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Christophe Martin (Cicr Dakar) : ‘Nous assistons 6000 réfugiés casamançais au nord de la Guinée-Bissau’

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Le conflit casamançais continue de charrier son lot de victimes. Ils sont environ six mille réfugiés au nord de la Guinée-Bissau et des dizaines de milliers de déplacés internes fuyant les combats entre le Mfdc et l’armée. Dans cette ambiance de ni paix ni guerre ponctuée par des attaques sporadiques, les travailleurs humanitaires tentent de redonner l’espoir. Christophe Martin, chef de la délégation régionale de Dakar du Comité international de la Croix-rouge (Cicr), est dans la place. Il revient sur les actions du Cicr en Casamance mais aussi dans les autres pays que couvre la délégation régionale de Dakar. Des enjeux actuels aux principes qui guident l’action humanitaire, rien n’est passé sous silence dans l’entretien qu’il nous a accordé.

Wal Fadjri : La présence du Cicr au Sénégal date de 1991. En 2004, il a senti le besoin de créer une sous-délégation à Ziguinchor. Pourquoi avoir attendu cette date pour décider de s’installer dans cette zone en conflit depuis près de trente ans ?

Christophe Martin : Le Cicr a observé la scène sénégalaise et la Casamance en particulier qui ont donné des signaux au début des années 2000 de relative accalmie avec l’arrivée du président Wade et les promesses d’engagement à résoudre la crise casamançaise. C’est dans ce contexte d’accompagnement à la paix que le Cicr s’est installé en Casamance pour répondre aux besoins humanitaires rencontrés par les populations qui commençaient à retourner dans le Fogny, essentiellement, mais qui étaient confrontées au manque d’eau, d’infrastructures de santé et qui étaient éloignées du centre urbain.

En quoi la crise casamançaise affecte-t-elle une partie de la sous-région notamment la Gambie et la Guinée-Bissau ?

Il ne fait pas l’ombre d’un doute que la problématique casamançaise a eu et continue d’avoir des incidences sur le territoire de la Guinée-Bissau. Le problème du nord de la Guinée-Bissau où il y aurait environ 6 000 réfugiés casamançais se situe à un double niveau. Dans cette partie, on a une population qui s’est réfugiée sur ce territoire marqué par l’absence de structure étatique de la Guinée-Bissau. Il y a déjà un problème dans l’absolu pour la population résidente parce que les instances étatiques ne sont pas suffisamment présentes. Une situation que l’on rencontre malheureusement souvent dans certaines régions d’Afrique. La frontière est effectivement officielle, mais elle est extrêmement poreuse et il y a des populations qui font des aller-retour entre les deux pays.

Peut-on connaître le nombre de victimes du conflit casamançais auxquels le Cicr apporte soutien ?

C’est très difficile à dire. Ce sont des chiffres et ça nécessite une attention particulière. On parle aujourd’hui de milliers de réfugiés casamançais au nord de la Guinée-Bissau. Sur ces 6 000 réfugiés dénombrés, le Cicr en assiste plusieurs milliers. Il me sera difficile de vous donner exactement le nombre, mais en termes de déplacés internes, c’est-à-dire des populations sénégalaises en Casamance, il y en aurait des dizaines de milliers. Et notre assistance s’adresse conjointement aux milliers de réfugiés et à quelques dizaines de milliers de personnes en territoire sénégalais.

A quoi consistent vos actions dans cette zone ?

Avec sa structure de Ziguinchor, le Cicr dispose d’une présence permanente dans le conflit avec cinq expatriés et plusieurs dizaines d’employés de la délégation. Le Cicr dans la région cherche à couvrir les zones sensibles, c’est-à-dire là où il y a encore des phénomènes de conflit, de violence, d’insécurité pour les populations et là où les populations sont en manque d’assistance sur des besoins relativement élémentaires comme l’eau, la sécurité économique et la santé. Ce qui veut dire que le Cicr a une activité relativement classique comme le développement de la structure de Ziguinchor, centré plus particulièrement sur la localité du Fogni, au nord de Ziguinchor, à la frontière avec la Gambie. Ainsi que dans certaines localités au sud de Ziguinchor et particulièrement au nord de la Guinée-Bissau. Là, vous avez les populations qui sont confrontées à des situations de violence. Ce sont des problématiques transfrontalières.

Lorsqu’il y a des phénomènes de crise accrue avec déplacement des populations, on évalue les besoins qui peuvent être de différentes natures et on intervient aussi vite que possible dans les premières phases où les populations ont des besoins humanitaires. Nous leur remettons des produits d’assistance en matériel, de la nourriture, de l’eau, etc. Nous avons également une série de projets qui visent à soutenir les populations confrontées à des besoins humanitaires. Par exemple, on accompagne des agents dans certains centres de santé pour permettre à ces centres de couvrir les besoins sanitaires des populations de la zone. C’est tout le volet des activités d’assistance en eau, en sécurité économique et en santé.

