L’économie de demain sera celle des énergies non polluantes, si l’Homme ne veut pas être anéanti par les changements climatiques. Le Sénégal, porte-parole de l’Afrique à la COP 21, entend amorcer le virage dès maintenant afin de se retrouver en 2017 avec 30% d’énergies renouvelables par rapport à sa puissance installée. Mais il faut reconnaître qu’il a pour le moment les pieds dans les gisements fossiles, avec moins de 1% des énergies alternatives. Le solaire semble se présenter comme une bouée de sauvetage. Mais attention aux mauvaises surprises, car les contraintes sont aussi importantes que les opportunités.
Le Sénégal a pris une part active à la 21ème édition de la Conférence des parties pour le changement climatique (COP21). Non seulement il a envoyé une forte délégation, mais en plus, c’est le président de la République Macky Sall qui a été le porte-parole de l’Afrique. Un continent composé majoritairement de pays pauvres frappés de plein fouet par le dérèglement climatique. Le chef de l’Etat est allé dire aux riches de limiter les énergies qui polluent l’environnement, tout en aidant le continent à trouver des solutions de résilience.
Cependant, l’Afrique n’y est pas allée uniquement pour que les Occidentaux limitent leurs émissions de gaz, elle veut aussi embrasser le développement, tout en évitant les options aux conséquences préjudiciables à l’équilibre de la nature. Si elle participe aujourd’hui entre 3 et 4% des émissions, il n’en demeure pas moins qu’elle est présentée comme l’avenir de l’économie mondiale et est donc appelée à embrasser l’industrialisation. Le choix des énergies est donc crucial, dès maintenant. C’est ainsi que l’Afrique demande aux nations industrialisées de contribuer au financement de la production d’énergies renouvelables.
Le Sénégal étant la voix de l’Afrique, il y a lieu de se demander ce que ce pays fait pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Autrement dit, quelles sont les initiatives en matière d’énergies non polluantes ? Si le discours semble ambitieux, et peut-être même généreux, il faut reconnaître que le pays est encore dans le bourbier des ressources fossiles. A l’heure actuelle, le taux de pénétration des énergies alternatives est de moins de 1% de la production nationale, exactement 0,6%, si l’on en croit le directeur général de l’Agence nationale des énergies renouvelables (ANER), Djiby Ndiaye. A son arrivée à la magistrature suprême en 2012, le Président Macky Sall s’était fixé comme objectif de porter ce taux à 20% de la puissance électrique installée en 2017. Récemment à la COP 21, le chef de l’Etat a affirmé qu’il a décidé de passer à 30%, toujours pour 2017.
Et pour cela, il compte sur plusieurs initiatives parmi lesquelles les deux les plus importantes sont sans doute le parc d’énergie éolien de Taïba Ndiaye pour 150 Mw et celui solaire pour 200 Mw. Si l’on en croit Dr Gora Niang, conseiller du DG de l’ANER, l’éolien connaît une avancée satisfaisante. Les travaux vont même démarrer en 2016. Un optimisme partagé par son directeur. Pour le solaire par contre, les choses n’évoluent pas comme on si attendait. Pour le moment, il n’y a que 4 projets de 20 Mw chacun qui avancent correctement. Soit 80 Mw sur les 200 fixés. Pour les autres par contre, on ne peut plus trop se fier aux partenaires. M. Ndiaye l’admet et annonce des mesures. ‘’Nous en sommes conscients et nous préparons un appel d’offres pour 100 Mw pour 2016’’, rassure-t-il. A ces deux-là, on peut ajouter un autre projet solaire de 150 à 200 Mw. C’est du moins ce que le président Macky Sall a révélé à Paris. Il a déclaré être en contact avec l’Allemagne et la Banque mondiale. En effet, avec la réduction des coûts du solaire, depuis deux ans, le successeur de Me Wade pense qu’avec l’accompagnement des partenaires, on peut même basculer totalement dans la photovoltaïque, avec des prix très compétitifs.
Un revirement de Macky à 190°
Pourtant, en partant à la COP 21, le Sénégal n’était pas forcément en position de brillant élève en matière d’énergies renouvelables. Car, au-delà de ces moins de 1%, il avait aussi des programmes de production d’énergie avec des centrales à charbon, le combustible le plus pollueur. 4 centrales à charbon de 225 à 350 Mw étaient à l’étude. Elles ont même connu d’énormes retards (elles ont été initiées en 2011), sinon certaines auraient dû être réalisées il y a longtemps. Celle de Sindou est la seule à être très avancée, avec notamment beaucoup de difficultés et un temps d’arrêt assez long. Le pays a été critiqué pour cette option, mais les autorités ont estimé que le jeu en valait la chandelle, puisque bien que polluant, le charbon coûte moins cher que le pétrole. En guise d’exemple, le charbon permet au Sénégal de produire le Kwh à 60 F, alors qu’il est de 125 F en 2015 contre 140 en 2012. Une évolution positive à mettre sur le compte de la forte baisse du prix du baril de pétrole.
