Au Fouladou, savoir rouler en vélo équivaut à pratiquement être assis sur une mine d’or. Il suffit de savoir exploiter le «gisement» d’activités économiques possibles avec la bicyclette. Un système de débrouillardise bien porteur. Il se disait naguère, que quand un ressortissant de la Guinée Conakry débarquait en Casamance, il apprenait tout de suite à rouler en vélo. Une fois la conduite du vélo maîtrisée, il informait ses parents restés au pays qu’il a déjà un métier. Pourtant Thierno Mamadou Diang Diallo, la soixantaine consommée, qui vit au Sénégal depuis plus de 28 ans relativise : «Cela n’a pas été mon cas. Même si c’est au Sénégal que j’ai appris à rouler en vélo, je n’ai pas informé les parents. Mais c’est vrai que c’est grâce au vélo que je pouvais aller en brousse cueillir des fruits sauvages que je transportais et vendais au marché de Vélingara. Ces fruits sont les «madd», les «nérés», les jujubes, et autres pain de singes. A chaque période de l’année, il y avait un type de fruits à cueillir, même en saison des pluies. Et je faisais le tout grâce au vélo.» Et le vieux Diallo de poursuivre dans la confidence : «J’ai connu des gens qui sont devenus riches à la suite des d’activités de cueillette. C’est surtout valable en moyenne et basse Casamance où l’on trouve même des mangues à l’état sauvage. C’est une activité qui n’a pas besoin de moyens financiers préalables. Même le vélo, on peut l’avoir à temps partiel par le biais d’un ami et parvenir à s’en payer un, après quelques semaines d’activités. Si avoir un métier, c’est toute activité qui permet de se nourrir et entretenir sa famille, dans ce cas rouler en vélo est un métier.» Et de citer des noms de plusieurs ressortissants du pays de Dadis Camara, habitants aujourd’hui le Fouladou, qui se sont enrichis à partir de l’exploitation des ressources forestières… à bicyclette.
Pour Moussa Camara, Guinéen résidant à Vélingara depuis 1979, «l’exploitation du vélo à des fins économiques n’a pas été la chasse gardée des Guinéens. Il a fallu que je m’accompagne avec des Sénégalais pour connaître ce que cache la forêt de Vélingara et en quels endroits». Ce monsieur, âgé de 57 ans, continue à rouler en vélo pour nourrir sa famille, tout en faisant autre chose. Très prolixe, il se lance dans certaines explications : «Ce n’est plus la cueillette de fruits sauvages qui fait apprendre à rouler en vélo. Vous savez la forêt a reculé et s’est rétrécie. Si beaucoup d’essences fruitières n’ont pas totalement disparues, elles existent en petite quantité et très loin des habitations. En plus, avec l’insécurité ambiante (braquages et banditisme transfrontalier) on ne s’aventure pas tellement en pleine brousse.»
Alors face à cette situation, naissent de nouvelles vocations pour le vélo. A cette question, Moussa Camara répond tout de go : «La fraude.» Et les explications de suivre : «Je fais de la fraude à partir de la Gambie, à moins de 20 kilomètres de là, à l’aide de ma bicyclette. Je parviens à déjouer la vigilance des douaniers en empruntant des sentiers impraticables en voiture et à des heures inimaginables.» Pour témoigner de la rentabilité de cette activité de fraude, Moussa Camara ajoute : «Il m’arrive de faire deux rotations par jour et me faire un bénéfice de 3 000 à 4 000 francs par rotation. Ce n’est pas rien. Et c’est avec çà que je nourris ma famille d’une douzaine de membres.»
Autres personnes, autres activités économiques… à vélo.
Mamadiang Barry, la quarantaine, est cycliste transfrontalier. Il renseigne sur sa profession : «J’achète des sachets de glace à Vélingara que je vends à Bassé en Gambie. Le sachet acheté à 100 francs au Sénégal est échangé contre l’équivalent de 250 francs Cfa en monnaie locale. Au retour, j’achète de la marchandise que je viens revendre au Sénégal. Vous voyez le bénéfice que l’on peut réaliser à partir de ce commerce ?» C’est apparemment le nouveau filon exploité par les cyclistes professionnels de Vélingara. De tous âges, ces cyclistes font les maisons de la commune qui ont des congélateurs pour s’approvisionner en sachets de glace et empruntent routes et pistes menant vers la ville de Bassé et les villages du pays de Yaya Jammeh frontalier au département de Vélingara. C’est que la fourniture en énergie électrique n’est pas continue en Gambie et le thermomètre peut afficher 38° à l’ombre en certaines périodes de la saison sèche. Ce trafic de glace se fait même en saison des pluies. Et tous ces vendeurs de glace sont des fraudeurs à l’occasion, renseigne une source douanière. Ils n’hésitent pas à dissimuler sous les sachets de glace ou les sacs vides de la marchandise sénégalaise ou gambienne, selon la direction prise.
Boubacar Gano, ressortissant de la Guinée-Bissau utilise autrement son engin à deux roues pour nourrir sa famille. Habitant le quartier Thiankang de la commune de Vélingara, il a déclaré : «Je transporte et vends du poisson dans les villages frontaliers à la Gambie et même en territoire Gambien. Vous savez, c’est une zone semi-aride éloignée du littoral. Le poisson nous vient de la Petite-Côte et n’eut été le vélo, ces villages-là ne verraient jamais du poisson frais, à cause de l’impraticabilité des routes. Nous arrangeons ces populations, tout en y trouvant notre compte.»
Ils sont combien de jeunes et d’adultes à vivre du vélo ? Aucune statistique fiable ne renseigne par rapport à cette situation. Mais nombreuses sont les familles qui vivent de la bicyclette. Ces cyclistes professionnels peuvent faire des trajets de plus de 100 km par jour et peuvent supporter un poids d’environ 100 à 150 kg par voyage.
Au Fouladou, chaque famille a son vélo, soit pour les commissions, pour aller au champ ou même pour l’évacuation des malades vers les structures de santé.
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