Nous avons aussi un travail qui se fait avec tous les acteurs de la situation de conflit à savoir, les autorités sénégalaises, gendarmes ou militaires. Mais également le Mfdc avec qui nous avons un contact régulier et des acteurs qui connaissent les enjeux de la situation en Casamance. Et nous abordons la problématique de la protection de la population, c’est-à-dire qu’en tant qu’agence humanitaire, nous avons un rôle particulier à jouer dans le respect des droits des populations. Les populations doivent être respectées en situation de conflit et de violence, elles ne sont pas des parties aux conflits. Donc il s’agit d’avoir un dialogue régulier en amont de manière préventive, mais aussi de sensibiliser ces porteurs d’armes aux règles qui régissent le comportement des porteurs d’armes en situation de conflit.

Lorsqu’il y a des violences qui sont commises sur les populations civiles, observées et notifiées par le Cicr, il s’agira également de faire des interventions auprès des personnes qui ont commis ces violations pour leur rappeler leurs obligations et chercher à éviter que de tels comportements ne se reproduisent. C’est vraiment un travail de protection au cœur du mandat du Cicr. Et puis, on a un autre travail très important, c’est celui d’assister la société nationale de la Croix-rouge du Sénégal ainsi que celle de la Guinée-Bissau qui sont nos partenaires privilégiés pour toutes nos actions sur le terrain. Elles nous accompagnent, généralement, dans les phases d’évaluation ainsi que dans les phases d’accompagnement de nos actions d’assistance.

La délégation du Cicr de Dakar couvre également la Guinée-Bissau, la Gambie et le Cap-Vert. Dans quel pays rencontrez-vous le plus de besoins humanitaires ?

Aujourd’hui, nos priorités sont très clairement la Casamance et le nord de la Guinée-Bissau par rapport aux enjeux humanitaires, à leurs incidences et le degré de vulnérabilité expliqués par la situation de conflit et de violence en Casamance. Je ne vous cacherai pas que la Guinée-Bissau reste sur notre radar d’attention de tous les jours et les événements du 1er avril dernier (Ndlr : Arrestation du chef d’Etat major bissau guinéen et du Premier ministre), montrent que ce pays peut à tout moment être dans une situation d’instabilité avec des conséquences qui peuvent être majeures. Nous espérons que nous n’en arriverons pas à une situation de guerre civile comme ce fut le cas en 1998. En gros, la priorité c’est d’abord la Casamance, le nord de la Guinée-bissau ainsi que la Guinée-bissau plus globalement pour les raisons d’instabilité politique chronique que ce pays traverse depuis des années.

Comment se passe votre intervention en Gambie ? Y rencontrez-vous des réfugiés de la crise casamançaise ?

La Gambie est un dossier sur lequel on doit encore investir beaucoup de temps et d’énergie. Sans trop entrer dans les détails, l’idée en 2011, c’est d’assurer une présence plus régulière sur place pour les enjeux que nous voulons développer en Gambie, outre celui du développement et du soutien de la société nationale de la Croix rouge gambienne qui sera notre partenaire privilégié. Nous sommes présent au nord de la Guinée-Bissau et avons une bonne image de la problématique de l’humanitaire. Le nord de la Casamance à la frontière gambienne est une question sur laquelle on doit travailler.

Est-ce à dire que pour le moment, rien n’est encore fait en Gambie ?

Non, on travaille. On travaille avec la Croix-rouge, la police, on va voir des programmes de formation de l’armée en Gambie. Mais on doit quand même passer à la vitesse supérieure et, une fois encore, on ne pourra le faire qu’avec une présence beaucoup plus établie à Banjul que des visites régulières depuis Dakar.

Et au Cap-Vert, comment y travaillez-vous ?

Dans ce pays, le Cicr s’intéresse à deux éléments. Premièrement, comme vous le savez, la Croix-rouge du Cap-Vert est l’une des meilleures sociétés nationales de l’Afrique. Donc il y a toujours lieu et matière à tirer un certain nombre d’enseignements d’une société nationale telle que celle-là pour qu’elle apporte son expertise et son expérience à ses sœurs africaines. Le deuxième élément se situe à un niveau diplomatique plus large. Le Cap-Vert est un pays lusophone et à ce titre, il peut nous permettre d’avoir les passerelles et les dynamiques qui peuvent être engagées au niveau de la communauté lusophone pas très présente sur le continent africain.

Quels sont les principes qui guident aujourd’hui l’action humanitaire ?

