Le danger foncier rôde dans la commune de Sindia! La construction de l’aéroport de Diass, la réalisation de l’autoroute à péage Dakar-Mbour et le projet de Zone économique spéciale ont déclenché une folle course à la propriété foncière dans cette collectivité locale. Des gros bonnets de la République, mais surtout les chefs d’entreprises et des spéculateurs de tout acabit, ont fait main basse sur les terres qui étaient destinés jusque-là à l’agriculture et à l’élevage. Ainsi, c’est le fondement de toute l’activité économique et sociale et l’écosystème naturel de la zone qui est remis en cause, comme le dénonce Dr Mame Cheikh Ngome, géographe et spécialiste de la décentralisation. Les populations locales vivent aujourd’hui dans la peur de se retrouver du jour au lendemain étrangères chez elles, sans terres de culture, d’élevage et d’habitation. Puisqu’elles ont souvent obligées de brader leurs terres pour faire face à la pauvreté galopante.
Stop à la spéculation foncière à Sindia ! C’est le cri de cœur des populations locales qui voient leurs terres de culture et d’élevage se rétrécir comme peau de chagrin. La faute à la spéculation foncière orchestrée et menée par des hommes d’affaires, des capitaines d’industrie, personnalités politiques et des célébrités de la place. De Bara Tall à Idrissa Seck en passant par Babacar Ngom et Yérim Sow, la liste des personnalités propriétaires de parcelles dans la zone est loin d’être exhaustive.
Selon des sources bien au fait des délibérations du Conseil municipal, le patron de Jean Lefebvre Sénégal (Jls) Bara Tall et l’homme d’affaires Yérim Sow (propriétaire de l’hôtel Radisson Blu) ont acquis chacun 100 hectares vers Thiafoura (un village entre Somone et Guéréo). Le géant du lait en poudre, Chaouki Haïdous, (Dg de Satrec) possède aussi un terrain de 24 hectares, à hauteur de l’autoroute à péage.
Il en est de même du patron de Sedima, Babacar Ngom, qui est propriétaire d’un site de 300 hectares (destiné à un projet d’agro-business) sur les terres du village de Djilakh (à la limite de la commune, non loin de Ngekhokh). Avant eux, de nombreux autres hommes d’affaires libano-syriens avaient déjà investi la zone, en se faisant attribuer des centaines d’hectares sur les terres de culture et d’élevage.
Et c’est le village de Kiniabour 2 qui a payé le plus lourd tribut. Des champs de plusieurs dizaines de familles ont été désaffectés par le défunt Conseil rural, avec des indemnisations dérisoires (20.000 Fcfa à 100.000 Fcfa selon la surface perdue) au profit de ces investisseurs qui ont planté des vergers de manguiers qui offrent très peu d’emplois et de revenus aux populations locales. D’ailleurs, un d’entre eux, en l’occurrence Charles Adad, est en contentieux judiciaire avec des paysans qui, se sentant floués, veulent récupérer leurs terres.
Drogba s’est installé dans la zone
Il n’est pas homme d’affaires au même titre que ceux cités plus haut, mais Didier Drogba qui aurait beaucoup investi au Sénégal est aussi dans la course au foncier dans la zone. Selon les populations locales, l’international ivoirien, par l’intermédiaire d’un certain Cissokho, s’est octroyé plusieurs hectares de terre à hauteur du village de Sorokh Khassap.
Idy et son domaine
Les hommes politiques ne sont pas en reste. Le patron de Rewmi et ancien Premier ministre sous Me Abdoulaye Wade est propriétaire d’un véritable domaine. Le mûr de clôture qui entoure sa propriété est d’ailleurs visible à partir de la route nationale, à la sortie de Sindia. Son domaine s’étend jusqu’à la lisière de la lagune de Somone.
380 ha pour un promoteur français
Le promoteur français du nom de Pascal a sans doute décroché le jackpot en se faisant attribuer un site de 380 hectares. Et cerise sur le gâteau, le site se trouve dans une zone écologique particulièrement intéressante (entre la lagune, la mer et la savane) et entre les deux réserves naturelles (celle de Somone et la forêt classée de Popenguine). Son projet, « Les Collines de Guéréo », consiste à y bâtir une zone résidentielle avec des villas de haut standing, donc largement hors de portée des populations locales.
Djibril Mar Diop et Global Business : des terrains contre un projet « fantôme » de logements sociaux.
A Guéréo, le nommé Djibril Mar Diop et son partenaire Global Business avaient acquis plusieurs hectares de terre pour un projet de logements sociaux. Pour leur faciliter la tâche, le Conseil rural de l’époque, dirigé par le socialiste Ousmane Lo, avait accordé une délibération sans que le bénéficiaire ne verse le moindre centime.
Aujourd’hui, le projet est visiblement tombé à l’eau et les acquéreurs seraient sur le point de faire des transactions commerciales sur ces terres qu’on leur avait gratuitement attribuées pour un projet bien défini de logements sociaux et pour lequel un protocole a été signé. Ce qui révolte les populations qui dénoncent un détournement d’objectif. D’ailleurs lors de la séance de délibération du 3 avril dernier 2015, un conseiller habitant Guéréo, avait demandé au Conseil municipal d’entamer une procédure légale pour annuler l’acte de propriété de Djibril Mar Diop et Cie.
