A l’occasion de la cérémonie de rentrée solennelle des cours et tribunaux, le premier président de la cour suprême a dénoncé la violence exercée sur les juges et la justice. Monsieur Camara a même parlé d’armes de destruction massive. Ce qui est peut être tout à fait vrai. Mais !
Il faut quand même le dire et très clairement, nous sommes surpris, très surpris même des propos de Monsieur Camara, même s’il est vrai que nous ne nous faisons plus aucune illusion. Les plus hauts magistrats de ce pays semblent décider de laisser monsieur le président de la république aller droit au mur sur beaucoup de dossiers ; des dossiers assez laborieux, pour dire le moins. Et ils semblent ignorer les soucis des citoyens que nous sommes. On serait plus à l’aise si Monsieur Camara tout en dénonçant la violence exercée sur la justice avait aussi dénoncé celle qu’exercent l’exécutif et la justice sur de paisibles citoyens.
En effet, quand au Sénégal, au 21e siècle, on réactive une cour d’exception et applique des lois scélérates à une « catégorie » de citoyens et que les plus hauts magistrats ferment les yeux, nous avons tous bien raison de désespérer de cette justice.
Le problème, disons le encore, très clairement, ce ne sont pas ces nombreux dignes magistrats qui rendent la justice dans les juridictions ordinaires de ce pays et qui font la fierté de tout un peuple. Le problème aujourd’hui, ce sont nos hauts magistrats, qui semblent manquer de finesses et de courages et semblent assister l’exécutif dans son entreprise d’instrumentalisation de la justice.
Monsieur Camara, quand l’exécutif interdit à des sénégalais de sortir du territoire national, alors que la justice est la gardienne des libertés, ne sommes-nous pas en face d’une utilisation d’une arme de destruction massive ? Où alors ces sénégalais là sont-ils des quantités humaines négligeables ?
Monsieur Camara, quand d’honorables magistrats de la chambre criminelle avaient rendu une décision favorable à Monsieur Karim Wade, un journaliste, Madiambale Diagne avait prit sa plume pour trainer dans la boue ses dignes magistrats, et le ministre de la justice pour toute réponse avait attaqué leur arrêt aulieu de les défendre, alors n’étions-nous pas en face d’une utilisation d’arme de destruction massive ? Ou alors ces magistrats là sont-ils des quantités humaines négligeables ?
Monsieur Camara, quand, à la veille de la saisine de la chambre criminelle par les avocats de Monsieur Karim Wade, on choisit « délibérément » de muter toute la chambre, alors sommes-nous pas en face d’une utilisation d’une arme de destruction massive ?
Monsieur Camara, quand on accélère le traitement d’un dossier judiciaire pour uniquement vider une affaire et essayer de mettre l’exécutif et ses avocats à l’aise devant le groupe de travail des nations unies, alors ne sommes-nous pas en face d’une utilisation d’une arme de destruction massive ?
Monsieur Camara, quand on arrête de jeunes gens, des étudiants notamment, et les met en taule parce que simplement « le prince » le veut ainsi, alors ne sommes-nous pas en face d’une utilisation d’une arme de destruction massive ? Ou bien alors ces jeunes gens là, arbitrairement privés de liberté, sont-ils des quantités humaines négligeables ?
Monsieur Camara, quand on prive à un jeune comme Bara Gaye de liberté, à un avocat comme El Hadj Amadou Sall de liberté, à un jeune Mohamed Massaly de Liberté etc… parce que simplement ils ont osé exercer leurs droits d’opposant et que cela n’a pas plu « au prince », alors ne sommes-nous pas en face « d’une utilisation d’une arme de destruction massive » ? Ou bien alors ces messieurs là sont-ils des quantités humaines négligeables ?
Monsieur Camara, quand on prive à un député de liberté, Monsieur Oumar Sarr, parce que simplement on peut le faire, et que « le prince » le veut ainsi, alors ne sommes-nous pas en face d’une utilisation d’une arme de destruction massive ? Ou bien alors Monsieur Sarr serait-il une quantité humaine négligeable ?
Monsieur Camara, en république, la première institution c’est le citoyen. La dignité des institutions ne valent pas mieux que la dignité du citoyen. Vous êtes nos serviteurs, nos employés. En aucune manière, vous ne saurez être plus dignes que nous…
Alors soyez dignes de vos charges et nous seront fiers de vous !
En aucune manière, la justice ne saurait avoir le droit de jouer – comme elle veut – avec nos dignités, nos libertés. Renforcez donc autant que vous le voudrez les sanctions pénales, arrêtez nous autant que vous le voudrez, mais ce n’est pas de cette manière là que vous obtiendrez notre respect.
J’ai eu, publiquement, à interpeller le juge Papa Oumar Sakho qui disait dans une réflexion scientifique sur la justice et la démocratie que « dans les sociétés africaines, quotidiennement, les juges rencontrent, à l’occasion du règlement des litiges, des questions touchant aux droits de l’homme. Le cas échéant, ils font application du droit interne en faisant référence au droit international, d’où résultent des convergences et des compatibilités dans le processus décisionnel » et il ajoutait « « c’est ainsi que, au temps de l’apartheid, les tribunaux sud-africains ont réussi à modérer les effets des lois incompatibles avec les normes constitutionnelles démocratiques, les traités et les conventions internationales. En s’inspirant des affaires similaires traitées dans d’autres pays, ils ont pu restreindre, avec bonheur, les effets pernicieux de l’application de certaines règles nationales ».
Et Monsieur Sakho donnait l’exemple du Ghana : «dans l’affaire Twum contre AG, la Cour suprême du Ghana a fait appel à divers principes développés et adaptés par des juridictions étrangères, pour éviter de donner l’impression d’une manipulation de la Constitution dans le but d’assouvir des passions politiques ou servir des intérêts égoïstes ».
Mon Dieu, Monsieur Camara nous ne vous demandons pas plus !
Nous sommes des citoyens.
Sadikh DIOP
Citoyen Sénégalais
Administrateur de limedia !