Les dirigeants européens, qui prônent la mise en place de centres de rétention en Afrique pour les fils du continent privés de droit d’asile, doivent se raviser. Le président en exercice de la Cedeao, Macky Sall, n’est pas enchanté par une telle volonté. Il parle d’«examen sérieux» de «cette question sensible» et brandit la politique de libre-circulation des personnes et des biens de la Cedeao mise en place depuis 1979.
Le chef de l’Etat sénégalais, président en exercice de la Cedeao, et ses homologues européens n’émettent pas sur la même longueur d’ondes à propos d’un retour rapide chez eux des Africains déboutés du droit d’asile. A l’ouverture du sommet sur les migrations à Malte, le chef de l’Etat sénégalais a évoqué «l’éventualité de création de centres de rétention dans des pays africains». A ce propos, le Président Sall a brandi la politique de libre-circulation des personnes et des biens. Et son propos s’est voulu clair : «Depuis 1979, la Cedeao pratique une politique migratoire fondée sur la libre- circulation des personnes et des biens dans l’espace communautaire.» En d’autres termes, cela signifie que la Cedeao ne peut pas instituer une politique de mobilité libre de ses citoyens et militer pour la mise en place dans son espace de centres de rétention. Aux responsables européens intelligents de décoder le propos du chef de l’Etat sénégalais.
Une «question sensible» à examiner «sérieusement»
Poursuivant sur cet aspect de son speech, Macky Sall déclare : «Nous sommes d’avis que cette question sensible doit être sérieusement examinée à la lumière des règles qui gouvernent la migration dans nos espaces communautaires. Parce que nous vivons en communauté, la migration inter régionale obéit au principe de la libre-circulation de nos concitoyens dans nos espaces communautaires. Autrement, nous aurons failli à nos propres obligations en la matière.» Constatant la complexité du traitement de la question migratoire, le Président Macky Sall est d’avis que «seule une approche globale et durable, sereine et concertée (les) aidera à résoudre ensemble une question aussi complexe». D’autant qu’aux yeux du chef de l’Etat sénégalais, «la particularité des relations entre l’Europe et l’Afrique (les) y oblige. Car entre l’Europe et l’Afrique, il y a l’histoire et sa charge émotionnelle (…) ; tous ces sacrifices communs consentis deux fois en l’espace d’une génération pour mettre fin à la guerre (…) ; cette coopération intense qui nous lie dans presque tous les domaines de l’activité humaine(…) ; cette proximité tirée du brassage biologique et des affinités linguistiques(…) ; enfin, ce voisinage géographique qui nous relie, puisque moins de 20 km seulement séparent nos deux continents». Tout un «héritage commun» qui fait «que l’Europe et l’Afrique ne peuvent pas s’ignorer».
Droit d’asile : «Accueillir et traiter humainement» les candidats malheureux
Le Président sénégalais n’a pas manqué de s’ériger en avocat des candidats malheureux au droit d’asile. Puisque, d’après Macky Sall, «quand des hommes et des femmes de tous âges et de toutes conditions fuient les horreurs de la guerre, notre humanité commune commande de les accueillir et de les traiter humainement. Dans le même esprit, quand des hommes et des femmes de tous âges et de toutes conditions périssent en Méditerranée, notre même humanité commune commande de tout faire pour sauver leur vie, quel que soit leur statut migratoire». Ce qui ne l’empêche pas de croire que pour «sauver des vies», il faut «poursuivre fermement la lutte contre les réseaux criminels de l’émigration clandestine, y compris par les moyens renforcés qu’autorise la résolution 2240 du 9 octobre 2015 du Conseil de Sécurité». D’où son appel à une stabilisation de la situation des pays de transit. Cette situation constituant, de l’avis de Macky Sall, «un terreau fertile aux réseaux de l’émigration clandestine».
Appelant ses pairs à agir ensemble «pour une migration maîtrisée et apaisée, qui facilite la cohabitation et les échanges», Macky Sall prône le refus de la stigmatisation et de la politique des barricades et du repli sur soi, convaincu que «la voie de l’avenir, c’est celle de la collaboration et du partenariat».
Pour une augmentation du fonds fiduciaire de l’Ue
Par ailleurs, le président en exercice de la Cedeao a annoncé que la politique de libre-circulation des biens et des personnes de son organisation «sera enrichie prochainement par l’émission d’une carte d’identité biométrique communautaire». Il a dit la disponibilité des pays membres de la Cedeao «à examiner avec tous nos partenaires, les voies et moyens d’investir ensemble dans des projets communautaires articulés aux priorités des pays bénéficiaires». Des projets «qui stimulent les échanges, favorisent une prospérité partagée, et finalement, concourent à une meilleure maîtrise du flux migratoire». A ce propos d’ailleurs, le chef de l’Etat sénégalais indique que la Cedeao «a pris bonne note de la création par l’Union Européenne d’un Fonds fiduciaire d’un milliard huit cents millions Euros sur la migration». Il dira le souhait de ses pairs de la Cedeao de voir les conditions d’accès au Fonds être plus inclusives et et le montant de celui-ci relevé. Et Macky Sall de soutenir encore que la Cedeao plaide pour «plus de flexibilité dans la gouvernance du Fonds, notamment pour la définition des règles d’admission au Conseil d’administration et la mobilisation diligente des ressources».
Le Quotidien