’aller droit dans le mur si on ne prend pas garde aux nombreux conflits que pourrait engendrer une mauvaise gouvernance dans ce secteur. Sud Quotidien revient sur ce dossier explosif pour faire le point de la situation du Nord au Sud de notre pays.
En Mars 2000, au lendemain de la première alternance, le foncier a acquis un grand intérêt au point d’aiguiser les appétits des investisseurs nationaux et étrangers, au détriment des populations locales qui se retrouvent spoliées de leurs parcelles. Si bien que le ministre de l’Agriculture, Dr Papa Abdoulaye Seck, dans son discours officiel de lancement du 7e forum foncier mondial qui s’est déroulé à Dakar du 12 au 15 mai dernier, a promis que l’Etat n’accepterait pas une marchandisation de la terre. En pratique, c’est tout le contraire qui est constaté. La boulimie foncière observée depuis le début des années 2000 est toujours de mise. Aux milliers d’hectares de terres octroyés par l’ancien régime à des particuliers ou des industriels s’ajoutent d’autres qui, malgré la réforme foncière commanditée par le président de la République, risquent d’installer le pays dans une instabilité sociale sans précédent. Le premier exemple est illustré par le soulèvement des jeunes Lébous de Ngor, Yoff et Ouakam, vendredi 15 mai 2015, pour réclamer les terres d’un site situé près de l’aéroport Léopold Sédar Senghor de Dakar. Les jeunes qui voulaient organiser un sit-in sur le site dont ils revendiquent l’appartenance ont finalement fait face aux forces de l’ordre mobilisées sur place pour surveiller le périmètre en question. Une bagarre s’en est suivie qui a occasionné des dégâts matériels, des blessés et quelques arrestations. Récemment, en visite sur le périmètre de l’aéroport international Léopold Sédar Senghor de Dakar, le 26 mai dernier, Abdoulaye Diouf Sarr, ministre du Tourisme et des Transports aériens, a découvert que des spéculateurs fonciers avaient déplacé le mur de l’aéroport sur une superficie de 26 000 mètres carrés, à l’insu de l’Agence des aéroports du Sénégal (Ads). Si l’on évalue le risque ambiant autour de ces dossiers, on se rend compte que le syndrome de Fanaye guette les différentes localités du pays.
Fanaye a vécu le drame
En effet, le 26 octobre 2011, le conseil rural de Fanaye (département de Podor), lors d’une délibération, avait octroyé 20 000 ha de terres à Prince Edward, investisseur italien, Président directeur général de la filiale sénégalaise de la société Senhuile-Senethanol sa, pour la production de bioéthanols. Consciente du danger que représentait cette délibération sur leur sécurité, une partie de la population de Fanaye s’était rendue au siège du conseil rural, pour contester la décision prise par le président du conseil rural, Karasse Kane et ses partisans. Durant cette folle journée du 26 octobre, plusieurs assaillants armés de coupe-coupe, de gourdins et de pierres avaient pris d’assaut la maison communautaire. Des affrontements entre populations (pour ou contre) s’en étaient suivis occasionnant vingt-trois blessés dont deux vont succomber à leurs blessures par armes à feu.
Pour calmer les ardeurs, sans qu’il n’ait été réglé, le problème a été filé comme une patate chaude aux populations du Ndiael, sis entre les communes de Gnith et Rosso dans la région de Saint-Louis, où 20 000 hectares sont déclassés de la réserve naturelle pour être attribués à Senhuile-Senethanol sa. Le Ndiael, site protégé, polarise une quarantaine de villages de près de 9000 personnes qui vivent d’agriculture et d’élevage. Il couvre 46 550 hectares et est classé site Ramsar (convention internationale pour la protection des zones humides) depuis 2004.
