Lyon Capitale, associé à Mediapart, révèle les premiers éléments du rapport d’enquête provisoire de la commission indépendante de l’Agence mondiale antidopage (AMA) sur le scandale de corruption et de dopage dans l’athlétisme mondial.
Un énorme coup de filet au cœur d’une immense affaire de corruption sportive entre Monaco, le Sénégal, la Russie et Singapour, quelques mois seulement après le “Fifagate”. Mercredi 4 novembre, la justice française a mis en examen l’ancien patron de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF), en poste jusqu’en août 2015, le Sénégalais Lamine Diack, son conseiller juridique Habib Cissé ainsi que l’ex-chef de la lutte antidopage à l’IAAF, Gabriel Dollé.
Lamine Diack, accusé de corruption et de blanchiment aggravé, aurait, selon l’agence Associated Press, touché au minimum 200 000 euros de la Fédération russe d’athlétisme (ARAF) pour couvrir des faits de dopage. Hier, le siège de la Fédération internationale d’athlétisme à Monaco a été perquisitionné, sur ordre du juge d’instruction au pôle financier du tribunal de Paris Renaud Van Ruymbeke, en charge de l’enquête.
En parallèle, une commission indépendante de l’Agence mondiale antidopage (AMA), créée en décembre 2014, suite aux premières révélations de la chaîne allemande ARD sur le dopage et la corruption organisés dans l’athlétisme russe, enquête depuis près d’un an sur cette affaire.
Lyon Capitale, associé au site d’investigation Mediapart, a pu consulter en exclusivité les premiers éléments de l’enquête provisoire. Un véritable rapport noir de l’athlétisme mondial, qui révèle comment les plus hauts dirigeants de la Fédération internationale et de la Fédération russe d’athlétisme ont mis en place un système de corruption, de chantage et d’extorsion de fonds d’athlètes dopés russes et turc.
500 000 dollars de chantage contre une championne olympique turque
Dans ce rapport, les experts indépendants de la commission d’enquête de l’AMA reprennent en partie les allégations de dopage et de corruption à grande échelle au cœur de l’athlétisme russe diffusées par le journaliste allemand Hans-Joachim Seppelt, en les confirmant.
Mais les enquêteurs vont plus loin, décrivant un système de corruption ordonné directement par les plus hauts dirigeants de la Fédération internationale d’athlétisme, basée à Monaco. Un réseau quasi mafieux, contrôlé par la “famille Diack”, associée à Gabriel Dollé, ancien responsable de l’antidopage à l’IAAF, à l’ex-président de la Fédération russe d’athlétisme et ex-trésorier de l’IAAF Valentin Balakhnichev, et à l’un des coachs des athlètes russes, Alexey Melnikov.
Le réseau de corruption s’amorce en 2011, quand les deux fils du président de l’IAAF, Papa Massate Diack, alors conseiller marketing de la fédération, aidé de son frère Khalil et de l’avocat sénégalais Habib Cissé, conseiller juridique auprès du président, vont récupérer la liste des suspectés de dopage de l’IAAF et la transmettre à la Fédération russe d’athlétisme. Les dirigeants de l’ARAF vont alors communiquer aux athlètes russes suspectés leur présence sur la liste, et leur risque de suspension pour les Jeux olympiques de Londres en 2012. Va alors s’engager un dangereux jeu de chantage entre la Fédération et les athlètes, les patrons monnayant leur silence et promettant de couvrir auprès de l’IAAF les anomalies sur les passeports biologiques, en échange de plusieurs centaines de milliers d’euros.
Ainsi, le cas de la marathonienne Liliya Shobukhova, déjà dévoilé dans le documentaire de la chaîne allemande ARD. L’athlète russe versera en trois fois et en cash 569 000 dollars, entre janvier 2012 et juillet 2012, à l’entraîneur Alexey Melnikov, qui servira d’intermédiaire avec les sportifs.
Au cours de leurs entretiens, les enquêteurs engagés par l’AMA ont découvert un nouveau cas, jamais médiatisé, non russe. La championne olympique du 1 500 mètres à Londres, la Turque Asli Alptekin, aurait également été la victime d’un chantage orchestré par la famille Diack. Les deux fils de l’ancien patron de la Fédération internationale d’athlétisme lui auraient demandé 500 000 dollars en novembre 2012. Refusant le chantage, l’athlète a finalement écopé de huit ans de suspension pour dopage en juillet 2015, abandonnant pour l’occasion sa médaille d’or olympique de 2012.
La “famille Diack”
L’argent de la corruption, transitant d’officiels installés à Monaco ou à Moscou, ira jusqu’à Singapour, où une entreprise nommée Black Tidings servira de société-écran pour les transferts d’argent. Cette compagnie appartiendrait à un associé de Papa Massata Diack et aurait servi à rembourser la marathonienne Liliya Shobukhova, qui menaçait soudainement de tout dévoiler.
Lamine Diack, le puissant patron sénégalais de la fédération, sera alerté à de multiples reprises. Car, selon les premiers éléments du rapport provisoire, si les dirigeants seraient corrompus, les employés auraient fait leur travail en alertant leur hiérarchie. Ainsi, pour les enquêteurs indépendants de l’AMA, la conclusion est limpide. Compte tenu des signaux et du fait que deux de ses conseillers les plus proches, dont son propre fils, sont soupçonnés d’être à la tête du réseau de corruption, le dirigeant sénégalais pouvait difficilement ne pas savoir.
En 2011, déjà, alors qu’il était accusé de conflits d’intérêts par le Comité international olympique (CIO), après avoir reçu de l’argent de droits télé pour rénover sa maison, l’ancien maire de Dakar avait déclaré “avoir ri” au procès quand il avait appris l’ouverture d’une enquête contre lui. À 82 ans, Lamine Diack, le “Sepp Blatter africain”, a finalement été rattrapé par la justice et un certain juge Van Ruymbeke, peu connu pour badiner avec la corruption.
Par Federico Franchini
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