D’un côté les syndicats d’enseignants, de l’autre le gouvernement, au milieu les élèves, les seules victimes d’un combat qui se passe au-dessus de leurs têtes. Et à ce jour, les protagonistes sont arrivés à un niveau où le dialogue est presque totalement rompu. Désormais, chaque partie se livre à un monologue médiatique, sans que l’autre ne se sente réellement concerné. Le moment est donc venu de retourner à la source, les accords. EnQuête a décidé de travailler sur le document de base pour savoir ce qui a été retenu de commun accord entre les belligérants. Que signifient les termes validation, mise en solde, rappels ? Qu’est-ce qui a été prévu et à quelle date ? Qu’est-ce qui a été fait jusque-là ? Qu’est-ce qui reste à faire ? Et quelles sont les perspectives ? Autant de questions auxquelles on essaie d’apporter des réponses.
Le 17 février 2014 constitue le point de départ. Ce jour-là, le gouvernement et les syndicats ont signé un protocole d’accord après presque 2 ans de négociations. L’espoir d’une école apaisée était donc permis. Mais il sera de courte durée. Durant toute l’année 2014, les syndicats ont estimé que l’Etat n’a pas respecté ses engagements. Ils ont alerté sans initier des mouvements. S’estimant méprisés, ils ont déclenché les grèves à partir de l’année scolaire 2014-2015. Les perturbations ont failli déboucher sur une année blanche. Ce qui a amené le gouvernement à mobiliser tous les ministres concernés sous la tutelle du Premier ministre. Après moult négociations ponctuées par moments de l’énervement et de menaces, les deux parties, à l’exception du Cusems, arrivent à trouver de nouveaux accords consignés sur un procès-verbal daté du 30 avril 2015. C’est sur la base de ce document qui est le dernier en date qu’EnQuête a travaillé.
Ces accords en question sont constitués de 8 points signés par des dizaines d’organisation syndicales et 8 ministres du gouvernement (Fonction publique, Education, Enseignement supérieur, Formation professionnelle, Travail, Sports, Habitat, Budget). Le premier point est relatif à la validation au 2/3 avec rappel des années de volontariat, de vacation et de contractualisation pour les professeurs contractuels (PC) et les maîtres contractuels (MC). Mais tout d’abord, c’est quoi la validation ? Les enseignants recrutés comme volontaires et vacataires deviennent des fonctionnaires au bout de quelques années.
Mais dans leur statut de fonctionnaire, ces années passées à la vacation ou contractualisation ne sont pas comptabilisées. Les syndicats ont estimé que c’est une perte en termes d’ancienneté et de retraite. Ils ont exigé qu’elles soient comptabilisées. Ce qui a été accepté, mais au 2/3 pour la validation et le 1/3 pour les rappels dont le paiement est prévu à partir de 2017. Premier incident, cette validation augmente l’indice et donc le salaire de l’enseignant. Cependant, même si le principe est accepté, les documents qui doivent le matérialiser tardent à sortir. Pour le moment, les actes qui sont sortis restent dérisoires par rapport à l’effectif.
Il est cependant difficile de donner un chiffre exact. Selon Mamadou Lamine Dianté, il y a 21 000 dossiers de validation déposés à la Fonction publique. Son camarade Abdoulaye Ndoye avance le chiffre 16 012 dépôts pour 13 245 traités et 2383 rejetés. Un nombre important de rejets que le syndicaliste du Cusems dit ne pas comprendre puisque les dossiers passent par les IA (Inspection d’académie) et le MEN (ministère de l’Education nationale) avant d’atterrir au MFP (ministère de la Fonction publique) qui les traite et les envoie au MEFP (ministère de l’Economie des Finances et du Plan). ‘’Il y a un travail en amont. Avec tout ce circuit, il ne doit pas y avoir de rejet’’, déclare-t-il. Mais dans tous les cas, la faiblesse du nombre d’actes déjà traités reste constante. Car, sur les 16 012 ou 21 000, il y a, en fonction des interlocuteurs, entre 300 et 500 actes validés par le MEFP.