Le Ndiael refuse de céder
Les populations du Ndiael regroupées au sein d’un collectif ont engagé le combat pour recouvrer leurs terres spoliées. Le conflit est latent dans cette zone car le collectif de défense des intérêts du Ndiael est prêt à tout pour la restitution de leurs terres. « Nous luttons contre l’installation d’un projet agroindustriel qui s’est vu attribuer 20 000 ha juste avant le 2e tour de la présidentielle de 2012 », a déclaré Ardo Sow, membre dudit collectif. « Nous demandons au gouvernement qui n’a pas fini de mentir encore aux populations à qui ils avaient promis monts et merveilles de revoir sa position par rapport à ce projet. Tout ce que nous demandons c’est qu’on arrête le projet pour qu’on puisse évaluer ses capacités et qu’on remette les terres aux populations qui s’adonnent à l’agriculture et à l’élevage », poursuit-il. Selon lui, on a déclassé une réserve d’avifaunes où vivaient 37 villages d’éleveurs avec plus de 100 000 têtes de bétails composés de bovins, d’ovins et de caprins. « Aujourd’hui, ces 37 villages sont appelés à partir, à quitter cette zone. L’autre préjudice est qu’il n’existe plus de terres dans la commune de Gnith, une commune très récente de 840 km2 », explique-t-il.
Des agriculteurs sans terres
Ce qui est paradoxale dans cette partie du pays, c’est le manque de terres arables. Selon Ardo Sow, le projet Senhuile-Senethanol a créé des agriculteurs sans terres dans la commune de Gnith. « Alors que les agriculteurs autochtones recherchaient des terres pour étendre leurs exploitations, ils avaient demandé un déclassement d’une partie de la réserve, ce qui leur était refusé par l’Etat qui a affecté ces terres à l’entreprise Senhuile-Senethanol. Ce qui fait que toutes ces populations n’ont plus accès à des terres dans leur zone», soutient-il. Toujours selon lui, les populations du Ndiael sont obligées d’aller dans les autres communes pour louer des terres, à l’image de ce qui est arrivé dans la commune de Ronkh dans le département de Dagana où il n’y a plus de terres. Un autre préjudice dénoncé par Ardo Sow est l’impact du projet sur le bétail. Il estime d’ailleurs que c’est le plus énorme préjudice. « Les 37 villages du Ndiael n’ont plus d’espace pastoral, d’espace où ils peuvent jouir de leurs activités socioéconomiques et culturelles. Les éleveurs sont confrontés à des problèmes d’alimentation de leur bétail. Ils sont obligés de parcourir plusieurs kilomètres pour longer les pistes ouvertes par l’entreprise à la recherche de pâturage », fustige-t-il.
« Auparavant, avant l’implantation du projet, le bétail pouvait rester toute l’année dans la zone, mais il est obligé aujourd’hui de partir un peu partout pour survivre. Toutes les pistes, toutes les voies de communication sont fermées. Les femmes sont obligées de parcourir des kilomètres pour aller chercher de l’eau », dit-il pour étayer ses propos. Dans son réquisitoire contre ledit projet, Ardo Sow, a révélé qu’il a « empêché le Prefelac (projet d’adduction d’eau déjà financé) de brancher tous les villages autour du lac de Guiers en eau potable, en creusant en contrepartie des bassins de rétention dont l’eau stagnante est impure à la consommation humaine et même animale».
Ardo Sow a aussi émis sa réserve sur la capacité de l’entreprise de mettre en valeur 1500 hectares sur les 20 000 qui lui sont affectés. Pis, «elle est en train de licencier des personnes alors qu’elle avait promis de créer 5000 emplois. Il y a moins de deux mois, elle a licencié près de 112 employés et c’est sûr qu’elle va encore en licencier d’autres », laisse-t-il entendre. Le Ndiael est une zone humide dont la configuration géophysique est favorable à l’agriculture. Par conséquent, sa jeunesse n’aurait même pas besoin d’émigrer si elle était valorisée. Elle dispose de suffisamment d’eau et d’espace pour assurer sa survie et son autosuffisance alimentaire. C’est le même phénomène d’accaparement de terres qui est aussi observé à Diass dans le département de Mbour (région de Thiès) où pour les besoins de la construction du nouvel aéroport international Blaise Diagne (AIBD), l’Etat du Sénégal s’est octroyé plus de 22 000 ha de terres.
