Longtemps considérée comme une simple utopie, l’idée de maison verte a fait son chemin dans le monde grâce à la folie de certains militants de la cause écologique. En France, en Allemagne, au Canada et dans certains pays africains, ils ne sont pas nombreux ceux qui se lancent à la conception de maison, d’hôtels, d’édifices à énergie dite verte. Mais ils commencent à faire des émules. Au Sénégal, pour ne pas être en reste, les architectes ont décidé de s’impliquer à ce nouveau débat. Dans cet entretien, Mbacké Niang, Mamadou Jean Charles Tall et Daouda Sène, tous trois architectes donnent chacun sa version de la future maison verte à la sénégalaise.
1- La maison verte sénégalaise, illusions ou réalités ?
Mbacké Niang : La maison verte s’inscrit dans une structure spatiale globale et hiérarchique, qui part de la ville, de l’arrondissement, du quartier, de l’unité de voisinage, de la maison et des chambres centrées sur la cour qui socialise, et non en face de la rue qui divise.
Mamadou Jean Charles Tall : Même si la notion de « maison verte » est exprimée suivant un vocabulaire et une approche qui semble nouveaux, la démarche de prise en compte des réalités climatiques locales st une démarche logique de tous les producteurs de bâtiment dans toutes les cultures traditionnelles. De ce point de vue, il s’agit simplement d’utiliser les potentialités réelles qui existent au Sénégal, pour nous adapter à des besoins nouveaux en architecture. Des projets très concrets existent actuellement de bâtiments à énergie positive ou de « maisons vertes ».
Daouda Sène : Après s’être émerveillé, dans les années 60, de l’architecture modulaire, transparente, climatisée, en Europe et depuis une décennie, en Afrique, l’on se met, aujourd’hui à rêver à une architecture dite solaire, écologique et pourquoi pas « verte »et dans la foulée, on se surprend à redécouvrir les qualités de l’architecture traditionnelles ; Celle-là qui implique l’espace enveloppé, contenant et dissimulant nos contreventements sociologiques. La maison verte est pour moi, l’un des modules de ce que j’appelle « un village urbain » : une belle synthèse de notre présent et de notre futur, dans une dynamique durable et conviviale. Osons rebrousser chemin, est la maison verte sera à nous.
« Le volontarisme des architectes ne suffit pas malgré leurs efforts… » (MBacké NIANG)
2- Peut-on avoir une idée du matériau principal qui servirait à la construire, si cela peut exister ?
MN : La position de la maison dans une parcelle est unique, comme nos empreintes digitales, ainsi sa construction optimise les matériaux et techniques en économisant les ressources et énergies disponibles suivant sa conception, sa réalisation et son entretien.
MJCT : Il ne s’agit pas seulement d’une question matérielle mais surtout d’une démarche conceptuelle. Une fois que l’on a compris les principes à mettre en œuvre, il existe des dizaines de matériaux adaptés. Dans notre pays, il est probable que les structures pourront tirer profit de matériaux comme la terre ou la pierre à construction suivant les zones dans lesquelles on construit. Mais il est également possible d’envisager l’utilisation de matières végétales pour améliorer l’isolation (typha, par exemple).
DS : En effet, aujourd’hui, plus de la moitié, de la population de notre continent, habite dans des maisons en terre (terre cuite-séchée-améliorée ou stabilisée) d’où, il est aisé de dire qu’il y’a une symbiose entre le milieu naturel, la technique et la mentalité. C’est dire que la filière « Terre », renforcée avec nos sous-produits agricoles (fibres végétales, pailles d’arachide, balles de riz, feuilles de bananes etc.)_sous-produits industriels (plâtre, sciure de bois-déchets de charbonnage, cendre etc.) est à mesure de nous procurer un habitat sain et écologiquement fiable.
« Les architectes ivoiriens viennent d’organiser un concours sur la maison bio-climatique » (Mamadou Jean Charles TALL)
3- Les architectes africains en général et sénégalais en particulier sont-ils prêts à ce défi ? Y a-t-il un travail sur la question ?
