Face aux propositions sécuritaires du gouvernement, Michel Rocard a sorti, vendredi, l’artillerie lourde. Dans l’hebdomadaire Marianne daté du 7 août, l’ancien Premier ministre socialiste dénonce des mesures jamais vues depuis «Vichy» et les «nazis». Pour lui, la loi visant à condamner les parents de mineurs délinquants «passe de la responsabilité pénale individuelle à la responsabilité collective. On n’avait pas vu ça depuis Vichy. On n’avait pas vu ça depuis les nazis». «Mettre la priorité sur la répression, c’est une politique de guerre civile. […] Je condamne la substance et le procédé. Je sais bien que le Président recherche d’abord les effets d’annonce. Les intentions sont scandaleuses. Je dis qu’il le paiera et qu’il l’aura mérité», s’emporte Michel Rocard, nommé à la tête de la commission sur le grand emprunt et ambassadeur des Pôles par le chef de l’Etat lui-même.
sondage. Cette charge était jugée vendredi excessive par certains de ses camarades socialistes. «Rocard, c’est notre phare à éclipses. Un coup, il tresse des couronnes à la droite, et l’autre, il l’a cloue au pilori. Ces déclarations sont contre-productives. L’escalade verbale dans la condamnation est aussi stérile que l’escalade dans les propositions», notait un dirigeant de la Rue de Solférino. «Si les socialistes se taisent, ils seront accusés de laxisme, s’ils polémiquent, cela ne servira qu’à Nicolas Sarkozy», résume Jérôme Fourquet, directeur des études de l’Ifop. Mais surtout, une fois de plus, Michel Rocard est à contre-courant de l’opinion publique. Un sondage Ifop publié par Le Figaro,vendredi matin, montre qu’une très forte majorité des Français approuve les mesures sécuritaires prônées par le gouvernement face à la grande délinquance. A 89%, ils se prononcent pour le port du bracelet électronique par les délinquants multirécidivistes pendant plusieurs années après la fin de leur peine et, à 80%, pour l’instauration d’une peine de prison incompressible de trente ans pour les assassins de policiers ou de gendarmes. A 79%, ils souhaitent voir démanteler les camps illégaux de Roms.
Même si cette enquête d’opinion tombe à point nommé pour le gouvernement, l’Ifop se défend d’avoir effectué un travail de circonstance. «La méthodologie des sondages a été parfaitement respectée. Même en période estivale», assure Jérôme Fourquet. Ce que confirment ses collègues d’autres instituts. «Cela n’est peut-être pas très plaisant à constater aux yeux de certains, mais cette photographie de l’opinion est assez juste techniquement même si elle n’embrasse pas la totalité du problème de l’insécurité», constate Stéphane Rozès, politologue et professeur à Sciences-Po. Même le PS le reconnaît. «Ce sondage est crédible. Je le lis comme une demande de protection des Français. En même temps, c’est une formidable critique de la politique de Nicolas Sarkozy. Si l’opinion ne sentait pas que cela se détériore, elle ne demanderait pas des mesures plus fermes», poursuit Jean-Jacques Urvoas, le responsable des questions de sécurité au PS.
«Martingale». Jérôme Fourquet n’est pas surpris outre mesure par les résultats de cette enquête. «Bien sûr, ces annonces aident à effacer dans l’opinion les effets de l’affaire Woerth. Mais ce n’est pas leur but principal. Dans un sondagepublié fin juillet dans France Soir, à 59%, les Français estimaient que le sentiment d’insécurité augmentait. Après l’intervention du chef de l’Etat, le 11 juillet, ils étaient seulement 40% à l’avoir trouvé convaincant sur les questions de sécurité, explique le directeur de l’Ifop. Et Nicolas Sarkozy a bien compris que la martingale de l’électionprésidentielle de 2007, c’est-à-dire la lutte contre l’insécurité, était en train de lui filer entre les doigts.»
Une analyse partagée en grande partie par Stéphane Rozès pour qui la crise et l’insécurité sociale et économique «renforcent la demande de sécurité des Français. Nous assistons à une montée du rigorisme. Les Français réclament des normes à condition qu’elles soient partagées par tous les secteurs de la société». «Mais ce sondage ne dit qu’une partie de la vérité. Il ne dit pas si les Français jugent efficaces ou non ces mesures», note-t-il.
Roms expulsés. Pour Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux, tout l’enjeu se situe là. Avec cette exigence des Français de réponses de plus en plus sécuritaires face à des actes de délinquance de plus en plus violents, le chef de l’Etat est attendu au tournant. Et il l’a bien compris. Dix jours après la promesse présidentielle de démanteler 300 camps roms illégaux, avec des reconduites à la frontière «quasi immédiates», les préfets s’exécutent. Vendredi matin, une centaine de Roms roumains ont été expulsés d’un camp à Saint-Etienne (Loire). «Il est clair que ce que j’ai fait est dans la ligne de la consigne présidentielle», a admis le préfet de la Loire, Pierre Soubelet, avant d’ajouter : «Il n’y a pas d’avenir pour les Roms en situation irrégulière, je suis dans l’incapacité de [les] héberger.»
En matière d’expulsion, la Seine-Saint-Denis a pris de l’avance depuis la nomination du préfet Christian Lambert, ex-patron du Raid, en avril. Dans ce département, les évacuations s’enchaînent «au rythme de deux par semaine», selon nos sources. De nouveaux démantèlements d’ampleur devraient intervenir la semaine prochaine en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne.
Brice Hortefeux n’est pas en reste. Après Grenoble, le ministre de l’Intérieur se rend samedi à Perpignan pour rencontrer les acteurs de la sécurité, trois jours après une vaste opération de police dans un quartier sensible de la ville.
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