50 agents sans ordinateurs
Ce retard dans la sortie des actes s’inscrit d’ailleurs dans une problématique plus vaste et qui constitue le deuxième du PV, les lenteurs administratives qui touchent à presque tous les niveaux. Dans le procès-verbal, le gouvernement s’était engagé en ces termes : ‘’Le ministère de la Fonction publique prendra, à l’avenir, les dispositions pour la prise en charge diligente des actes de la Fonction publique, afin que de pareilles lenteurs ne se renouvellent plus.’’ Et pour cela, 50 agents administratifs ont été recrutés pour une opération coup de poing. Mais depuis lors, ces agents ne travaillent plus sur les dossiers, d’après les syndicalistes, parce qu’ils disent n’avoir pas de machine, soutient Abdou Faty. Son collègue M. Dianté ajoute même que le carton contenant les chemises est resté fermé depuis que le ministère a déménagé.
Quoi qu’il en soit, le constat est là ! Que ce soit la validation, la mise en solde ou l’intégration, des retards sont notés à tous les niveaux. Mais c’est quoi la mise en solde ? Quand les MC (maîtres contractuels) et PC (professeur contractuel) réussissent leur examen professionnel, ils doivent changer de statut. Mais du fait de la lenteur dans le traitement de leur dossier, ils restent plusieurs années sans intégrer la Fonction publique, parfois jusqu’à 10 ans, selon certains syndicalistes. Pendant ce temps, bien que devant être fonctionnaires, ils continuent à être traités comme des MC et PC en attendant la sortie de l’acte administratif. L’ensemble des avantages impayés constitue une accumulation appelée la mise en solde.
Aujourd’hui, il y a plus de 40 000 dossiers de mise en solde au MEFP. Les chiffres varient entre 43 000 et 48 000. ‘’Sans compter les dossiers au ministère de la Fonction publique et ceux qui sont dans les IA et au ministère de l’Education’’. Le gouvernement avait prévu de prendre un lot de 5 000 dans la loi de finance initiale 2016. Dans son adresse du 3 avril, le Président a déclaré qu’il a décidé de le porter à 10 000, avec une loi de finance rectificative pour la prise en charge financière. Du côté du Front unitaire des syndicats d’enseignants codirigé par Abdou Faty et Amadou Diaouné, ils ont exprimé leur satisfaction et demande à l’Etat de prendre 15 000 chaque année d’ici 2019.
L’indemnité de logement, l’autre nœud gordien
Du côté du Cusems et du Saems-Cusems, la mesure a été immédiatement rejetée. L’on estime que non seulement le nombre est petit, mais le gouvernement l’a fixé d’autorité, sans concertation. A ce rythme, on risque de tourner au système de quota qui a été combattu tout récemment. Ce qu’il exige donc, c’est la titularisation universelle. Selon quelles modalités ? ‘’Ce n’est pas à nous de le dire. Nous attendons les propositions du gouvernement’’, rétorque Abdoulaye Ndoye. En plus, chaque fonctionnaire devant évoluer tous les deux ans, les dossiers d’avancement aussi traînent. Tout cela a causé un ensemble de dû estimé à 24,2 milliards. Le chef de l’Etat a affirmé qu’il va payer l’intégralité en 2016. Les syndicats qui disent avoir perdu leur naïveté déclarent l’attendre sur les actes.
Un autre point essentiel dans la revendication des enseignants est l’indemnité de logement. Cette question peut être à elle seule source de perturbation continue dans le système scolaire. Le gouvernement ne semble pas se presser, alors que les syndicats en ont fait presque un point d’honneur, le Cusems en particulier. D’ailleurs, ce syndicat n’a pas signé le PV du 30 mars comme les autres syndicats, à cause d’un désaccord sur ce point avec le gouvernement. Finalement, les camarades de Abdoulaye Ndoye ont signé leur propre PV le 6 mai, avec le même contenu que les autres, mais accompagné d’un passage dans lequel le gouvernement reconnaît explicitement l’attachement du syndicat sur ce point tout en donnant son accord de principe de revoir cette indemnité afin qu’il y ait plus d’équité et de justice. Aujourd’hui encore, les syndicats n’ont pas varié dans leur position. ‘’Personne ne peut espérer une pacification tant que l’indemnité de logement est une question tabou’’, prévient Mamadou Lamine Dianté.
Or, où en est cette question ? Tout d’abord, lorsque les enseignants ont posé cette revendication sur la table, l’Etat a fait savoir aux syndicats ‘’qu’en raison des contraintes budgétaires liés au cadrage macroéconomique en vigueur, le Gouvernement n’est pas en mesure de répondre favorablement sur ce point, tous secteurs confondus’’. Cependant, l’Etat avait, sous ce même chapitre, renvoyé les syndicats à la fin de l’étude sur le système de rémunération des agents de la Fonction publique.
Niveau de satisfaction ? 0% !