Diass mis en lambeaux
Déjà morcelé comme un rouleau de tissu à se partager en famille à l’occasion d’une fête, Diass n’a pas échappé à l’appétit foncier de l’Etat. En effet, par le décret n°2001-666 du 30 août 2001 transmis au Conseil rural de Ndiass, l’aéroport international Blaise Diagne (AIBD) s’est vu affecter 2601 ha qui seront étendus à 4000 ha. Les populations lasses d’être expropriées de leurs terres ont dénoncé l’accaparement de leurs terres par l’Etat du Sénégal. En vain. Car comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement s’était également attribué 14 000 ha destinés à la création d’une Zone économique spéciale intégrée aux alentours du nouvel aéroport Blaise Diagne. Le village lébou de Yène, Poponguine et Diass se situent dans la délimitation de cette nouvelle zone. Dans le souci de créer une autre zone spéciale, qui devrait abriter le marché de Dubaï, l’ancien régime avait aussi délimité 718 ha pour usage d’industries, d’habitations et d’affaires. Du coup Diass a perdu son âme. Atteinte dans ses entrailles, cette localité historique, berceau des migrations Sérères en provenance du Fouta au 16e siècle, est complètement défigurée au plan géomorphologique. Elle n’a pas échappé à la ruée vers la terre, tout comme Ourour qui se rebelle.
Ourour réclame ses 2700 ha
Pour encore éviter un drame à l’image de celui de Fanaye, les populations de la commune de Ourour située non loin de Guinguinéo ont marché le 26 avril dernier avec des brassards rouges pour protester contre l’affectation en 2007 par le conseil municipal de près de 2700 ha de terres à l’entreprise African oil Corporation (Anoc) dans le cadre du plan de retour vers l’agriculture (Reva) lancé par le président Abdoulaye Wade pour lutter contre l’immigration clandestine des jeunes à l’époque. Dans le cadre dudit projet, il était prévu d’employer les jeunes de la localité dans la culture du jatropha à raison d’un pécule de 75 000 FCFA pour les maintenir sur place. Malheureusement, l’entreprise n’a pas respecté les closes du contrat, et s’adonne aujourd’hui à la culture de l’arachide sans employer les jeunes de la commune. Par conséquent, les populations exigent de la nouvelle municipalité en place la désaffectation des terres en question à leur profit pour leur permettre de les exploiter elles-mêmes.
L’exploitation du Zircon fait scandale à Diogo
Interpellé sur l’état des lieux dans la zone des Niayes, Ndiakhate Fall, membre de l’Union des groupements paysans de Mékhé (UGPM) a signalé que l’accaparement des terres est devenu une réalité au Sénégal depuis les années 2002 avec la mise en place au niveau étatique d’un certain nombre de politiques qui ont favorisé le phénomène avec la Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance (GOANA), le plan de Retour Vers l’Agriculture (REVA), entres autres. Il a aussi signalé qu’au niveau international, le « Doing business » a favorisé l’investissement dans les pays sous-développés dans les filières agricoles. Ce qui a contribué, à son avis, à la ruée vers les terres dans notre pays et ailleurs en Afrique.
Cet état de fait, dit-il, met en danger les intérêts des paysans dans toutes les zones du Sénégal. C’est dans cette perspective qu’un décret en date de 2006 et tenu secret jusqu’en 2013 a affecté 46 400 ha à une entreprise étrangère pour l’exploitation minière du zircon dans la zone des Niayes à Darou Khoudoss et à Diogo. « Ce qui veut dire que toute la zone comprise entre Cayar et Lompoul fait partie du périmètre d’exploitation. Même à l’intérieur de cette zone, il y a d’autres usines. Et des gens viennent encore faire des sondages dans toute la zone pour voir si c’est une zone minière ou pas. Ce qui est inquiétant pour les paysans. Donc l’ampleur est énorme », révèle Ndiakhate Fall. La société australienne Mineral Deposit Limited (MDL) a d’ailleurs commencé d’extraire le zircon à Diogo, au Nord de Mboro, où elle a obtenu un permis d’exploration sur une surface de 450 km2, soit un gisement de 800 millions de tonnes.
« Aujourd’hui, quand tu vas à Beud Dieng, village situé dans la commune de Médina Ndakhar, il y a un accaparement des terres par des étrangers italiens qui sont venus cultiver du jatropha. Le décret date de depuis 2004 et les populations ne connaissent même pas la surface qui a été mise à la disposition de ces Italiens, car les chiffres qu’on montre au niveau de la communauté rurale sont différents des chiffres qui sont à l’APIX. Tout s’est fait à l’insu des populations qui n’ont pas été consultées.», regrette-t-il.
