Ancien acteur des Assises nationales et ancien secrétaire permanent du Mouvement du 23 juin, Cheikh Tidiane Dièye est l’un des animateurs de la Plateforme Senegaal bi ñu bëgg récemment créée pour porter un projet politique au pouvoir. Le sociologue entend désormais aller au-delà de la réflexion et du combat citoyen. C’est un citoyen déçu des propositions de réforme proposées par le Président Macky Sall qui, selon lui, reflètent un «manque d’ambition» pour le pays.
Le projet de révision de la Constitution et la question de la réduction du mandat du président de la République alimentent la polémique. Est-ce que la Plateforme Senegaal bi ñu bëgg sent la nécessité de lancer un appel à la mobilisation comme l’avait fait la Société civile en 2011 ?
L’appel sera lancé. Il le sera par le Mouvement du 23 juin. Il s’organise. Même si je ne suis pas membre du groupe restreint, j’en partage les principes et les valeurs. L’appel sera également lancé par d’autres (Ndlr, l’entretien a eu lieu le vendredi 15 janvier 2015). Chemin faisant, je me suis retrouvé dans un cadre auquel je crois. La Plateforme Avenir Senegaal bi ñu bëgg correspond à mon idéal de ce que doit être la politique. Nous avons fait un travail remarquable dans les Assises nationales. La Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) a prolongé ce travail et produit un résultat de recherche, d’une réflexion sur les trajectoires, qui n’a jamais eu lieu depuis l’indépendance. Malgré ce travail, la plupart des conclusions et des recommandations ont été piétinées et trahies. Pourquoi ? Parce que le système contre lequel nous nous étions levés n’a pas été changé. Nous avons juste changé les acteurs. Faut-il même dire que ces acteurs ont été changés ? Ils se sont retrouvés dans un autre qu’ils ont reproduit quasiment à l’identique. Donc, tout ce que les Assises auraient pu permettre de faire n’a pas été fait parce que ceux qui sont au pouvoir gèrent les leviers et veulent maintenir la chape de plomb sur le Peuple et continuer à gérer le pouvoir à leur profit, en érigeant le clientélisme et la corruption en règle de gouvernance.
Finalement, nous nous sommes dit que le plus important est de créer une offre politique parce qu’elle existe. Nous nous sommes rendu compte que dans le microcosme politique actuel, où il y a un passage étroit entre pouvoir et opposition, il y a des Sénégalais tout aussi compétents, vertueux et patriotes qui sont restés volontairement hors de l’espace politique parce que n’approuvant pas la façon de faire de la politique. Nous nous sommes dit que ce qui est devant et qui est mauvais n’est pas un horizon indépassable. Que nous devions nous mobiliser pour créer une offre politique totalement différente qui ne soit pas portée par un homme qui est l’Alpha et l’Omega de son système, mais par un groupe large composé de compétences et de gens vertueux qui veulent changer le pays et s’entendre sur l’essentiel. C’est un peu comme les Assises nationales qui ont porté un projet politique, mais qui n’ont pas l’ambition de porter quelqu’un au pouvoir. Nous irons chercher dans les conclusions des Assises, de la Cnri et avec nos réflexions personnelles dans nos domaines de compétences respectifs pour bâtir un projet qu’on partagera avec de nombreux Sénégalais. Le moment venu, nous choisirons qui d’entre nous qu’on considérera être le champion pour porter ce projet au pouvoir. C’est la raison pour laquelle nous avons créé la Plateforme Senegaal bi ñu bëgg. Nous aurons des candidats à toutes les élections locales et législatives à venir et nous n’avons pas de fixation sur le temps politique.
Est-ce à dire que les quinze mesures proposées par le Président Macky Sall ne répondent pas aux aspirations des «Assisards» ?
Absolument pas ! Les quinze mesures ne correspondent pas à l’aspiration de la plupart des acteurs qui étaient dans les Assises nationales. J’ai dit la plupart parce qu’il y a beaucoup d’acteurs des Assises nationales qui ne réagissent plus par rapport au dysfonctionnement du mode de gouvernance, parce que leur seule ambition était de profiter des Assises nationales pour accéder au pouvoir. Aujourd’hui, ils se rangent derrière le Président dans le cadre d’une coalition qui ne défend pas une gouvernance partagée, mais qui promeut une gouvernance de partage de postes et de privilèges.