L’autoroute à péage et les petits attributaires aggravent le mal
A côté des gros bonnets qui ont acquis des centaines ou dizaines d’hectares, il y a aussi, et ils sont de loin plus nombreux, les petits acquéreurs. Ces derniers possèdent entre 1 et 10 ha. Ils sont surtout présents sur l’axe Sindia-Guéréo, en passant par les villages de Kiniabour 1 et 2, Sorokh Khassap et Thiafoura. Et chacun y va de son projet (logements sociaux, cités résidentielles, institut de formation…) pour mieux ferrer les populations et le Conseil municipal (Ndlr, et dans le passé : le Conseil rural).
C’est le cas du nommé Bamba Ndiaye (à ne pas confondre avec le patron de Bamba Ndiaye Sa) qui s’était fait attribuer un terrain à Kiniabour 1 (à 4km de Popenguine), en soumettant un projet d’érection d’un institut de formation professionnelle. Mais une dizaine d’années plus tard, pas une seule pierre de cet institut n’a été posée.
Et devant cette situation (des terres qui servaient à l’agriculture qui restent inexploitées) les populations du village, avec à leur tête des conseillers municipaux, ont proposé que le terrain soit désaffecté. A défaut de cela, il faut obliger Bamba Ndiaye à réaliser le projet qui avait fait l’objet de délibération. Les populations craignent tout bonnement que le projet d’école de formation ne soit un leurre pour obtenir des terres à rétrocéder ensuite à prix fort.
Il y a aussi l’autoroute qui va rallier Mbour via l’aéroport international Blaise Diagne de Diass (Aibd). Avec le tracé de cette infrastructure, beaucoup de paysans de Kiniabour 1 et 2, de Sorokh-khassap et de Thiafoura ont été dépossédés de plusieurs centaines d’hectares de terres de culture. Une situation d’autant plus dure à avaler que les indemnisations étaient particulièrement modiques.
Cupidité des conseillers et pauvreté des populations ont amplifié le phénomène
Dans cette razzia foncière en cours à Sindia, les responsabilités sont partagées entres les populations locales et le Conseil municipal. « Les conditions de cession ne sont pas toujours les mêmes. Parfois, ce sont les populations qui le font avec l’aide des conseillers-courtiers. Même le Conseil municipal est comptable de ces faits. D’habitude, lorsqu’un acquéreur vient, ce sont des membres du Conseil qui l’aident à repérer des terrains non identifiés, c’est à dire des terres qui ne sont pas affectées.
Pour ce cas de figure, c’est le Conseil qui affecte et l’implication des populations est limitée. D’ailleurs, elles sont souvent exclues de la négociation des protocoles. L’autre cas, c’est quand l’acquéreur est intéressé par des terres déjà affectées aux paysans par une délibération. Là, le Conseil envoie l’acquéreur et son courtier à aller négocier d’abord la vente avec le propriétaire.
Lorsque celle-ci est conclue, l’équipe municipale intervient ensuite directement avec l’acheteur. Et c’est à ce niveau qu’ils font vraiment affaire », explique un jeune de la localité qui suit de très près la question foncière dans la commune. Même s’il y a eu beaucoup « d’expropriations » sous-tendues par un « projet d’intérêts commun » (c’est souvent l’argument avancé pour convaincre les paysans à céder les terres), il y a aussi beaucoup de gens qui, tenaillés par la pauvreté, cèdent volontiers aux avances des « chasseurs » de terres qui ont investi la zone avec leurs mallettes d’argent.
Et on imagine mal comment ces pauvres villageois, dont la plupart vivent quotidiennement dans la misère, peuvent résister à la tentation de ces millions qui circulent sous leur nez. « Comme vous pouvez le constater, l’hivernage n’est plus ce qu’il était jadis. Le manque de travail et l’absence de revenu touchent les populations qui, pour atténuer leur situation de pauvreté, sont obligées de brader leurs terres afin de gagner un peu d’argent. Ce qui permet aux uns et aux autres de construire des maisons ou de réfectionner leurs maisons et surtout d’avoir de quoi acheter des vivres », affirme S. Ngome du village de Sorokh Khassab.
Et le Conseil municipal (premier représentant de l’État), propriétaire a priori des terres du domaine national, ne fait rien pour limiter les dégâts. Au contraire, c’est la mairie et surtout certains conseillers particulièrement cupides qui dirigent les transactions. Et leur seule motivation qui consiste à se remplir les poches est claire.
« Avec le business de la terre, ces conseillers-courtiers, dont beaucoup n’avaient même pas de travail au moment d’intégrer le Conseil rural puis le Conseil municipal, ont construit en moins de dix ans de belles maisons et acheté de belles voitures. Le business est si florissant pour eux qu’ils ne veulent pas, pour rien au monde, que cela s’arrête », soutient Pape Sène du village de Kiniabour.
Et notre interlocuteur ajoute que « la mairie a le droit de mettre un terme à la vente des terres, parce que légalement, ce n’est pas autorisé. Et lors d’un Conseil au mois d’avril dernier, le maire a soulevé la question et demandé à l’assistance de se prononcer sur l’arrêt des mutations pour la vente de grandes surfaces. Mais personne n’a abondé dans le même sens et le débat a été clos aussitôt après », révèle notre interlocuteur.