Des sources diplomatiques basées dans la capitale sénégalaise résument en ces termes le contenu de la lettre que le Président Wade a reçue des Américains : “I am responding to your October 8 letter to President Obama (…). Although President Obama’s current schedule precludes his participation by videoconference from New York, I have asked Ambassador Bernicat to attend the ceremony in Dakar.” Cette réponse à une lettre de « His Excellency » Président Abdoulaye Wade, sèche et courte, est l’œuvre d’un anonyme assistant au département d’Etat américain. Elle a été rédigée le 21 octobre 2009, pour annoncer le refus de Barak Obama de prendre part à la cérémonie d’inauguration de la statue de la renaissance africaine. Les règles de protocole d’usage tant au plan interne des Etats que dans les relations qu’ils entretiennent nous ont longtemps enseigné que les acteurs du jeu sont appelés en leurs qualités, rangs et grades respectifs pour occuper leur place.
Le Sénégal semble avoir renoncé à occuper sa place dans cet ordre. Ainsi, depuis neuf ans que le Président Abdoulaye Wade est installé au pouvoir, le rang du pays et sa place sont déterminés en fonction des désirs et des lubies du moment que le chef de l’Etat exprime. Il n’hésite pas alors à se rendre dans un cabinet d’architecte parisien pour négocier avec de simples citoyens de pays tiers pour la conclusion de contrats concernant la construction de la nouvelle capitale sénégalaise.
Son rêve chimérique de voir pousser quelque part, entre Saint-Louis et Dakar sur la côte, une belle et toute nouvelle capitale qui viendrait désengorger Dakar l’autorise, croit-il, à prendre toutes les libertés avec les règles d’usage en matière de protocole. Sa boulimie de tout conduire et sa propension à tout vouloir contrôler dès qu’il s’agit de grands chantiers ayant une forte implication financière lui laissent le sentiment qu’il peut s’autoriser des entorses naturellement préjudiciables au rang et à la dignité de ce pays. Il y va souvent avec fracas, pour bousculer les règles et protocoles. Pour lui trouver des excuses, ses thuriféraires expliquent doctement que de telles attitudes expriment de sa part une volonté saine de démythifier la fonction, en la rendant accessible au commun des mortels. Il y a sûrement une autre manière de procéder pour y arriver, sans sacrifier l’aura et la nécessaire dose de mystère qui doivent entourer une fonction prestigieuse comme la sienne. Quand le Président veut faire participer Barak Obama aux festivités prévues pour l’inauguration de la statue de la renaissance, il en perd le sens de la réalité des relations internationales et celui des règles qui en commandent le mouvement.
Aussi, peut-il se fendre le 28 octobre 2009 d’une lettre adressée directement à son homologue, alors que les règles d’usage prévoient que les démarches nécessaires pour faire aboutir une telle invitation, laissent souvent au ministre des Affaires étrangères ou à tout autre diplomate le soin de faire les manœuvres d’approche, pour s’assurer qu’une réponse positive à l’invitation soit garantie. Cela évite aux partenaires de se montrer parfois abrupts, voire discourtois. La lettre rédigée en guise de réponse à la missive du Président montre dans son fond un agacement de la partie américaine, le ton utilisé montre que les diplomates de ce pays n’ont guère apprécié la démarche du Président Abdoulaye Wade qui n’a manifestement pas respecté les règles d’usage en la matière.
Pendant plus de quarante ans d’indépendance à la fois sous le magistère du Président Léopold Sédar Senghor et sous celui d’Abdou Diouf, notre pays n’a jamais été traité de cette manière. Et ce, non pas parce que le Sénégal incarne, comme Etat, une quelconque puissance ou dispose de particularités liées à la nature des personnes qui avaient en charge la conduite de l’Etat. Il en a été ainsi, simplement parce que ces personnes avaient accepté de se conformer avec élégance aux règles du jeu diplomatique et aux usages en cours dans les relations protocolaires internationales. Avec doigté et vigilance, ils en récoltaient tous les fruits. Se croyant différent des autres et pensant faussement incarner une aura qui lui est propre, Abdoulaye Wade s’autorise un comportement qui le marginalise au grand dam de l’image de cette Nation.
Pourquoi le chef de l’Etat croit-il que les présidents Sarkozy et Obama vont lui réserver un traitement spécial, en empiétant sur leurs agendas respectifs et prendre part à sa cérémonie d’autocélébration ? Une telle faveur s’annonçait d’autant plus improbable que les deux pays expriment depuis quelques temps de sérieuses réserves sur la conduite des affaires internes et externes du Sénégal par le président de la République. Une politique qui, du point de vue des analyses du département d’Etat américain, mais aussi selon les opinions exprimées, dans un rapport rédigé par l’ambassadeur de France en poste à Dakar, constitue, à certains égards, un recul inacceptable. Un recul noté pour peu que l’on tienne compte du passé politique de ce pays et de la vigueur d’antan de sa démocratie. Le Sénégal, petit pays de onze millions d’habitants, sans ressources économiques particulières, ni matières premières stratégiques, avait incontestablement réussi à hisser son rang dans le concert des nations du monde à un niveau qui lui était envié par des pays économiquement puissants et en particulier par des pays africains qui s’expliquaient difficilement le rang conquis avec intelligence et finesse. De tout cela il ne reste que des souvenirs. Abdoulaye Wade a presque tout ruiné.
Aussi, son attitude peut-elle autoriser un anonyme assistant au département d’Etat à rédiger à son intention, à la place de son homologue américain, une missive au ton sec et définitif ne laissant aucun doute sur l’agacement de l’interlocuteur. Ce dernier n’a pas été désigné au hasard. A l’époque du Président Georges W. Bush, le président de la République, toujours égal à lui-même, voulait forcer une audience avec le chef de la maison blanche. Il dut revisser ses ambitions en se contentant d’une audience obtenue à la dernière minute avec l’ancienne Secrétaire d’Etat, Mme Rice. Il s’était déplacé pour être reçu au département d’Etat. Cela avait choqué plus d’un chez les diplomates sénégalais qui n’en finissent pas depuis 2000 de réviser toutes les leçons qu’ils ont jusqu’ici apprises avec la pratique des relations internationales. Ils en apprendront d’autres, toujours plus cocasses et plus surprenantes avec le président de la République.
LAGAZETTE.SN