Ceux qui devaient attirer l’attention du président de la République sur sa responsabilité éthique et morale pour avoir été signataire de la Charte de gouvernance des Assises nationales, une signature sans réserve, se sont tus ou sont en train de privilégier des rentes et des positions. Le fait que le président de la République ait proposé quinze mesures dont seulement deux ont un intérêt, je ne vais pas dire de refondation, mais qui peut alimenter le débat, ne sert quasiment à rien dans l’effort de consolidation de la démocratie. On attendait de ces acteurs qu’ils soient les premiers à dire quelque chose. Ce n’est pas le cas.
Dans les réformes proposées par le chef de l’Etat, il y a la réduction de son mandat en cours. Qu’en dites-vous ?
Les quinze points proposés par le président de la République n’ont pas une capacité profonde de transformation. Je prends par exemple la question du mandat. Elle n’aurait pas dû faire débat dans un pays normal où l’éthique et les valeurs insuffleraient l’action des dirigeants. Le Président a pris un engagement de façon souveraine et solennelle de réduire son mandat en cours. Il lui appartient de tenir parole parce qu’on n’est pas plus dans l’espace du juridisme. Les constitutionnalistes et les juristes doivent être les derniers à parler dans le cas d’espèce. C’est une question de société et d’éthique. L’éthique est au-dessus du politique et celui-ci est au-dessus du technique. D’ailleurs, je dois le lui reconnaître. Jusqu’ici, le président de la République n’a pas dit qu’il ne tiendrait pas parole. Pour nous, la question sur la réduction du mandat aurait pu être tranchée depuis longtemps.
Quelles sont les réformes transformatrices que vous préconisiez ?
Il y a de nombreuses réformes fondamentales proposées par la Cnri qui n’ont pas été prises en compte. Il les a remplacées par un ensemble de propositions qui n’ont pas un grand intérêt. Je veux citer la question de la Cour constitutionnelle. Elle est un élément structurant dans ce que notre pays a pour résoudre la question de la séparation des pouvoirs. Le diagnostic qui a été fait par la Cnri et les Assises a montré que la séparation des pouvoirs n’est pas effective du fait de la primauté de l’Exécutif sur tous les autres pouvoirs. Les Assises ont dit donc qu’il faut créer une Cour constitutionnelle, que le président de la République ne préside plus le Conseil supérieur de la magistrature, qu’on laisse les magistrats décider de leurs carrières, les soustraire de l’influence de l’Exécutif. Cela leur donnerait énormément de prérogatives pour pouvoir s’équilibrer et gérer convenablement notre système judiciaire et notre démocratie. Le Président l’a passé sous silence. Or, une telle réforme aurait été refondatrice. Il y a aussi la capacité des citoyens à saisir la Cour constitutionnelle. Au Bénin par exemple, c’est devenu une possibilité. Le Sénégal a une démocratie beaucoup plus forte que celle de la plupart des pays qui donnent ce genre de droit au citoyen. Cela permettra même d’assainir notre milieu des affaires et notre espace économique parce que si les citoyens peuvent saisir la Cour constitutionnelle pour y porter une violation de leurs droits par n’importe quel autre acteur, on ferait un bon qualitatif en démocratie.
Le troisième élément est le fait que le président de la République soit également chef de parti. C’est une anomalie grave. Dans une démocratie qui fonctionne, un parti est une association privée. Il y a un groupe, un secrétariat ou un administrateur qui gère ses organes. C’est seulement lorsque le parti veut aller à une élection qu’il choisit parmi ses militants les plus méritants, les leaders capables d’être ses candidats. C’est pourquoi dans les démocraties normales, un parti fonctionne dans les moments non-électoraux et on voit une montée en puissance parce qu’on a des Primaires. Les candidats se positionnent, on choisit quelqu’un qui sera le candidat du parti sans être l’Alpha et l’Omega du parti. C’est le cas en France, en Grande Bretagne, aux Etats-Unis, en Guinée, en Côte d’Ivoire. Alassane Ouattara n’est pas le président de son parti. Le Sénégal ne doit pas faire moins que ces pays.
Etes-vous néanmoins satisfait de l’ouverture de toutes les élections à la Société civile ?
