Les réserves de la gauche sénégalaise sur le projet de réformes institutionnelles proposé par le président de la République Macky Sall se précisent. Après le leader du Rassemblement des travailleurs africains/Sénégal (Rta/S), Momar Sambe, déplorant la non-prise en compte de certaines préoccupations des partis de gauche et du peuple des Assises nationales, c’est au tour de Madièye Mbodj d’enfoncer le clou. Dans cet entretien avec EnQuête, l’ex-camarade de Landing Savané estime que le flou entretenu par le régime sur la tenue des prochains scrutins ne milite guère en faveur de la transparence ni de l’égalité des chances entre tous les acteurs politiques en compétition.
Comment un parti de gauche comme Yoonu askan wi (Yaw) apprécie-t-il le projet de réformes institutionnelles proposé par le président de la République Macky Sall ?
Paraphrasant Lénine, je suis tenté de dire : un pas en avant, deux pas en arrière ! Un pas en avant dans la volonté de respecter sa parole, de matérialiser un engagement pris devant le peuple, en proposant la tenue d’un référendum constitutionnel autour d’une vingtaine de mesures. Mais en même temps, pivotant deux pas en arrière. Le Président Macky Sall refuse clairement de prendre le cap de la refondation des institutions qui constitue pourtant la quintessence des réformes préconisées par les Assises nationales et la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri).
En d’autres termes, le cap de la séparation et de l’équilibre réels des pouvoirs. Une refondation apte à mettre fin au système de l’Etat-Parti, en même temps qu’à l’hyper-concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule autorité, le président de la République qui se subordonne tout l’Exécutif ainsi que le Législatif et le Judiciaire. Ce système, érigé par l’ancien président de la République Léopold Sédar Senghor, depuis sa Constitution de 1963, perdure solidement en place.
Le chef de l’Etat a initié des concertations sur les réformes institutionnelles après avoir saisi le président de l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel. De l’avis de certains observateurs, il a mis la charrue avant les bœufs ? Qu’en pensez-vous ?
Je pense que non, car tant que le projet de loi portant révision constitutionnelle n’est pas officiellement soumis au peuple, au corps électoral souverain, il existera toujours des plages de concertation, l’essentiel étant de savoir les mettre judicieusement à profit.
Est-ce que la gauche dans son ensemble a été consultée dans le cadre de ces réformes ?
A ma connaissance non, si l’on ne prend pas en compte la démarche des Assises et de la Cnri. La Confédération pour la démocratie et le socialisme (Cds) a, en ce qui la concerne, organisé un séminaire sur les réformes institutionnelles le 20 décembre dernier, rendu publique une déclaration à ce sujet le 13 janvier 2016, et attend d’avoir un entretien avec le président de la République dans le cadre des concertations annoncées.
Vos préoccupations, celles des Assises nationales et de la CNRI, ont-elles été prises en compte dans le projet de réforme ?
Certaines oui, comme le mandat de 5 ans renouvelable une seule fois, la possibilité de candidatures indépendantes à toutes les élections, l’instauration d’un âge plafond à côté de l’âge plancher… Par contre, des propositions essentielles comme le non-cumul des fonctions de chef de l’Etat et de chef de parti, l’institution d’une Cour constitutionnelle, la présidence du Conseil supérieur de la magistrature par un magistrat en lieu et place du président de la République, la capacitation et la souveraineté citoyennes, l’Assemblée nationale comme lieu d’impulsion des politiques, la séparation et l’équilibre effectifs des pouvoirs, ne sont pas pris en charge dans le sens des conclusions des Assises et des recommandations de la Cnri. Or, c’est bien cela l’essentiel.
Comment pouvez-vous expliquer le silence des alliés comme le Ps, la Ld, l’Afp qui ont beaucoup contribué aux Assises ?
Nous sommes tous des parties prenantes à part entière des Assises nationales, mais chaque composante se détermine en fonction de sa perception des enjeux, de ses options et objectifs. Il appartient au peuple, en dernière analyse, d’apprécier souverainement. Les partis membres de la Cds ont, quant à eux, commencé à prendre position publiquement, comme je l’ai souligné tout à l’heure.
Sans donner de dates précises, le chef de l’Etat a annoncé récemment le référendum en 2016 et la présidentielle en 2017. Ce flou qui entoure la tenue des scrutins en vue, ne risque-t-il pas de fausser le jeu démocratique ?
Cela ne contribue certainement pas à la clarification du jeu politique. Cette situation est largement due, à mon avis, aux hésitations et au retard pris à propos des réformes institutionnelles et de la tenue du référendum. En tout cas, à quelque 12 mois d’un probable scrutin présidentiel, ce flou ne milite guère en faveur de la transparence ni de l’égalité des chances entre tous les acteurs politiques en compétition. Sans oublier le problème non sérieusement posé jusqu’ici du renouvellement général des cartes nationales d’identité et des cartes d’électeurs délivrées en 2006 et arrivées à expiration.
Une candidature de la gauche à la prochaine élection présidentielle a été agitée. Où en êtes-vous sur ce sujet ?
Encore au stade des rencontres bilatérales, en attendant que chaque parti réunisse ses instances compétentes pour délibérer sur la question. Pour Yoonu askan wi, le Conseil général d’août 2015, après évaluation à mi-parcours de la deuxième alternance et analyse des enjeux liés à la situation au Sénégal, en Afrique et dans le monde, a préconisé une candidature de la gauche à la présidentielle et aux législatives prochaines, candidature de l’unité populaire et citoyenne, candidature des forces acquises à l’impératif de la mise en œuvre des conclusions des Assises nationales, candidature adossée au projet alternatif de transformation sociale porté par la gauche, autour d’un véritable ‘’Plan Sénégal indépendant’’.
Comment appréciez-vous l’affaire Lamine Diack et les répercussions qu’elle a eues au Sénégal ?
C’est une affaire pendante devant les tribunaux. Il appartient à la justice d’établir les éventuels forfaits ou forfaitures imputés à Diack père et fils. Le Sénégal gagnerait à les faire juger dans notre pays. Il est cependant inacceptable que certains esprits revanchards veuillent en profiter pour tenter, en vain fort heureusement, de discréditer le président Amadou Makhtar Mbow et les Assises nationales ainsi que les victoires conquises de haute lutte par les mobilisations populaires et citoyennes de 2009, 2011 et 2012. Mais c’est aussi le lieu de réaffirmer la nécessité plus que jamais de légiférer sur le financement public des partis politiques et le plafonnement des dépenses de campagnes électorales.