une civilisation, quel que soit son génie intime, à se replier sur elle-même, s’étiole » Aimé Césaire
Nicolas Sarkozy vient de jeter un pavé dans la mare. En décrétant que tout français d’origine étrangère coupable de certains crimes risque la déchéance de sa nationalité, il franchit le rubicond. Une ligne rouge de tous les dangers. Mais Nicolas Sarkozy n’est que le pointe avancée de cet occident qui se barricade. Triste sort de pays qui doivent, pourtant, leur prospérité et leur grandeur à leur ouverture d’antan. Car si l’Europe a pu conquérir le monde, elle le doit d’abord et avant tout à cette tentation à laquelle ont cédé ses souverains et citoyens : l’appel du grand large ! Cette envie d’aller ailleurs, vers l’inconnu ! Cet extraordinaire souci du nouveau et de l’insolite ! Certains l’appelleront expansionnisme économique ; d’autres évasion exotique. Peu importe la finalité, le moyen reste le même ! Il a fallu que l’Europe s’imprégnât de la culture des autres, s’appropriât leur savoir-faire et fît main basse sur leurs matières premières pour qu’enfin elle décolle, et ce, pour des siècles.
La force de l’occident est d’avoir été au carrefour des civilisations ; d’avoir su se constituer en une sorte de capteur d’énergies et d’initiatives venues d’un peu partout pour mieux les mettre au service de son développement. Mais la faiblesse de l’Europe, c’est, en même temps, sa propre force. Dès qu’elle se sent suffisamment forte, elle a tendance à se replier sur elle-même au nom d’une supposée préservation de son identité et de sa spécificité.
C’est bien au nom de la préservation d’une certaine spécificité que la folie meurtrière s’empara de l’Europe du 20ème siècle. Car Hitler avait décidé que l’homogénéité de la race Arienne devait être protégée et son avenir garantie.
La suite est connue. L’Europe, prise entre ses propres démons, avec la deuxième guerre mondiale, céda sa place de première puissance à l’Amérique.
Une Amérique qui, au contraire de sa sœur aînée, a su se construire et se consolider sur la base de sa diversité et de sa pluralité. La force de l’Amérique et des américains résidant, entre autres, dans leur extraordinaire capacité à absorber leurs origines multiples et plurielles pour en faire une nation solide, structurée et unie autour de valeurs partagées et pluralistes.
Certes, l’Europe d’aujourd’hui n’a pas connu les mêmes dérives sanglantes de l’époque Hitlérienne. Bien sûr qu’elle ne met point en avant des critères fascistes ou raciaux. Cependant, cette Europe en construction est aussi et surtout une Europe de l’exclusion, une Europe du protectionnisme, une Europe de dérives raciales, une Europe d’intolérance.
Le récent scandale de l’immigré Sénégalais, menotté, bastonné et humilié, pour avoir osé voulu faire ce que les ancêtres de ses tortionnaires avaient fait, l’illustre bien. Car l’émigré Africain du 21ème siècle, comme le colon Européen, a, lui aussi, envie de s’ouvrir au limon fertile de l’autre. Il a envie de découvrir les merveilles et charmes de cet ailleurs qui lui est conté. Il a, lui aussi, besoin de puiser et d’exploiter les ressources de cet Eldorado des temps modernes. Et voici que l’Europe, face à ce juste retour des choses, se barricade. Elle exige visa, carte de séjour et autres conditions auxquelles ses colons-envahisseurs n’avaient pourtant pas satisfaites ! René Caillié n’avaient demandé, encore moins obtenu, de visa pour pouvoir « découvrir » Tombouctou. Tout comme Magellan n’a sollicité un visa Zoulou pour faire le tour du Cap de Bonne Espérance ! Et c’est parce que Christophe Colomb s’est bien perdu et trompé de chemin qu’il a pu « découvrir » l’Amérique. Alors, pourquoi s’émouvoir de voir des pêcheurs Africains, « perdus » en mer et qui « découvrent » à leur tour les lumières de l’occident et qui voudraient en tirer le meilleur ?
Au nom d’une prétendue souveraineté, l’occident poursuit, prolonge et renforce son arrogance et son mépris pour les autres peuples. C’est bien pourtant l’Union Européenne qui prône, entre autres, la libre circulation des personnes et des bien, et qui, à travers l’Espace Schengen, trouve le moyen de mettre en place une barricade collective plus épaisse que la muraille de Chine ! C’est bien l’Occident qui s’indigne facilement des moindres dérives et entorses aux droits de l’homme, qui constitue, paradoxalement, l’espace de violation rationnalisé et accepté des droits les plus élémentaires de l’homme : celui de se déplacer en toute quiétude.
Mais nous comprenons bien que l’Occident ne veuille pas trop s’accommoder d’un trop plein d’étrangers et surtout d’africains. Ces derniers n’étant point suffisamment « entrés dans l’Histoire », comme monsieur Nicolas Sarkozy a eu le toupet de le dire, en direct, aux Africains, et sur le sol africain !
Mais Nicolas et ses pairs oublient que si l’Européen est bien entrée dans l’Histoire, c’est parce qu’il a, bien souvent, fait l’histoire, et de manière pas toujours élogieuse, et, souvent, peu orthodoxe. Berlusconi et ses confrères oublient que si le visa avait été instauré il y a 150.000 ans, il n’y aurait aucune chance pour l’Europe d’exister en tant que peuple. Car il a bien fallu que les peuples d’Afrique, berceau de l’Humanité, migrassent en Occident, pour ensuite donner naissance à l’Homme de Grimaldi, qui peuplera à son tour toute l’Europe !
Mais ça, pour le savoir, il ne suffit pas seulement d’entrer dans l’Histoire, il faut aussi être prêt à faire face à l’Avenir. Et c’est bien ce qui inquiète l’Europe.
Mamadou Thiam
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