Effectivement ! Le seul élément relativement structurant est la participation des candidatures indépendantes à toutes les élections, mais qui peut être réglée d’une autre manière. Ce n’était pas le cas et c’était une anomalie dans notre démocratie. Nous avions créé le mouvement Ci la bokk et mené le plaidoyer. C’est fait et c’est important, mais ce n’est pas suffisant pour être porté au rang des choses les plus transformatrices de notre espace politique parce que, même s’ils n’étaient pas autorisés à le faire, on a vu des candidatures indépendantes qui ont participé.
Avez-vous l’impression que le Sénégal recule sur le plan démocratique par rapport à ses voisins ?
Qui n’avance pas recule ! Quand on est dans un espace où chacun se bat pour consolider la démocratie, élargir les libertés, renforcer la citoyenneté et l’Etat de droit, élargir l’espace entre les pouvoirs, si vous avez une occasion unique de transformer le pays et marquer votre nom d’une pierre blanche et que vous ne le faites pas, vous ratez une occasion. On est à un tournant décisif où le président de la République a l’occasion de transformer le pays. La réforme qu’il nous propose n’est pas profonde. C’est une sorte de réformette qui vise à consolider un pouvoir momentané, à donner l’impression qu’on touche aux fondamentaux alors que les lignes ne bougent pas. Elle vise à créer les conditions pour son parti et sa coalition pour la prochaine élection. L’homme politique doit penser à la prochaine génération. Or, ce qui est bon pour la prochaine génération, ce sont l’ensemble des recommandations formulées par la Commission nationale de réforme des institutions et non pas celles qui sont dans les quinze points qu’il a proposés. La Cnri a parlé d’une Autorité de régulation de la démocratie. C’est une proposition importante, plus importante d’ailleurs que tous les organes qui ont été créés dernièrement comme la Commission de dialogue des territoires qui ressemble plus à un organe créé de toutes pièces pour caser un transhumant politique que quelque chose qui soit le fruit d’une demande de notre démocratie. Donc, c’est une occasion qu’on est en train de rater. Les mouvements et les acteurs indépendants continueront de porter ce combat pour que le Président et tous ceux qui sont autour comprennent que la proposition qu’ils ont sortie, la façon dont elle est menée, est exactement ce contre quoi les Sénégalais s’étaient levés.
En tant qu’acteur, si vous deviez nous parler de la posture de la Société civile actuelle par rapport à la gestion des affaires publiques, que diriez-vous ?
D’abord, la première difficulté qu’on rencontre lorsqu’on parle de la Société civile, surtout au Sénégal où elle a été toujours définie plus ou moins d’une façon approximative, c’est qu’il convient toujours de revenir au sens premier de savoir de quoi l’on parle. La Société civile est un espace qui se définit non pas par rapport à l’activité politique, mais par rapport à l’espace gouvernemental, au non-étatique. Au Sénégal, on a toujours considéré que ceux qui ne sont pas dans la politique, au sens partisan du terme, sont forcément dans l’espace de la Société civile. Et les conceptions de la Société civile on été telles qu’on lui donne un rôle d’observateur, quelquefois de sentinelle, mais toujours d’acteurs qui ne doivent pas jouer un rôle politique pas au sens partisan, mais politique tout cours et qui ne doivent surtout pas avoir une ambition quelconque de gestion du pouvoir ou d’être dans les affaires.
Cette classification me paraît fausse et cette conception de la Société civile trop restrictive a toujours permis aux partis politiques de tenir à l’écart une importante frange de la population, des citoyens, des compétences et des talents du pays pour les pousser hors de l’espace de gestion de la cité. Lorsqu’on revient à une vision plus conforme de ce qu’est la Société civile, vous verrez que c’est un ensemble d’acteurs et d’organisations qui, à un moment donné, n’assument pas de charge publique. Donc, ils ne sont pas dans les instances de décision et qu’ils se donnent le droit conféré par les Constitutions de contrôler, gérer, regarder, donner leurs appréciations et leurs visions dans la gouvernance du pays. Des acteurs qui, à un moment donné, peuvent faire d’autres choix, c’est-à-dire des choix de se retrouver dans d’autres espaces, y compris l’espace de gestion de la cité parce qu’il n’y a pas de cloison dans les espaces.
Aujourd’hui, on accuse des acteurs de la Société civile d’être un peu mous par rapport à la gestion du pouvoir. Selon vous, qu’est-ce qui explique cela ?
