Au moment où le président américain Barack Obama réunit à Washington en un forum qui se tient du 3 au 5 août plus de 120 jeunes leaders de la société civile et du secteur privé des pays africains, en vue de marquer le cinquantenaire de l’indépendance de dix-sept pays au sud du Sahara, il est intéressant de s’interroger sur les motivations et les objectifs que poursuit Washington dans cette partie du monde.
Absents de la conquête coloniale de l’Afrique et eux-mêmes ancienne colonie britannique, les Etats-Unis d’Amérique ont commencé à s’intéresser à l’Afrique au sud du Sahara dès le lendemain des indépendances, en 1961. Il est connu qu’un grand nombre de chefs d’Etat du Nouveau Monde n’ont aucune connaissance des affaires du reste du monde, et certains candidats à la présidentielle américaine ignorent même jusqu’à la géographie de notre planète, dans ses traits généraux. Mais c’est dès son avènement que le tout jeune président John F. Kennedy manifeste un intérêt pour le continent africain que du reste seul l’Océan atlantique sépare de son pays. L’intérêt est alors stratégique : le monde est en pleine Guerre froide est il est risqué sinon dangereux pour Washington d’ignorer ces pays qui accèdent à l’indépendance au moment même où il arrive aux affaires, car ces pays pourraient tomber dans l’escarcelle du rival soviétique. Cet intérêt se manifeste concrètement par l’ouverture d’ambassades dans les pays africains, dès 1961, ce qui n’était prévu ni dans le programme ni dans le budget du Département d’Etat américain. Il s’y ajoute la création du Corps américain de la Paix, ce programme de jeunes volontaires, bien connus de nos pays où ils sont envoyés pour soutenir les populations dans des secteurs aussi sensibles et vitaux que l’alphabétisation dans les langues locales, la lutte contre la désertification, la lutte contre les maladies infectieuses, etc. Bon nombre de ces volontaires qui connaissent bien les réalités que vivent nos populations parmi les plus vulnérables, sont d’ailleurs revenus sur le continent, pour servir leur pays, en tant qu’ambassadeurs. C’est au même moment qu’est créée en plus l’USAID, tout aussi connue, pour « l’aide du peuple américain » à destination des pays pauvres…
Cinquante années après les indépendances, au moment où l’ancienne puissance coloniale d’un grand nombre de ces pays, en l’occurrence la France, perd de plus en plus de terrain pour plusieurs raisons (la présence croissante des pays émergents d’Asie notamment la Chine et l’Inde, l’arrivée à la majorité d’âge d’une génération postindépendance qui n’a aucune sympathie pour l’ancienne puissance coloniale, les pratiques peu orthodoxes de l’ancienne puissance coloniale vis-à-vis de certains pays souvent en vue de défendre ses intérêts au mépris des aspirations des peuples à plus de démocratie, etc.),les Etats-Unis sont appelés à renforcer leur présence en Afrique au sud du Sahara, en vue de préserver leurs intérêts stratégiques de sécurité dans la lutte contre le terrorisme, et de diversification de leurs sources d’approvisionnement en pétrole, étant donné que la fourniture par les alliés traditionnels du Moyen-Orient est devenue plus problématique. L’intérêt américain est dans une diversification des fournisseurs en pétrole, pour plusieurs raisons : Avec les Etats africains, Washington entretient des rapports plus apaisés qu’avec les pays fournisseurs au Moyen-Orient, en particulier l’Iran. Avec le Venezuela aussi, qui vend 40% de son pétrole aux Etats-Unis, les rapports ne sont pas simples. L’antiaméricanisme de Hugo Chavez frise le non-sens quand on sait que la Maison Blanche a changé de locataire en Novembre 2008 (…) ; que la fourniture de pétrole aux Etats-Unis contribue pour 15% au PIB vénézuélien ; enfin, l’armée américaine a 800 (huit cents) fois plus de capacités que l’armée vénézuélienne…
Or, dans le cœur des jeunes africains, les Etats-Unis font encore rêver alors que, ainsi que le soulignent nombre de responsables politiques à Washington, l’argent du pétrole versé aux fournisseurs traditionnels au premier rang desquels il y a l’Arabie saoudite, a servi à alimenter des réseaux terroristes contre les Etats-Unis. En plus, ainsi que nous l’indiquent les experts en la matière, au cours des dernières années, l’essentiel des découvertes en pétrole dans le monde s’est effectué en particulier en Afrique au sud du Sahara. C’est pourquoi les Etats-Unis aspirent à faire évoluer leur approvisionnement en pétrole à partir du continent africain jusqu’à hauteur de 25% dès 2025. Ce qui explique pourquoi les multinationales américaines sont non seulement attentives aux pays qui détiennent un potentiel en la matière (la Guinée équatoriale avec une énorme manne pétrolière, le Tchad, la Mauritanie…), mais cela explique aussi pourquoi Washington est soucieux de la sécurisation des zones de production, en particulier le Delta du Niger si stratégique mais si exposé aux violences des pirates qui sabotent les installations au Nigeria, du fait qu’ils s’estiment être les laissés-pour-compte d’une manne dont ils ne voient pas les retombées sur leur vie quotidienne.