Depuis un certain nombre d’années, l’action humanitaire occupe un rôle clé dans différentes régions du monde. On voit de plus en plus que l’enjeu actuel de l’humanitaire, surtout pour nous le Cicr, c’est d’inscrire les actions dans une approche neutre et indépendante. La neutralité et l’indépendance sont des concepts qui sont brandis de manière assez large et on y met malheureusement quelquefois un petit peu trop en terme d’intervention. Il y a un mélange des genres qui se fait entre la neutralité et l’indépendance absolue de certains intervenants humanitaires et quelque fois, on fait la part aussi à l’intervention militaire sous couvert d’intervention humanitaire. On rencontre parfois des politiques d’Etat qui veulent aussi se décliner en intervention humanitaire alors qu’au fond ce qui permet de faire la différence sur le terrain, c’est-à-dire d’avoir la confiance de toutes les parties au conflit et l’accès aux populations aussi éloignées soient-elles, c’est précisément ces concepts de neutralité et d’indépendance. Inscrire une action humanitaire en visant à répondre aux besoins des populations sans arrière fond politique, sans volonté d’être une partie de la solution aux problèmes, simplement un constat du besoin qui doit être couvert. Ces concepts de neutralité et d’indépendance de l’action humanitaire sont au cœur du ‘modus opérandi’ du Cicr.

D’où est-ce que le Cicr tire ses fonds ?

Une grande majorité de nos fonds provient des États signataires des conventions de Genève. Les conventions de Genève de 1949 sont des conventions internationales qui ajustent le comportement des troupes et la protection des populations en situation de conflit international et de conflit interne. Et aujourd’hui, on a une communauté internationale qui a ratifié globalement ces conventions de Genève et qui s’engage à soutenir le Cicr dans son action humanitaire. Environ 87 à 88 % des fonds sont des donations des Etats du monde. On a une petite partie du support à l’institution qui vient des sociétés nationales qui font plutôt des donations en personnel et en matériel. C’est le cas par exemple de la Croix-rouge française qui nous fournit du matériel, de la Croix rouge allemande qui nous fournit un hôpital chirurgical pour une action particulière, de la Croix-rouge japonaise, etc. Le Cicr a quelques fonds également qui viennent de sources privées.

Cela ne pose-t-il pas un problème à la neutralité du Cicr si ce sont les Etats membres qui financent l’organisation ?

C’est un des enjeux parmi d’autres du monde humanitaire. Et l’enjeu à présent pour le Cicr consiste à pouvoir vendre une action, une intervention humanitaire sur la base de notre évaluation des besoins, et d’avoir nos opérations qui sont financées. Je ne vous cache pas que de plus en plus d’Etats essaient d’orienter des fonds moins sur des contextes. Vous avez par exemple un pays qui dit : je suis disposé à vous donner de l’argent, mais j’aimerais que vous le dépensiez dans ce pays que vous, Cicr, avez identifié comme problématique. Donc, nous ne sommes pas du tout dans la logique où un pays arrive avec son financement et nous demande de distribuer l’argent qu’il nous donne pour telle activité, dans tel pays. Si tel est le cas, ce sont des fonds que nous refusons sinon, nous sommes pris dans le piège des Etats qui cherchent à instrumentaliser leurs politiques à travers le monde humanitaire.

De nos jours, le Cicr bénéficie encore de la confiance suffisamment importante de la part de gros donateurs, de gros bailleurs de fonds que sont les Américains, les Canadiens, l’Union européenne, les Japonais etc. Ils nous financent nos opérations sur la base de nos évaluations. Toutefois, il y a une frontière à surveiller de très près. Mais il est important de souligner que le Cicr a un mode de financement très particulier qui lui permet d’avoir accès à des sources et à des fonds sur la base de ses évaluations et de ses besoins.

Dans certaines zones, on note souvent des obstacles dans l’acheminement de l’aide humanitaire. Cela vous est-il arrivé en Casamance ?

Globalement, par rapport à d’autres contextes où on a d’énormes difficultés – on pense au Darfour, on pense à la Somalie bien évidemment avec les éléments récents, les déclarations contre les organisations humanitaires – je dirai non. Nous bénéficions ici d’un bon ancrage. Le Cicr est connu en Casamance, au nord de la Guinée-Bissau par les autorités, par le Mfdc, sa mission humanitaire est comprise, ce qui est un point crucial. La spécificité de l’intervention du Cicr, c’est que de l’identification des besoins à l’acheminement de l’assistance, les opérations sont effectuées par lui-même avec des sociétés nationales, en collaboration et coordination avec les autorités d’un pays. Mais jamais, nous ne déléguons cela à tierces personnes. Le Cicr maîtrise donc toute la chaîne de l’identification à la réponse, ce qui évite les questions de corruption entre autres.

Propos recueillis par Amadou NDIAYE

WALF.SN

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