MN : Les concepteurs ne sont pas les maîtres du jeu, mais ils ont des responsabilités et pas seuls à bord, mais il revient aux citoyens d’avoir des exigences vis-à-vis des gouvernants, des promoteurs et des industriels ; le volontarisme des architectes ne suffit pas malgré leurs efforts de réflexion et de proposition résultants de leurs recherches.
MJCT : Les architectes sénégalais et africains apportent leur contribution à ce travail et ils sont déjà très engagés. Les architectes ivoiriens viennent d’organiser un concours sur la maison bio-climatique. Des formations existent au Collège d’architecture de Dakar, à l’EAMAU de Lomé, sur ces problématiques. Il y a une erreur qui est commise actuellement, de considérer que ce problème est d’abord un problème de thermiciens spécialisés alors que les architectes sont à la base de la conception. Il faut donc que les autorités et les populations soient intéressées au travail conceptuel fait par les architectes.
DS : Oui, je suis tenté de dire que c’est même un devoir pour tout architecte de contribuer à la revalorisation de notre savoir faire, car la technique est l’apanage de tous les peuples, en tout cas, elle l’a été ; car chaque peuple a su construire à sa manière, avec les moyens que la nature a mis à sa disposition ; nous devons nous faire confiance, malgré le manque criard de moyens de recherche ; la tâche ne sera pas facile, car il nous faudra convaincre, prouver, comme pour bousculer des obstacles, des habitudes tissées par l’histoire. Ainsi, la réhabilitation de notre « culture d’habiter » est entre nos mains, mais également entre celles des autorités compétentes.
« Définissons notre architecture, en tant que chose et contribuons à sa compréhension… » (Daouda SENE)
4- Edifices publics, logements modernes des grandes villes, la case ; l’héritage colonial en matière d’architecture et d’ingénierie urbaine semble avoir été catastrophique au fur et à mesure qu’on « l’affinait » avec nos nouveaux tours ? Chercher l’erreur ?
MN : La rupture de l’habitat traditionnel, de l’habitat colonial et l’habitat moderne nous donne une formidable opportunité d’innovation pour une nouvelle morphologie urbaine et rurale, une nouvelle typologie architecturale, et de nouveaux modes constructifs (matériaux et techniques).
MJCT : Pas d’accord -en tout cas en ce qui concerne les problèmes thermiques dans la construction. Il y a de formidables leçons à tirer de l’architecture traditionnelle et de l’architecture coloniale (qui elle-même s’est beaucoup inspirée de l’architecture traditionnelle) pour améliorer de manière naturelle le confort thermique dans le bâtiment et le caractère écologique de nos constructions, y compris dans la production et la consommation d’énergie).
DS : Là, mon jeune confrère J .CH. Tall, m’a marché sur la langue ; j’abonde dans le même sens que lui. Jetons un coup d’œil sur l’architecture coloniale ; elle parle d’elle-même ; ses vérandas périphériques ; ses hauts plafonds (où l’air chaud est balayé par la présence des impostes) ; cette ventilation transversale actionnée par les ouvertures diamétralement opposées etc. ; Donc, définissons notre architecture, en tant que chose et contribuons à sa compréhension, en tant que phénomène sociologique.
5- Quel est le prototype qui pourrait servir d’inspiration pour faire la future maison verte ?
MN : Un nouveau mode de vie est en émergence avec les enjeux du Développement Durable partout à travers le monde ; et pour des établissements humains durables en Afrique, nous devons réussir la synergie de l’habitat bioclimatique, de l’efficacité énergétique et thermique des bâtiments et des énergies renouvelables.
MJCT : Il ne faut pas simplement parler de « maison » verte. Cela limiterait le champ d’application à l’habitation. Tous les types de projets (habitation, écoles, santé etc…) pourraient parfaitement servir. Pour cela, il faut que la volonté politique rencontre la volonté des techniciens. On ne pourra faire cette jonction qu’en réhabilitant les concours d’architecture sur les équipements publics et les habitations.
DS : En fait, les champs d’application sont assez nombreux, et, pour moi, le plus approprié est celui de notre cadre de vie, c’est-à-dire notre espace social qui traduit et régule nos relations, dans leur coexistence et leur simultanéité.
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