‘’Les conclusions de cette étude seront partagées avant décembre 2014, et les corrections annoncées seront prises en charge à partir du budget 2015’’, mentionne le protocole d’accord du 17 février 2014. Finalement, l’étude elle-même a été lancée le 22 décembre, soit à une semaine de la date limite à laquelle les résultats sont censés être partagés. Face au non-respect de cet engagement, l’Etat a pris un autre le 30 avril 2015, après la longue grève. Cette fois-ci, le partage des résultats de l’étude en question est prévu ‘’dans le courant du mois de mai 2015’’. ‘’Après les résultats définitifs de l’étude, le gouvernement entamera des négociations globales et sectorielles avec les partenaires sociaux’’, précise le PV du 30 avril 2015. Là aussi, au lieu de mai 2015, le partage a eu lieu les 27 et 28 octobre 2015. Et pourtant, ce n’est pas le plus compliqué dans cette affaire.
En effet, c’est l’étude elle-même qui est sujet à polémique, dans sa conception comme dans son contenu. Car, avant même le démarrage, les syndicats ont contesté les termes de référence. En fait, l’étude qui était censée concerner tous les agents de la Fonction publique, du moins selon la conception des enseignants, ne s’est portée finalement que sur une partie. Les Institutions, les Agences et les Forces de l’ordre ont tous été exclus de cette étude. Sur les 103 358 agents à l’époque, seuls les 71 358 ont été pris en compte, selon Abdoulaye Ndoye.
Autre tare de l’étude, son contenu. Les enseignants lui reprochent de ne pas avoir de statistique permettant de connaître le pourcentage de chaque segment dans la masse salariale. Ce qui permettrait de savoir quels sont les secteurs qui bouffent réellement l’argent publique. ‘’Cette opacité totale sur le pourcentage’’ a fait que l’étude a été fortement amendé par certains syndicats d’enseignants. D’autres comme le Saems-Cusems l’ont tout simplement rejeté.
Ce que les enseignants disent, c’est que s’il y avait des statistiques, l’on se rendrait compte que si la masse salariale est de 526 milliards comme l’avait annoncé l’argentier de l’Etat, les enseignants n’en sont pas les principaux bénéficiaires. Pour eux, des corps largement moins importants en termes d’effectifs utilisent plus de ressources. Ce que corroborent les propos de Mamadou Mbodj coordonnateur du M23. Invité de l’émission Objection de Sud Fm, cet ancien secrétaire général du Cusems soutient que sur les 100 et quelques mille agents de la Fonction publique, il y a 82 000 enseignants entre le préscolaire et le secondaire. Or, ils ne se partagent que 223 milliards sur la masse salariale. Les 306 milliards restant sont répartis entre les 26 000 agents appartenant à d’autres corps.
A ces deux remarques s’ajoute le fait que les enseignants déclarent avoir trouvé dans les recommandations exactement les termes d’accusation que le gouvernement a l’habitude d’employer à leur encontre. Ce qui leur fait dire que c’est l’Etat qui ‘’se fait ses propres recommandations’’. Autrement dit, l’impartialité du cabinet MGP-Afrique chargé de l’étude est douteuse. Et à ce jour, les autorités ne parlent plus de ce rapport. Au ministère de l’Education, l’on assure que le rapport définitif est entre les mains du président de la République qui donnera des instructions. A quand ces instructions ? Mystère ! Résultat : que ce soit Abdou Faty, Abdoulaye Ndoye ou Mamadou Lamine Dianté, le niveau de satisfaction sur ce point est de 0%.
EnQuête
Et je ne vois nul part aucune allusion aux 300 milliards de Mary Teuw Niane. Et pourtant c’est l’un des points fondamentaux des difficultés entre les enseignants et le pouvoir. Entre travailleurs et employeurs, il y a toujours eu ces problèmes de revendications, grèves; accords, non respects d’accords, etc. Et tous les états du monde ont toujours fonctionné, depuis toujours, de cette façon. Mais ce qu’il y a de fondamentalement nouveau, au Sénégal, depuis 2012, c’est la nouvelle dimension qu’a atteint le mensonge. Maintenant le mensonge est officiel, il est médiatiquement soutenu, il est imposant, et surtout il se veut une obligation d’être la satisfaction des grévistes au risque d’être diabolisés et mis au banc de la société. La nouvelle donne c’est que le mensonge doit forcément satisfaire le gréviste ou alors on le détruit, enfin, tant qu’on peut.