Le zircon, prochaine source de conflit en Casamance
Le phénomène d’accaparement des terres n’épargne pas la Casamance, au Sud du Sénégal. En effet, depuis le 26 novembre 2004, la société australo-chinoise Carnégie-Astron a bénéficié par arrêté ministériel n°10455 MEM-DMG d’une autorisation d’exploiter le Zircon sur les côtes de la Casamance, du Nord vers les côtes Gambiennes jusqu’au Sud à la frontière avec la Guinée Bissau. Alors que les populations voyaient les limites du projet à Niafrang dans la zone d’Abéné, elles ont été scandalisées de découvrir qu’il s’étend sur environ 750 km2 des côtes de la région. En effet, c’est toute la zone comprise entre Kafountine au Nord et Boukote Wolof au Sud, en passant par Diogué, Carabane, Elinkine, Nhikine, Loudia Wolof, Diakène Wolof, Bouyoye et Diembéring. Ousmane Sané, activiste associé aux habitants de la localité, et appuyé par les ressortissants de la diaspora, est en train de se battre pour alerter l’opinion sur ce scandale foncier qui remet en cause leur droit d’usage des terres, mais aussi l’environnement naturel. Une source qui a requis l’anonymat a d’ailleurs laissé entendre que ce dossier du zircon risque d’être la cause d’un autre conflit en Casamance. Selon lui, les populations ont déjà gagné la sympathie des hommes du maquis qui leur ont promis d’intervenir dès que les responsables du projet feront le déplacement sur les lieux. Et de signaler qu’une forte escorte militaire les avait encadrés jusque là lors de leur dernière visite sur le site Nord du projet.
Raoul Barroso fort de 80 000 ha à Kédougou
En 2008, un scandale foncier a éclaté à Kédougou où pour les besoins d’un parc animalier et d’infrastructures hôtelières un investisseur espagnol s’est vu octroyer plus de 80 000 ha. Dans leur colère, les populations soutenues par la société civile pointent des doigts les trois présidents des communautés rurales de Saraya, Bandafassi et Tomborongkoto. Les populations impuissantes devant les travaux de terrassement déjà entrepris par le promoteur dans la zone de Tomborongkoto ont regardé en juin 2008 les bulldozers déraciner les troncs des grands arbres centenaires qui les ont vues naître et grandir. Cet accaparement des terres est aussi vécu comme un traumatisme par les populations qui ont assisté à l’abattage de leurs arbres fruitiers et à la dégradation de la nature, sans même l’intervention des autorités locales, ni des agents des Eaux et Forêts.
Le cas de Mbane
La communauté rurale de Mbane est l’une des plus célèbres du Sénégal pour avoir enregistré le premier scandale foncier d’envergure nationale porté à la presse. Mais comme pour dire qu’une fois n’est pas coutume, la localité est encore inscrite au livre des records de scandales du Sénégal durant la période comprise entre les deux tours de la présidentielle de 2012. Bassirou Fall, installé comme président de la délégation spéciale à la suite du découpage de Mbane par le décret n°2011-653 du 1er juin 2011 du Président Abdoulaye Wade, avait été limogé par l’ex-ministre de la Décentralisation et des Collectivités locales, Aliou Sow, sur arrêté ministériel. Bassirou Fall avait déjà déclaré sur les ondes de Sud FM le dimanche 20 mai 2012 qu’il avait refusé de signer un document lui présenté par le sous-préfet de Mbane pour octroyer 4312 ha à la compagnie sucrière sénégalaise (CSS).