Le concept est aussi à relativiser. On ne peut pas parler de mollesse de la Société civile parce qu’il n’y aurait pas de faits pour le documenter. On dit souvent que l’opinion pense mal. Elle ne pense même pas, elle traduit ses besoins en connaissances. C’est une opinion véhiculée dans l’espace et on veut en faire une règle. Des acteurs hors des partis politiques ou du gouvernement, observant la gestion de leur cité, s’organisent à chaque fois qu’ils sentent que l’essentiel est menacé et font face à ceux qui tiennent le pouvoir. Cela est normal dans une République démocratique. Mais une posture qui consiste à être dans la rue en permanence, à se battre et à crier n’existe dans aucun pays. Les formes d’organisation se mettent en place à un moment donné. Ce n’est pas durant tout le pouvoir du Président Abdoulaye Wade que des acteurs ont été dans la rue pour se battre contre lui. Wade a eu une gouvernance relativement tranquille jusqu’en 2007. Même après, sa gouvernance a été tranquille jusqu’en 2010 ou 2011 parce que ce qui s’est passé entre 2008 et 2009, c’était un moment de réflexion dans le cadre des Assises nationales et d’autres espaces où des Sénégalais, qui n’étaient pas dans l’espace du pouvoir, ont dit que le Sénégal a besoin d’un diagnostic profond après une trajectoire de plus de 40 ans. Cela a été déjà traduit aux élections locales de 2009 où la confiance et le rapprochement des acteurs ont permis ce qu’on peut appeler l’alternance locale. En 2010, c’est seulement quand Wade a voulu dépasser toutes les limites imaginables du point de vue d’une démocratie et d’un Etat de droit qu’on a eu le moment le plus important de mobilisation de la Société civile et tous les autres acteurs pour faire face. Le contexte le demandait, mais il était aussi favorable. Wade a posé un acte déclencheur, mais il y a eu un processus lancé depuis des années qui a eu comme point culminant les Assises nationales qui ont facilité la mobilisation des acteurs pour faire front. Ce contexte nous a amenés vers le Mouvement du 23 juin. C’était un combat contre la destruction des droits constitutionnels qu’autre chose, et jusqu’aux élections de 2012. Passée cette étape, un candidat a été porté au pouvoir. Il devenait raisonnable pour tout le monde de retourner à des préoccupations antérieures et de se mettre au travail pour construire la cité parce que c’est de cela qu’il s’agit.
L’important, ce n’est pas une opposition permanente et violente. C’est de voir autour de quoi nous nous mobilisons pour construire ce pays. Moi, dès le lendemain de l’élection présidentielle, je suis revenu à mon bureau rallumer mon ordinateur et reprendre mon travail.
Pourquoi n’aviez-vous pas jugé nécessaire de rester dans les instances du M23 comme des membres l’ont fait ?
Parce que j’avais toujours considéré que le M23 ne pouvait pas être un cadre formalisé. Pour moi, il ne peut rien être d’autre qu’un réceptacle ouvert de nombreuses initiatives différentes, mais partageant l’ambition fondamentale qui est de sauvegarder le Sénégal lorsque l’essentiel est en danger. Donc, ce n’est pas une association comme une autre. Lorsqu’il y a eu une volonté de le formaliser sous forme d’association, j’ai dit que l’esprit M23 m’habite, personne n’aime ce que le M23 a fait plus que moi, mais je ne me retrouverais pas dans une association qui tiendrait des instances ou faire des réunions à n’en plus finir. Pour moi, c’est l’esprit qu’il faut garder. Une cellule souple doit en garder la flamme. Le moment venu, on fera le rappel des patriotes sous le drapeau du M23 pour faire face.
Le Quotidien
Je suis presque toujours d’accord avec Cheikh Tidiane Diéye. Ses analyses sont profondes, sans parti-pris et courageuses. Il n’écrit ou ne parle pas pour faire plaisir. Il est différent de Mouhamadou Mbodj du Forum Civil, cet hypocrite-né ! Grâce à des gens comme Diéye, je ne désespère pas de ce pays dirigé aujourd’hui par des bras cassés haineux et qui fragilisent notre cohésion sociale.
A bien lire entre les lignes vous verrez que Dieye est d’une malhonnêteté intellectuelle comme on ne le lui avait jamais connue.
Il est devenu un vrai politicien.
Par contre je suis entièrement d’accord avec lui sur la considération qu’il a du nouveau cadre du M23 avec des retraités ou des oisifs qui veulent en faire un outil de chantage permanent sur le régime.
Ce n’est plus un M23 mais un M365…
Les Sénégalais ne sont pas dupes.