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L’arbre s’est penché ou la chronique d’une perte irréparable

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A l’instar de Simone de Beauvoir (Une mort très douce) et Annie Ernaux (Une femme), Mariama Ndoye, auteure prolifique, rend hommage à sa mère disparue le lundi 20 décembre 2010 et lui fait une déclaration d’amour posthume. Son récit est un long et bouleversant cri de douleur mais aussi une sorte de thérapie car, dit Mariama Ndoye, »seule l’écriture sert d’exutoire à mes larmes « .

L’ouvrage commence par la description de la photo de couverture représentant une jeune femme élégante dont les  » larges sourcils en arc de cercle s’ouvrent sur de grands yeux langoureux ». Une femme belle et distinguée, pleine de grâce et de classe. En témoigne cette anecdote racontée par Mariama Ndoye: lors d’une fête du 04 avril, le président Senghor remarquant son absence s’en inquiète auprès de son chef de cabinet : « Qu’est il arrivé à la belle Madame Ndoye ? »

Mais l’objet de L’arbre s’est penché ce n’est pas seulement de mettre en évidence l’élégance d’un être hors normes (illustrée par d’autres photos dans le livre).C’est aussi pour Mariama Ndoye l’occasion de traduire en mots notre impuissance face au Destin, face à la perte d’un être irremplaçable. Tout au long de son récit elle s’avoue inconsolable de n’avoir pas su lui dire plus souvent son amour de vive voix. Elle se rattrape en quelque sorte en essayant de la « faire connaître au monde ».

Il a suffi d’un coup de téléphone pour réduire à néant l’espoir. C’est fini. »Nous n’avons plus de maman  » écrit-elle. Complètement bouleversée et choquée, Mariama Ndoye éprouve une folle envie de hurler et pourtant elle doit se retenir et tenir son rôle d’aînée (lourd et difficile à assumer dans de telles circonstances). Commence le  » calvaire de te voir inerte, de te sentir fraîche et non tiède de vie » . Alors  » la douleur éclate ».

L’image de l’arbre renvoie à la force maternelle, protectrice et généreuse. Ce que nous dégageons vient de la mère. Elle est comme l’étoile polaire autour de laquelle les enfants se meuvent. Elle est partie et son départ engendre une grande souffrance. C’est pourquoi l’auteure utilise tout au long du livre des expressions comme: »maman, que tu me manques, la douleur perle et m’étreint, écrire ne me comble plus et revoilà que je pleure ».

Le propos de Mariama Ndoye n’est pas romancé mais simple et direct même si elle l’émaille parfois de  poèmes et de proverbes. C’est un voyage à travers la vie d’une femme pleine d’humour et de sensibilité, une femme « bien née, éduquée par des adultes sages, alphabétisée » et « aimant les mondanités ». Est ce pour cette raison que ses enfants lui ont organisé des funérailles grandioses en « sacrifiant trois taureaux en huit jours et un quatrième le quarantième jour » et que les gens venus « présenter leurs condoléances sont les plus grandes personnalités du pays  » ? Ou alors est-ce parce que Fatou Dieng Meissa aimait tant nourrir les autres que personne ne devait avoir faim ou soif le jour de ses obsèques ? Gaspillage ou générosité ?

Quoi qu’il en soit, grâce aux sacrifices consentis et aux graines d’amour que sa mère a su semer, Mariama Ndoye est  » arrivée »,comme on dit familièrement. Elle est aujourd’hui la grande écrivaine que nous admirons tous, auteure entre autres d’ouvrages tels que Soukey, De vous à moi, Comme du bon pain et D’Abidjan à Tunis. Ancienne Directrice du livre et de la lecture, elle est l’actuelle Conservatrice du Musée Léopold Sédar Senghor.

L’auteure raconte aussi son pèlerinage à la Mecque et nous fait revivre de manière très détaillée les différentes étapes du Hadj.

L’arbre s’est penché est également l’occasion pour Mariama Ndoye de fustiger l’hypocrisie de notre société, « complice de… la négligence de certains médecins, des policiers ou gardiens de prison violents, des amoureux violeurs » etc.

Elle comprend encore moins le goût du m’as-tu-vu de certaines sénégalaises et se demande pourquoi « elles sont envahissantes et snobs dans un endroit où toute différence devrait s’effacer et tous les vices se dissoudre.  »

La guerre en Côte d’Ivoire touche tout particulièrement l’auteure qui a eu à travailler pendant plusieurs années dans ce pays .

A la fin de ce livre autobiographique qui traite d’un sujet aussi « intime que le chagrin, même dans ses manifestations extérieures », en quelques petites pages, Mariama Ndoye a tenu à rendre hommage aussi à son père « parti rejoindre sa compagne dix mois après » son retour à Dieu  » à un jour près « . Mais ce sont des pages puissantes et émouvantes que celles destinées à « rendre la vie » au premier docteur nutritionniste du Sénégal, « gentleman jusqu’au bout des ongles »  et qui a su demeurer « fermier dans le cœur nostalgique des pastorales du ravin de Diobass ».

L’arbre s’est penché est un livre poignant et vrai sur la mort, le deuil, la relation entre une fille et sa mère si complices que cette dernière se chargeait de sa coiffure quand, toute jeune, Mariama allait danser.

Nous avons tous une mère et elle est le seul être qui peut perdre la vie en nous donnant la vie. On comprend Mariama Ndoye du dedans. J’ai bien souvent pensé, au cours de ma lecture, à ma propre maman, une magnifique Linguère, généreuse et pleine d’allant.

Cependant lorsque Mariama Ndoye s’écrie :« Ma blessure se cicatrisera-t-elle ? Je m’en voudrais. Je m’en veux que tu sois déjà partie », nous sommes en droit de nous demander si son récit a produit la catharsis espérée.

Entre autres distinctions, L’arbre s’est penché a reçu le Prix Ivoire en 2012 et le Prix de la première dame du Mali en 2015.

Ndèye Codou Fall

L’arbre s’est penché, Mariama NDOYE, récit, 130 p, Ed Eburnie, Abidjan, 2011

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