Pour alerter sur le danger de ce dossier brûlant qui pourrait être source de conflits, le président élu de la communauté rurale de Mbane, Pr Aliou Diack, avait saisi le président Macky Sall. «La cadence des événements dans la communauté de Mbane m’oblige à vous saisir, par cette voie expresse et publique, pour stopper une forfaiture en cours. En effet, au moment où vous avez instruit votre ministre de l’Aménagement du territoire et des Collectivités locales, de définir les modalités pratiques de réinstallation des présidents des collectivités locales victimes des découpages administratifs conformément à vos promesses au peuple sénégalais, des plans sont ourdis dans la communauté rurale de Mbane pour saborder l’entreprise et mettre les autorités devant un fait accompli lourd de tous les dangers, par la spoliation systématique des terres», avait-il écrit au président de la République. En effet, les populations de Pathé Badio (10 villages d’éleveurs Peulh) refusent de céder leurs terres pour la culture de la canne à sucre parce qu’elles y habitent depuis plus de plus de deux cent ans. Par conséquent, elles ne sont pas prêtes de voir leurs mosquées, leurs écoles et leurs cimetières spoliés. Ce qui peut-être une source de conflit.
Depuis toujours, les humains ont accordé une importance particulière à la terre. Si l’entendement populaire la considère comme la mère universelle, la terre constitue au plan scientifique, religieux ou ésotérique, avec l’eau, l’air et le feu, l’un des quatre éléments à la source de la vie. De la terre sont nés les hommes et c’est vers la terre qu’ils retourneront. Elle a servi depuis les temps immémoriaux à abriter les habitats, héberger les tombes et nourrir l’humanité. Au Sénégal, la réforme foncière en cours a un enjeu particulier car la loi 64-46 du 17 juin 1964 est désormais jugée inappropriée. Les directives volontaires proposées par la FAO recommandent de prendre en compte les droits coutumiers. D’où l’intérêt de réformer conformément au vœu du président de la République, Macky Sall. Par souci de mettre tous les acteurs à contribution, la société civile a entamé depuis quelques semaines une tournée nationale pour consulter les populations afin de trouver un consensus dans le cadre de la réforme foncière en cours. Mais il faut reconnaitre qu’avec les expropriations et les accaparements observés un peu partout, le foncier pourrait entrainer des troubles graves dans notre pays si on ne prend pas garde. Espérons que la réforme foncière pourrait corriger certaines erreurs.
ARTICULATION ENTRE AGRICULTURE FAMILIALE ET AGROBUSINESS : REFORMER POUR CORRIGER LES DESEQUILIBRES
Le président de la Commission nationale de réforme foncière (CNRF), Pr Moustapha Sourang, a estimé qu’il est bien possible d’allier l’agriculture familiale à l’agrobusiness. Pour lui, il suffit tout simplement de réformer pour corriger les déséquilibres existants.
« Nous avons reçu l’encouragement des plus hautes autorités en disant qu’il ne faudrait pas que la réforme foncière crée des déséquilibres que nous ne pourrons plus contrôler. Mais en même temps, comme l’agriculture est un bien économique, il faut voir comment mettre en place un dispositif équilibré entre l’agriculture familiale et l’agriculture d’affaire », a laissé entendre Pr Moustapha Sourang, Président de la Commission nationale de réforme foncière qui s’exprimait le 3 juin dernier, à l’occasion de la conférence de bilan de son institution. Selon lui, « il n’est pas question de renouveler les expériences antérieures de 3000 ou 4000 hectares donnés comme ça ». Cette situation a été possible, de son point de vue, grâce à une défaillance des outils de gestion.
« Ce qui s’est souvent passé, c’est que ces contrats ont été donnés sans que l’ensemble des structures soient informées. C’est peut-être un ou deux conseillers qui viennent et qui donnent. Mais il faut de la transparence dans les procédures. Nous avons estimé qu’il doit y avoir un contrôle social car aucun Etat n’a intérêt à déséquilibrer », soutient-il, tout en signalant qu’il y a bien de « la place pour l’agriculture familiale et pour l’agriculture d’affaires ». Et de poursuivre : « Nous ne privilégions pas du tout l’agrobusiness. Les deux peuvent coexister dans le cadre d’un partenariat bien défini et dans lequel les intérêts des populations sont bien préservés. Nous parlons de protection de l’investissement privé national ou étranger. Un observatoire sera mis en place pour suivre la mise en œuvre de ces partenariats ».