Sur le plan sécuritaire, le continent africain n’est pas épargné des attaques terroristes antiaméricains, ainsi que l’ont montré les attentats contre les ambassades américaines de Nairobi et Dar es Salam en 1998 perpétrés par un certain Al-Qaeda, une organisation jusqu’alors inconnue. Aussi, ainsi que le montrent les prises en otage d’étrangers et l’activisme d’Al-Qaeda au Maghreb et dans le Sahel, nos pays aux frontières poreuses et aux moyens de surveillance limités sont exposés et vulnérables face aux réseaux terroristes, ce qui fait qu’ils pourraient devenir un sanctuaire pour des terroristes chassés d’Irak et d’Afghanistan… C’est bien pourquoi un certain nombre de pays du Golfe de Guinée mais aussi de la Corne de l’Afrique sont dans le collimateur de Washington. Les manœuvres militaires conjointes entre les Etats-Unis et les pays concernés sont devenue une pratique régulière. Et pour renforcer sa vigilance par une présence durable, Washington cherche aussi à implanter son commandement militaire pour l’Afrique AFRICOM, qu’il faudrait attendre dans l’une ou l’autre de ces deux régions très stratégiques, par leur ouverture sur les océans atlantique et indien. A ce sujet, il ne serait pas surprenant que, dans le moyen ou le long terme, certains pays bénéficiaires d’une certaine manne financière soient sollicités…
Dans la poursuite de ses objectifs de sécurité contre les réseaux terroristes, et d’approvisionnement en pétrole et en ressources minières indispensables pour les industries de pointe à haute valeur ajoutée et les industries de l’armement, l’intérêt de Washington est dans la stabilité des pays. C’est en vue de renforcer les Etats contre les risques d’instabilité que Washington a mis en place le MCA. En octroyant aux pays bénéficiaires les moyens de faire face aux besoins d’infrastructures (agricoles, routières, portuaires, etc.) indispensables pour le développement, Washington contribue sans doute à installer les bases de la cohésion sociale et de la stabilité des pays. Naturellement, il s’agit d’une « aide liée », c’est-à-dire associée à des conditions, notamment de transparence et de bonne gestion, ce qui du reste est logique et légitime, pour être efficace. Nombre de pays bénéficiaires présentent des atouts géostratégiques certains qui contribuent à la sauvegarde des intérêts américains de sécurité et d’approvisionnement. Ainsi par exemple du Sénégal, non seulement porte océane de l’Afrique occidentale, mais îlot de stabilité dans une sous-région encore marquée par les conflits antérieurs (au Libéria, en Sierra-Leone), les risques d’instabilité en Côte-d’Ivoire où les élections se font toujours attendre, les flambées de violence religieuse extrêmement meurtrière au Nigeria, et plus proche de nous, la violence en Guinée-Bissau où les assassinats politiques postélectoraux sont monnaie courante, et l’instabilité que le voisin mauritanien a connu. Il ne fait pas de doute que c’est l’intérêt dans la stabilité d’un pays comme la Mauritanie, vaste, désertique, ouvert et exposé qui a amené Washington à apporter alors sa bénédiction au dialogue politique qui s’est tenu à Dakar et qui a permis l’organisation d’élections et le retour à l’ordre constitutionnel et à la paix civile dans ce pays. Il ne fait pas de doute non plus que c’est l’intérêt dans la stabilité du Sénégal qui a amené Washington à s’investir dans la préparation des élections de 2012 pour, avec l’Union européenne, contribuer à garantir les conditions d’un scrutin transparent, juste et démocratique indispensable pour préserver la stabilité, surtout quand on sait que les conflits qui déchirent le continent sont souvent nés des élections…
Malgré l’intérêt manifeste des Etats-Unis pour la stabilité de régions géographiques très stratégiques, hautement sensibles mais exposés et vulnérables, il ne faut pas se leurrer, car comme le dit l’adage ‘on ne peut pas vouloir le bonheur des gens malgré eux’, ce qui signifie que la cohésion sociale et les conditions d’une stabilité durable sont d’abord du ressort et de la responsabilité des Etats africains. Aussi, l’aide au développement si généreuse et désintéressée soit-elle, n’a jamais pu aider un pays à se développer. Le développement, il viendra de nos énergies et de nos ardeurs, et uniquement de là. Ah ! Si ! J’oubliais, il vient avant tout de la volonté politique de nos chefs d’Etat, de ne rien faire qui puisse influencer le jeu politique dans le sens de leurs intérêts propres partisans et familiaux, quelques fois au mépris même de la stabilité durable de nos jeunes Etats et de nos sociétés si fragiles, en pleine construction, rien que cinquante années après la domination coloniale…
Très curieux que ce soi-disant « professeur » ne se demande par aussi que cherche la Chine en Afrique ? ou que cherche la Turquie en Afrique ? ou que cherche le Japon en Afrique ? ou que cherche la Russie en Afrique ? Qui parlait du « mal » de l’intellectuel africain…