Avec cet avantage comparatif en termes de coût, le Sénégal entend, du moins jusqu’à récemment, poursuivre son ambition de se doter de 4 centrales à charbon, malgré les critiques. Les responsables en charge de l’électricité rouspètent même souvent, en se demandant ce que représentent 4 petites unités au charbon, comparées aux nombreuses installations nucléaires en France ou en Chine. On croyait donc les autorités fermes sur leurs positions. D’après un interlocuteur, Macky Sall se disait prêt à conduire la politique à son terme. Mais force est de reconnaître qu’on n’est pas loin d’un revirement à 190°. En effet, lors de l’ouverture de la COP 21, Macky Sall, interrogé par RFI, s’est montré non seulement moins catégorique, mais il semble même avoir changé de point de vue. D’après lui, c’est parce qu’il n’y avait pas de visibilité sur le solaire et que les projets sous-régionaux de barrages hydro-électriques n’évoluaient pas que le Sénégal avait décidé de miser sur le charbon. Mais maintenant que le solaire offre beaucoup d’opportunités, il entend oublier ce combustible pour ‘’faire le saut vers le soleil’’. ‘’Je pense que, surtout qu’ils n’ont pas encore démarré, nous pouvons être amenés à réviser ces programmes (à charbon). C’est pourquoi il nous faut des financements à l’énergie (renouvelable)’’, confie-t-il.
Cependant, le solaire à grande échelle ne manque pas de causer des soucis. Car avec cette technologie, il n’y a pas encore possibilité de stocker la production, révèle M. Ndiaye. Or, au Sénégal, la pointe en matière de consommation d’électricité, c’est la nuit. Un moment où le soleil a disparu dans le firmament, rendant la production impossible. Il se pose donc un problème de correspondance entre l’heure de la production qui est le jour et le moment de la forte consommation qui se trouve être la nuit. C’est pour cette raison d’ailleurs que le directeur de l’ANER préfère les initiatives privées. Car, avec les micro-installations, il existe une batterie qui permet de stocker la production du jour pour l’usage de la nuit. ‘’Nous comptons sensibiliser la population et le privé à installer leur propre équipement pour réduire la facture et être autonomes vis-à-vis de la SENELEC’’, déclare-t-il.
Qualité des équipements solaires
Mais là aussi, il y a de sérieuses contraintes qui pèsent sur le matériel. En effet, une grande partie du matériel solaire est de mauvaise qualité. Le Sénégal dispose de normes avec des spécifications techniques précises, mais il ne s’est pas doté de règlementation. Ce qui signifie que les importateurs ne sont pas obligés de se conformer aux normes. Présentement, les autorités sont à une étape d’hésitation. Faut-il bloquer les équipements non normés pour se retrouver uniquement avec des vendeurs agréés ? Ou bien faut-il laisser ceux qui n’ont pas de certificat importer pour ensuite tester le produit à l’entrée ? Aucune décision n’est prise pour le moment. Le pays dispose d’un Centre d’études et de recherche sur les énergies renouvelables (CERER) doté d’un labo, mais encore faudrait-il avoir un cadre législatif pour que son travail soit efficace.
En attendant que les gouvernants se décident, le solaire commence à renvoyer une mauvaise image au grand public. Les distributeurs eux-mêmes reconnaissent le problème de qualité et d’image. Cela ne veut pas dire pour autant que du matériel de qualité n’existe pas. Mais c’est un problème de moyens et de mentalité. Les Sénégalais préfèrent les articles à bas prix. Seulement, très souvent la garantie ne suit pas. Nos interlocuteurs aimeraient donc bien voir les décideurs agir à ce niveau. Détaxer par exemple les équipements de production d’énergies renouvelables pour les rendre accessibles. Mais également trouver des mécanismes de financement qui permettraient d’avoir une caution pour ensuite payer par tranche. De plus, Gora Niang se demande si les conditions de fabrication des équipements sont nécessairement les mêmes que les conditions d’utilisation. D’où la nécessité d’avoir de la technologie adaptée aux conditions climatiques dans le Sahel.
La question de l’adéquation entre l’infrastructure et le matériel
Il est à noter cependant que même si un pas décisif est franchi avec un matériel de qualité, le problème ne serait pas pour autant résolu. En fait, pour chaque infrastructure solaire, il faut connaître les matériels qui vont ensemble. Il ne suffit pas de se lever un bon jour pour aller acheter. ‘’Les gens vont dans une quincaillerie à Sandaga. Le vendeur vous dit, prenez cette plaque, associez-la avec cette batterie, ça va marcher. Le commerçant lui-même ne sait pas qu’on ne peut pas associer le matériel n’importe comment’’, regrette le directeur. Il faut donc non seulement connaître les outils qui vont ensemble, mais aussi le bon dimensionnement, c’est-à-dire savoir choisir l’équipement adapté en fonction du nombre d’appareils utilisés par le ménage. Car, même en matière de câble, celui utilisé pour le courant électrique de la SENELEC n’est pas le même pour le solaire, indique-t-on.
Ainsi, seul un technicien bien formé peut faire ce travail. Il faut aussi que cette personne qualifiée intervienne à l’installation. Sinon, si le poseur n’est pas un professionnel, le défaut peut intervenir à ce niveau. Ne sachant pas l’origine du problème, les usagers l’imputent généralement au matériel qui pourtant pourrait être de bonne qualité. Tous ces paramètres contribuent à donner une mauvaise image du matériel solaire, et peut donc être rédhibitoire pour les usagers. Ce qui, à la longue, peut remettre en cause toute une politique de promotion des énergies solaires. Mêmes si les autorités ne semblent pas prendre la pleine mesure de ces obstacles (si l’on en juge par les hésitations), elles essaient tout de même d’anticiper. L’ANER annonce la formation de techniciens pour réussir l’installation du matériel.
Il faut ajouter à tout cela le défi de l’entretien et de la maintenance, même si le DG de ANER affiche un certain optimiste sur ce volet. C’est dire donc que le soleil offre certes une opportunité, mais il y a lieu de faire attention aux conséquences électriques sur l’économie et le social.
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