Pour ne pas que le Sénégal perde son âme, Pr Moustapha Sourang estime que le concept de « terres, biens culturels » ne doit pas être aliéné. Mais il a tenu à révéler que dans certains CRD, les populations ont signalé qu’elles ne s’opposent pas à l’arrivée de partenaires qui vont travailler avec elles dans des stratégies gagnant-gagnant, car il est clair que la terre doit être mise en valeur. « Il ne faut pas qu’ils viennent prendre toutes nos terres et qu’ils repartent en nous laissant des trous nous ont-elles dit. Ce qui peut bien se comprendre. D’autre part aussi, il ne faudrait pas tomber dans l’excès inverse de céder des milliers d’hectares alors que d’autres peuvent les cultiver », a-t-il déclaré.
PHENOMENE D’ACCAPAREMENT DES TERRES : Vers un audit des délibérations irrégulières
Le «Doing Business», investissement des pays occidentaux en Afrique, au début des années 2000, a favorisé un véritable «tsunami» agroindustriel en Afrique de l’Ouest, particulièrement au Sénégal, où plusieurs milliers d’hectares de terres ont été livrés à des investisseurs étrangers, et même nationaux avec l’agrobusiness. Ce phénomène a entrainé des troubles sociaux à quelques endroits avec une révolte des populations ayant causé mort d’hommes, à Fanaye. Pour régler ces irrégularités, la commission nationale de réforme foncière (CNRF) prévoit un audit des différentes délibérations soupçonnées d’irrégularités. L’annonce est faite par Pr Abdoulaye Dièye, Juriste foncier, membre de la commission technique de la Commission nationale de réforme foncière (CNRF).
Les populations du Sénégal qui sont dépossédées de leurs terres par des délibérations irrégulières doivent se réjouir des travaux de la Commission nationale de réforme foncière. Un audit de toutes les délibérations jugées irrégulières est prévu. « L’un des principes fondamentaux de notre travail, c’est l’audit qui sera fait par rapport à ces délibérations là. Au-delà d’un certain seuil, on va voir si la délibération est régulière, si elle a été faite dans les règles de l’art, pour la mettre en corrélation avec la capacité de mise en valeur », a signalé le Pr Abdoulaye Dièye, Juriste foncier, membre de la commission technique de la Commission nationale de réforme foncière (CNRF). Selon lui, « il est hors de question de dire qu’il y a des gens qui peuvent se prévaloir de 20000 hectares déjà et qu’on doit les transformer automatiquement en baux ». De son point de vue, un audit s’impose. « Nous étions là. Nous sommes conscients qu’il y a eu des délibérations qui ont été faites dans des conditions irrégulières, par rapport à la GOANA. Nous sommes bien conscients de ce phénomène et les mesures idoines vont être prises », a-t-il signalé à l’occasion du point de presse tenu le 3 juin dernier pour livrer le bilan d’étape de la CNRF. Le Pr Abdoulaye Dièye, Juriste foncier, membre de la commission technique de la Commission nationale de réforme foncière (CNRF), estime que s’il y a eu accaparement des terres c’est bien parce que la loi n’a pas été appliquée. « Nous avons vécu un phénomène d’accaparement des terres parce qu’en réalité on n’a pas appliqué la loi. Si on avait appliqué strictement la loi, il n’y aurait pas eu d’accaparement de terres. La loi sur le domaine national est claire et nette avec le principe de l’appartenance à la collectivité », a-t-il signalé.
Le titre foncier est inaliénable
Dans une autre mesure, le juriste foncier a évacué la question des titres fonciers. Il a révélé que malgré une durée de 400 ans au plus, le titre foncier reste inattaquable et inaliénable. « En matière de titre foncier, on ne peut pas dire que ça date de 1900, donc ce n’est plus valable. Le titre foncier est inattaquable. Il n’y a pas de péremption du titre foncier », a-t-il laissé entendre en donnant l’exemple du fameux titre foncier de Bambilor. Cette réponse semble avoir également vidé le cas des titres fonciers de la famille Khayat à Ouassadou. « Le titre foncier est toujours valable tant que l’Etat n’exproprie pas son propriétaire. On ne peut pas dire que c’est un vieux titre foncier, donc ce n’est plus valable. Cela n’existe pas en droit foncier. Il peut durer 400 ans, c’est toujours un titre foncier », explique-t-il.
sudonline.sn